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que feront la Mauritanie et le Sénégal ?

Les premiers mètres cubes de gaz du champ de Grand Tortue Ahmeyim (GTA), co-exploité par la Mauritanie et le Sénégal, sont attendus début 2025. Mais avant ce début, des indiscrétions font état d’énormes surfacturations de la part du géant britannique. British Petroleum (BP) en charge de réaliser ce projet offshore. Plusieurs milliards de dollars sont en jeu.
Sauf énième report, les premiers mètres cubes de gaz devraient sortir des puits du champ gazier de Grand Tortue Ahmeyim, au large des côtes sénégalo-mauritaniennes et à plus de 2 750 mètres de profondeur. Cet important gisement, dont les réserves sont estimées à 450 milliards de m3 de gaz, suscite autant d’espoir en Mauritanie qu’au Sénégal, qui ont décidé, d’un commun accord, de partager la ressource. Le projet est opéré par le britannique BP qui en détient 60%, l’américain Kosmos Energy (30%), ainsi que les sociétés nationales sénégalaises Petrosen et mauritanienne SMH à hauteur de 5% chacune.

Mais ce n’est plus seulement la date de démarrage du projet qui suscite des interrogations auprès des autorités mauritaniennes et sénégalaises après de nombreux reports. Ce sont aussi et surtout les coûts pétroliers de ce projet avancé par BP qui sont à l’origine de suspicions légitimes de la part des deux pays. Ces frais sont répartis entre frais de recherche, investissements de développement, charges de fonctionnement, provisions constituées à la suite des travaux, etc.

Les principaux coûts du projet sont : la construction d’un brise-lames en haute mer qui abritera l’usine de liquéfaction pour laquelle un contrat de type EPC de 350 millions de dollars a été attribué au consortium franco-italien Eiffage-Saipan, l’ingénierie maritime pour l’extraction de gaz. pour 750 millions de dollars en contrat en mode EPCI, le navire flottant de production, de stockage et de développement (FPSO) pour un montant d’environ un milliard de dollars remporté par TechnipFMP en mode EPCIC qui va de la construction à opérationnalisation et, enfin, l’usine flottante de liquéfaction de gaz (FLNG) d’une valeur de 1,3 milliard de dollars en mode contrat de location et d’exploitation pour une durée de 20 ans.

Au total, le coût des quatre contrats s’élevait à environ 3,5 milliards de dollars au moment de leur signature. Ces montants ont toutefois été significativement augmentés entre la date de leur signature et celle de livraison, en raison de nombreux facteurs dont les effets du Covid-19. Sont également avancés l’allongement de la durée de construction de ces infrastructures en raison des retards dans l’exécution du projet qui devait démarrer en 2022, de la faillite de la multinationale américaine Mc Dermott spécialisée dans l’ingénierie technique et partenaire de BP et qui était en La charge de la construction des infrastructures sous-marines du projet expliquerait également cette augmentation des coûts finaux.

Ainsi, l’investissement initial estimé en 2018 à 5 milliards de dollars aurait doublé pour atteindre plus de 10 milliards de dollars. En 2020 déjà, Hassana Mbeirick, spécialiste des négociations commerciales internationales et ancienne directrice de SNC-Lavalin Mauritanie, affirmait dans les colonnes de Financial Afrik que « BP en est aujourd’hui presque déjà à 10 milliards d’investissements ». Depuis, les retards se sont accumulés et les dépenses n’ont cessé d’augmenter.

Malin qui, aujourd’hui, avancerait le coût global du pétrole que BP annoncera pour la première phase du projet qui devrait permettre à la plateforme de produire 2,5 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié (GNL) par an qui seront exportées via les méthaniers et le terminal construit à 10 km de la côte.

Plus ces coûts sont élevés, plus le montant récupéré par BP est élevé. Et pour le recouvrement des coûts pétroliers, BP, dans le cadre du contrat de partage de production, pourra retenir chaque année une partie de la production totale définie par les parties contractantes.

Une situation qui explique qu’avant même le démarrage du projet, la Mauritanie et le Sénégal ont clairement indiqué à BP qu’ils ne s’entendaient pas sur les coûts avancés, les jugeant surestimés par rapport à ceux initialement annoncés. Soupçonnant BP d’avoir surfacturé les coûts du projet GTA, les gouvernements mauritanien et sénégalais ont demandé, en janvier 2024, des audits pour mieux comprendre la réalité des charges supportées par la compagnie pétrolière britannique.

Ainsi, en début d’année, après des rencontres entre chefs d’Etat et ministres concernés, les deux pays ont engagé, chacun de leur côté, un audit des coûts du projet. La Mauritanie a opté pour l’expertise d’un cabinet tunisien, Samir Labidi, l’ancien régime sénégalais a choisi le français Mazars.

Premier à remettre sa copie, le cabinet comptable tunisien Samir Labidi, spécialiste des coûts pétroliers, compte de nombreux experts. Selon les résultats de cette expertise dévoilés par Africa Intelligent, le cabinet tunisien a émis, dans son rapport remis au ministre mauritanien du Pétrole, des réserves sur plusieurs centaines de millions de dollars de dépenses réclamées par BP sur le bloc 8, dans la partie mauritanienne de la RGT. dépôt. Ainsi, “le cabinet propose donc à l’Etat mauritanien de refuser ces frais tant que l’opérateur n’aura pas communiqué des éléments suffisamment convaincants pour les justifier”, selon les indiscrétions obtenues par Africa Intelligence.

Après les résultats de l’audit commandé par la Mauritanie, celui du Sénégal confirme la surfacturation des coûts pétroliers par BP, à la tête du consortium qui exploite le gisement offshore de Grand Tortue Ahmeyim, à cheval sur les eaux des deux pays.

Toujours selon Africa Intelligence, BP estimerait ses « coûts récupérables » à 4,1 milliards de dollars. Or, selon le rapport Mazars qu’Africa Intelligence affirme avoir consulté, les dépenses évoquées par BP, soit 2,8 milliards de dollars, correspondent à des « coûts documentés non récupérables au regard des règles contractuelles », et à des « coûts insuffisamment justifiés ou documentés » pour environ 1,8 milliard de dollars. milliard. Parmi les dépenses qui éveillent les soupçons, 1,5 milliard de dollars sont causées par un « changement des termes contractuels » que BP attribue à l’impact du Covid-19, aux « taxes supplémentaires » et à « l’effet change ». »

Selon Mazars, cité par Africa Intelligence, seul un quart de cette somme rentre effectivement dans la catégorie des coûts pétroliers à récupérer. D’où un écart énorme entre le montant des coûts récupérables annoncé par BP. Ces derniers doivent justifier de ces frais, de leur conformité aux procédures et apporter la preuve qu’ils sont dûment justifiés. Les griefs portent sur le processus de sélection des sous-traitants, l’attribution de certains appels d’offres, les missions accordées à des entités liées à BP sans appel d’offres, l’évaluation du - de travail des équipes de BP,… Autant de facteurs qui contribuent à alimenter des soupçons quant à la véracité des coûts avancés par la compagnie pétrolière britannique.

Visiblement, selon les deux cabinets, les coûts avancés par BP sont largement surestimés. Et ces coûts récupérables seront prélevés sur le dos de la Mauritanie et du Sénégal. Face à cette situation, les deux pays contestent les coûts pétroliers avancés par BP et se sentent floués par cette inflation des coûts qui réduira les revenus futurs qu’ils engrangeront au cours des premières années d’exploitation, entendent agir ensemble pour obtenir un gain en cause et donc une nette révision à la baisse des coûts pétroliers avancée par BP.

De ce fait, l’augmentation des coûts ayant un impact sur les bénéfices, cela signifie que cette surfacturation aura un impact sur les recettes fiscales générées par le projet. Cela signifie que l’inflation des prix du pétrole par BP représente une menace pour les revenus publics du gaz des deux pays.

Au-delà des coûts, les deux pays souhaitent une « renégociation globale ». A noter que les nouvelles autorités sénégalaises avaient fait de la révision des contrats pétroliers, gaziers, miniers, etc., signés avec des multinationales étrangères, une priorité.

Et pour cause, BP est également pointé du doigt pour le non-respect du contenu local dans le cadre de la réalisation du projet.

Autant de griefs qui font que les relations entre acteurs risquent de se tendre d’ici le démarrage des opérations et durant les premières années d’exploitation.

Une chose est sûre, les deux pays ne pourront pas dépenser ces sommes colossales à perte. S’il est difficile de réviser le contrat avec BP en raison des clauses de stabilisation qui permettent aux multinationales de se prémunir des risques politiques et ainsi de se mettre à l’abri des changements économiques et législatifs, il n’en est pas de même pour la surfacturation. BP doit prouver le contraire, faute de quoi elle sera contrainte de revoir ces comptes.

Les audits des cabinets indépendants aux mains de la Mauritanie et du Sénégal peuvent au moins contraindre la compagnie pétrolière britannique à revoir ses calculs, d’autant que les plaintes formulées par les cabinets d’audit sont nombreuses et documentées.

Face à cette situation, le nouveau régime sénégalais a déjà mis en place une commission de hauts responsables pour travailler sur la question. Le gisement étant exploité par les deux pays, la Mauritanie et le Sénégal comptent s’allier contre BP.

A cet égard, il convient de noter que le ministre mauritanien de l’Economie et des Finances, Sid’Ahmed ould Bouh, s’est entretenu jeudi 5 décembre 2024 à Londres avec David Campbell, vice-président de la société BP et responsable régional pour la Mauritanie et Sénégal. Sans donner de détails, le ministère mauritanien affirme que les discussions ont porté sur les derniers préparatifs de l’exploitation imminente du gaz naturel de GTA prévue début 2025… Si les yeux des différentes parties sont fixés sur le début de l’exploitation, ce problème de surfacturation risque tendant encore davantage les relations entre les différents partenaires du projet.

Moussa Diop
Afrique.le360.ma

 
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