A la cour d’assises spécialement composée,
Colère? Non, plutôt une volonté de défendre sa fille face à une exclusion qu’il jugeait injuste, ou du moins injustifiée. C’est ce qui a poussé Brahim Chnina à diffuser sur différents groupes WhatsApp début octobre 2020, un appel à « faire virer ce professeur de collège », en parlant de Samuel Paty. Son message aura une trajectoire fatale et mènera à « l’irréparable », « l’impardonnable », selon lui : l’assassinat de l’enseignant le 16 octobre de la même année près du collège de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines).
Brahim Chnina est l’un des sept accusés jugés à Paris dans le cadre du procès relatif à l’attentat. Il est accusé d’avoir diffusé des messages et des vidéos mettant une cible dans le dos de l’enseignant. Il est poursuivi pour association de malfaiteurs terroristes et risque 30 ans de réclusion criminelle. D’une voix un peu rauque avec un léger accent mais dans un français presque impeccable, l’accusé, vêtu d’un pull crème, répond à toutes les questions du président de la cour d’assises spécialement composée et « jure de ne dire que la vérité, toute la vérité ». »
“Je regrette infiniment ce que j’ai fait, je regrette beaucoup, je ne suis pas un terroriste”, déclare en préambule l’accusé aux cheveux et à la barbe grisonnants. Beaucoup de remords s’expriment, accompagnés d’une certaine prise de responsabilité mais aussi de quelques trous de mémoire.
Responsabilité à moitié assumée
Plusieurs fois dans la journée, il souligne ses « regrets » et présente ses excuses aux proches de la victime. “J’ai partagé leur douleur depuis le début de l’attentat, je me sens très coupable et sincèrement du fond du cœur”, s’est-il adressé aux collègues du professeur assassiné. Difficile de savoir s’il est sincère ou non, mais son ton est serein et respectueux. Malgré quelques perches tendues par le président, Brahim Chnina ne veut pas se « décharger » sur celui qui l’a accompagné dans ses démarches : l’imam d’Abdelhakim Sefrioui. Brahim Chnina refuse également de rejeter la faute sur sa fille. « Zohra* a fait une erreur en mentant, et j’ai fait la même chose », demande-t-il calmement. Il estime en revanche que le directeur du collège a « une part de responsabilité » dans la mort du professeur, provoquant un brouhaha d’indignation dans la salle.
Revenons en arrière. Sa fille a été exclue de son école pendant deux jours. Elle invente alors un prétexte auprès de ses parents – et notamment de son père – pour échapper à la punition, expliquant que son professeur d’histoire-géographie avait demandé aux élèves musulmans de lever la main et de quitter la classe alors qu’il allait montrer des caricatures du prophète réalisées par Charlie Hebdo. “Incroyable mais vrai, nous devons licencier ce professeur de collège”, a réagi le père de famille le 8 octobre dans huit groupes WhatsApp différents réunissant plus de 200 personnes chacun et sur Facebook. Brahim Chnina, d’abord et « dans l’ordre », proteste contre l’exclusion du collège, la discrimination dont sa fille aurait été victime et enfin contre les caricatures qui n’arrivent qu’au bout de la chaîne. Musulman pratiquant, « je ne suis pas radicaliste », affirme-t-il, décrivant une « pratique religieuse comme tous les musulmans de France, une pratique ouverte ».
En gardant son calme, d’une voix posée, l’homme aujourd’hui âgé de 52 ans assure ne s’être énervé à aucun moment. Pourtant, dans ses messages, il use d’insultes pour qualifier le professeur. « J’ai été stupide d’avoir utilisé les mots voyou et malade », concède-t-il, sans convaincre les parties civiles. « Au début, je n’étais pas très en colère, je cherchais toujours l’apaisement », insiste-t-il. J’ai été bête et bête d’avoir utilisé les réseaux. J’ai mal réagi. Mon message était comme un appel à témoins pour voir si d’autres familles ont vécu la même chose”, se défend-il. Cependant, le message n’appelle pas au témoignage, mais à l’action, « si tu aimes ton prophète ». Bien qu’il reconnaisse être en partie « responsable » de ses actes, il nie avoir prononcé une « fatwa numérique » assurant qu’il n’avait « aucune intention de nuire à M. Paty ».
De l’équipement à la cécité
Voulant toujours « défendre » sa fille et tentant de « négocier » son exclusion, il décide de se rendre dans l’établissement dans l’espoir de rencontrer le proviseur. L’imam Abdelhakim Sefrioui, qu’il respecte de par son âge et sa position, lui propose de l’accompagner. Le 8 octobre, ils sont reçus par le chef de l’établissement une heure après leur arrivée et se mettent en colère dans le bureau. Sur ce point, Brahim Chnina regrette que le proviseur ne lui ait pas dit que sa fille n’avait pas assisté aux cours au cœur de ses réprimandes. « Si elle me l’avait dit, M. Paty serait encore en vie », ose-t-il.
Plainte, vidéo, médiatisation, manifestation… Les deux hommes décident de multiplier les démarches pour mener leur combat. Brahim Chnina est submergé par des centaines de messages et d’appels. Au moins 1 000 selon son avocat. Parmi ces appelants, Abdoullakh Anzorov, le terroriste qui passera à l’action quelques jours plus tard, le contacte, lui propose une aide financière, ils discutent ensemble de la participation à la manifestation que compte organiser Brahim Chnina. Mais il l’assure, cela n’ira pas plus loin. Toujours insoumis, il semble être resté sourd aux différentes alertes – dont celle de sa propre fille – concernant la réalité des faits et le danger qu’il faisait courir au professeur en diffusant son nom et celui du collège. Il intervient, invoquant souvent un trou de mémoire, lorsque certaines contradictions sont constatées par le tribunal.
L’accusé l’assure néanmoins : s’il avait su que sa fille était absente de la classe le jour des caricatures, “tout cela ne serait pas arrivé”. “C’est l’erreur que j’ai faite, j’ai cru trop vite ma fille”, plaide-t-il. Il explique aussi qu’il était “dans une bulle”, une spirale, une “multitude de procédures”, souligne l’avocat général, qui l’a “aveuglé”, car il explique qu’il ne “croyait plus que [sa] fille “.
Notre dossier sur l’assassinat de Samuel Paty
Dès le début, Zohra C. a menti. Elle n’était pas en classe le jour où Samuel Paty a montré la caricature de Charlie Hebdo. Le professeur n’a pas demandé aux élèves musulmans de lever la main et de quitter la salle. Il n’a pas décidé d’exclure son élève. Mais quand la vérité éclate, il est déjà trop tard. Le 16 octobre, Abdoullakh Anzorov commet l’impensable et décapite le professeur de géohistoire en pleine rue. «Quand j’ai entendu parler de M. Paty, c’était un effondrement, jusqu’à présent je n’arrive pas à y croire, ça m’a fait tellement mal. J’ai appris que M. Paty avait été décapité et que ma vidéo passait en boucle. « J’ai ressenti beaucoup de peur, de tristesse, de douleur, beaucoup d’émotion et beaucoup de souffrance pour M. Paty, repose son âme, j’avais du mal à y croire. Je n’avais vu que des décapitations en Syrie, je n’aurais jamais pensé que cela puisse arriver au professeur de ma fille.»
* Le prénom a été modifié
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