Oratorio Nomade sera donné à Au Fil du Tarn, du 3 au 9 décembre. Le réalisateur Bruno Geslin suit les traces du cinéaste Werner Herzog et son journal de marche Sur le chemin de la glace. Nous l’avons rencontré.
Comment avez-vous découvert le travail de Herzog ?
J’ai découvert le texte Sur le chemin de la glace il y a une vingtaine d’années. Au cours de ma vie, les auteurs et les œuvres ont pris de l’importance de plusieurs manières. Ce livre fait partie des ouvrages qui nous aident à traverser l’adversité. Cependant, je ne pensais pas pouvoir partager cette histoire, un jour, sous la forme d’un morceau. Le rapport au texte est parfois très étrange. Vous marchez avec lui pendant plusieurs années et soudain vous ressentez le besoin immédiat de le partager. Je cherchais l’angle pour le faire car ce n’est pas un texte de théâtre. L’idée était d’utiliser la méthodologie d’Herzog, pour plonger un corps dans l’adversité.
Est-ce pour ça que tu as marché 900 km ?
En compagnie de l’acteur et du musicien, nous avons répété ce voyage à pied de Munich à Paris, aux mêmes dates, 50 ans plus tard. Nous sommes partis le 23 novembre et avons voyagé un mois pour rejoindre Paris. C’est une sorte d’histoire croisée même si l’on ne travaille que sur le texte d’Herzog en gardant en tête que l’acteur qui vous parle est un souvenir de ce voyage parcouru, qu’il se fasse à pied ou en intérieur.
Herzog est allé rencontrer Lotte Eisner, êtes-vous allé rencontrer Herzog ?
Pas seulement ça. On a préparé le voyage, on s’est immergé dans son cinéma, dans ses écrits. Mais chacun de nous avait ses propres rencontres, peut-être avec des fantômes. Herzog était un point de départ. De plus, sur le chemin de Herzog, nous avons également rencontré cette femme merveilleuse qu’est Lotte Eisner. Une femme extrêmement importante pour le cinéma allemand. Elle crée un pont générationnel avec les cinéastes d’avant-guerre et ceux du nouveau cinéma, Fassbinder, Herzog et quelques autres.
Qui était Eisner ?
L’ami de tous les cinéastes. Juive, elle fuit l’Allemagne nazie et rejoint Langlois, le créateur de la Cinémathèque, à Paris. Historienne du cinéma, elle a conservé des films sur lesquels Hitler cherchait à mettre la main, notamment « Dictateur ». Une vie très incroyable ! Plein, riche. Grande amie et mentor d’Herzog, elle le soutient dans ses premiers films, il était autodidacte. Un lien presque magique s’est créé entre ces deux êtres.
Pourquoi est-il parti la rejoindre le 23 novembre 1974 ?
Il apprend qu’elle risque de mourir, il refuse qu’elle puisse le quitter, quitter ce monde, il part avec la certitude que tant qu’il marchera vers elle, elle restera en vie. C’est effectivement ce qui s’est passé. Lorsqu’il arrive à Paris, non seulement elle y est toujours, mais elle y vivra encore huit ans.
Comment le lien s’est-il rompu ?
Presque aveugle, très fatiguée, lasse, elle l’appela pour lui demander de rompre le charme qui la maintenait en vie. Elle lui a demandé la permission de partir. Elle est décédée dix jours plus tard. Leur lien était unique, et c’est aussi le sujet de la série. Lorsque Herzog a pris la route, il ne traversait pas seulement des paysages, il se faisait face et traversait des paysages intérieurs. Il n’a pas sauvé une vie mais deux : celle de Lotte et la sienne. Parfois, dans son récit on a un peu une réécriture d’Orphée qui traverse les enfers pour ramener son ami dans le monde des vivants.
Pourquoi avez-vous ressenti le besoin de traduire cet ouvrage sous deux formes ?
La compagnie La Grande Mêlée est basée à Boiezon, village de 400 habitants entre Castres et Mazamet, dans une ancienne usine textile, lieu de résidence et de création à la fois pour nous mais aussi pour d’autres artistes. Nous veillons à ce que le travail de l’entreprise soit vu dans le village et dans la communauté de communes. Cela fait partie intégrante du projet, l’idée n’étant pas d’imaginer une relation entre nous. Nous créons régulièrement des rencontres publiques, parfois dans le cadre d’un festival comme il y a deux ans avec Imaginary Tourism. Ce lien est essentiel. Je souhaitais que ce spectacle soit joué dans des lieux non dédiés. J’avais l’impression que le sujet s’adressait à tout le monde. A Boiezon, nous avons une double culture : ouvrière et Saint-Jacques avec le pèlerinage. Ces deux cultures lointaines finissent par créer l’identité du village. Le véritable sujet est la marche et le voyage initiatique ou comment un homme parvient à se construire ou se reconstruire en se soulageant de choses un peu encombrantes et émotionnelles. C’est une transition vers le monde des adultes.
D’où votre création dans le cadre de la tournée Au Fil du Tarn…
Oui, même s’il est porté par la Scène Nationale. Cette idée correspondait au sujet de réaliser un spectacle nomade avec une expérience téléspectatrice totalement différente. Quand on travaille sur de grands décors naît quelque chose de l’ordre du paysage intérieur. Nous avons filmé et photographié pendant le voyage donc nous sommes amenés à être dans un état contemplatif, puisque les paysages se déroulent sur scène.
Comment se passe la version nomade ?
Nous sommes bi-frontaux, au plus près de l’acteur. Le spectateur devient un paysage. Entre les deux formats, le spectacle est quasiment le même. L’Oratorio Nomade est plus raffiné que Le Chemin des Glaces. On est presque jusqu’aux os, on est face à cet acteur, face aux multiples adversités qu’il traverse.
Comment expliquez-vous cette longue marche sur scène ?
L’acteur, comme dans un plan séquence, est toujours en mouvement. Nous assistons à sa transformation.
Avez-vous pris le texte de Herzog au pied de la lettre ?
Nous travaillons uniquement sur le texte, puis une adaptation scénique est réalisée. L’œuvre n’est pas dans son intégralité, nous avons procédé à une écriture dramaturgique pour que le poème puisse se déployer. Poème parce qu’il s’agit, par perturbations successives, d’une altération du rapport au réel au fur et à mesure de son avancement. La description du dérèglement des sens est pour moi la plus intéressante.
Avez-vous échappé à la tête d’Herzog pendant votre voyage ?
C’est assez inquiétant. Nous avons eu les mêmes conditions météo pendant presque tout le voyage. Nous avons même été arrêtés deux fois par la police, comme lui, et aux mêmes endroits. Les ennuis se sont installés. Nous avons traversé à la fois des paysages réels et une histoire. Nous nous sentions un peu comme des acteurs dans les films de Herzog. Ce lien avec des événements qui nous dépassaient était fou. Une telle similitude de paysages, de conditions, de mouvements intérieurs comme le découragement, l’envie d’abandonner, l’ennui qui vous saisit, l’extase… tout cela a été si bien décrit par Herzog, avec une telle justesse que cela a créé une sorte de correspondance fraternelle. .
Avez-vous trouvé ce que vous cherchiez ?
Je pensais que la promenade serait très analytique mais non. Dès l’instant où nous l’avons arrêté, le corps mis au repos, nous nous sommes retrouvés submergés par quelque chose qui fonctionnait inconsciemment. Je ne sais pas si je me suis rencontré mais je me suis débarrassé des choses qui me dérangeaient.
– Tuesday December 3, 8 p.m., Le Foulon, Graulhet
– Mercredi 4 décembre, 20h30, Le Colombier, Les Cabannes
– Vendredi 6 décembre, 20h30, Le Balcon, Gaillac
– Samedi 7 décembre, 20h30, Salle des fêtes, Monestiés
– Dimanche 8 décembre, 17h, Salle Omnisports, Salvagnac
– Monday December 9, 8:30 p.m., Le Rond-Point, Labruguière.
8/10 €.
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