De nombreuses personnes en Suisse utilisent des « stalkerwares » pour surveiller discrètement leurs proches, notamment les (ex-)partenaires romantiques. Installés le plus souvent sur les téléphones, ces logiciels espions permettent de tracer les conversations, déplacements et activités en ligne des victimes sans leur consentement… et illégalement.
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29 novembre 2024 – 11h00
L’application Mspy, qui prétend être un outil de contrôle parental, est utilisée illégalement pour espionner les proches et les partenaires ou ex-partenaires notoirement romantiques, selon une enquête menée par SRF et le magazine en ligne Republik.Lien externe
Les données internes de Mspy, publiées par la hackeuse suisse Maia Arson Crimew, révèlent qu’environ 2 500 personnes ayant des liens avec la Suisse ont communiqué avec Mspy. Il s’agit de personnes qui disposent d’une adresse email se terminant par « .ch » ou qui ont été identifiées comme résidant en Suisse. Ce sont uniquement des personnes ayant contacté le service client de Mspy.
Il n’est pas possible de déduire de ces données le nombre exact d’utilisateurs du logiciel en Suisse. D’une part, certaines personnes peuvent avoir contacté Mspy sans utiliser leur service. En revanche, à l’inverse, certains utilisateurs n’ont pas forcément contacté le service client. Par ailleurs, d’autres « stalkerwares » sont disponibles sur le marché.
Des profils variés
Les profils de harceleurs identifiés par SRF et le magazine Republik sont variés. Les e-mails du service client montrent par exemple qu’un médecin et professeur de Zurich souhaite récupérer son argent, car il n’a plus besoin de son abonnement Mspy. Il est difficile de savoir quel usage précis l’homme a fait de cette application, mais selon toute vraisemblance, il l’a utilisée.
Ces documents révèlent également que des employés fédéraux écrivent à Mspy parce qu’ils souhaitent utiliser l’application de surveillance à titre privé.
Même un ancien chef de la police régionale se retrouve dans les mails du service client. Il utilisait l’application à ses propres fins. Il se permet une réclamation auprès du service client : « Le produit n’a pas répondu à nos attentes. »
Dans un autre exemple, un homme du canton de Lucerne demande si Mspy peut être téléchargé sur un nouveau téléphone portable, qu’il souhaite ensuite « offrir ».
Quelles précautions faut-il prendre ?
Premier conseil : méfiez-vous des téléphones qui ne sont plus neufs et « scellés », par exemple les appareils professionnels partagés entre collègues, les « cadeaux » hors emballage d’origine ou les mobiles d’occasion. Et effectuez toujours une réinitialisation matérielle dans les cas mentionnés ci-dessus.
Ensuite, faites attention aux « signes ». Un téléphone chaud ou une durée de vie plus courte de la batterie peuvent indiquer la présence de logiciels espions. Mais pour Hannes Spichiger, maître de conférences en criminalistique numérique à la Haute école spécialisée de Lucerne, ces signes ne constituent pas une indication fiable de stalkerware.
Pour l’expert, les soupçons grandissent si le même individu continue d’apparaître à des endroits inattendus de notre quotidien, et sans raison. C’est pareil si quelqu’un autour de nous sait des choses qu’il ne devrait pas savoir.
L’expert cite deux scénarios dans lesquels l’infiltration de son téléphone portable devient presque certaine : connecter des appareils inconnus à des comptes personnels ou activer l’éclairage de la caméra sans avoir ouvert l’application elle-même.
Une pratique illégale
L’utilisation de ce logiciel sans consentement est illégale. Et les conséquences peuvent être considérables.
Selon Monika Simmler, professeur de droit pénal à l’Université de Saint-Gall, dans les cas extrêmes, il existe un risque d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à quatre ans et demi de détention.
La raison : quiconque utilise un logiciel de suivi contre la volonté d’autrui, extrait des données et déchiffre un mot de passe ou un code de téléphone portable peut commettre plusieurs infractions.
«Dès que vous franchissez une barrière d’accès, c’est-à-dire que vous utilisez un mot de passe injustifié, vous vous rendez punissable», explique le professeur.
Et le contrôle parental ?
Même si Mspy prétend être une « application de contrôle parental tout à fait légale », les limites juridiques peuvent également être franchies lorsqu’il s’agit de surveiller ses propres enfants.
En fait, cette surveillance est autorisée, car les mineurs ne peuvent dans la plupart des cas dénoncer leurs parents.
«Mais les choses sont différentes pour les jeunes qui sont déjà légalement capables de porter un jugement sur ce qui s’est passé», explique Monika Simmler. Car en droit suisse, la capacité de discernement d’un mineur n’est pas strictement délimitée par l’âge, elle est toujours relative.
En raison d’une capacité de discernement précoce, il est donc envisageable qu’un mineur puisse porter plainte contre ses parents pour des faits de piraterie.
L’expérience SRF
SRF a tenté « l’expérience Mspy ». Une journaliste – consentante – a accepté d’être suivie par ses collègues pendant ses vacances. Ils ont pu lire facilement ses messages SMS et WhatsApp et connaître sa localisation exacte presque en temps réel.
En parallèle, plusieurs fonctionnalités annoncées par Mspy ne fonctionnaient pas. Les photos de la bibliothèque n’ont pas pu être visualisées. Ni ceux envoyés ni reçus. La caméra ou le microphone du téléphone portable ne se sont pas activés à distance, bien qu’une offre supplémentaire, plus coûteuse, ait été conclue avec Mspy.
Est-ce la faute des journalistes de SRF (mauvaise manipulation) ou celle de l’application ? Difficile à dire. Cependant, dans les messages de discussion avec le support client de Mspy, de nombreux clients se plaignent du fait que l’application ne fonctionne pas comme promis. Il n’en reste pas moins que l’intrusion dans la vie privée du journaliste de SRF a été massive.
Silence radio de Mspy
Que dit Mspy à propos de l’accusation d’offrir un service interdit en Suisse ? Et qu’en est-il du fait que l’entreprise accepte consciemment que son produit soit utilisé illégalement et que son modèle économique consiste à espionner les adultes plutôt qu’à surveiller les enfants ?
Aucune réponse. Ni le service média de Mspy ni la société Brainstack, à l’origine du logiciel espion, n’ont répondu aux demandes de SRF.
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