“Ces enfants alsaciens et mosellans ont été capturés, vêtus d’un uniforme qu’ils détestaient, au service d’une cause qui faisait d’eux des esclaves. (…) Leur tragédie doit être nommée, reconnue et enseignée car c’est celle de la Nation« . Cette phrase prononcée par Emmanuel Macron, ce samedi 23 novembre lors du 80e anniversaire de la libération de Strasbourg, met en lumière le destin de centaines de milliers de personnes. Malgré nousenrôlé de force dans l’armée allemande pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce serait oublier le sort de près de 15 000 jeunes Mosellanes, elles aussi incorporées sous la contrainte, entre 1942 et 1944 : les Malgré-eux-mêmes.
«On nous appelle encore des Boches», 80 ans après l’incorporation forcée du «Malgré Nous»
Parmi ces jeunes filles nées entre 1923 et 1926, Yvette Didier, 102 ans aujourd’hui, est l’une des dernières survivantes en Moselle. Elle est devenue malgré elle suite à une publication. “Les Allemands avaient publié dans le journal que toutes les filles nées après 1923 devaient fréquenter l’Arbeit Dienst pendant 6 mois. J’ai donc été convoqué puisque j’étais de 1923.« Mosellane doit exécuter, par la force, le Service de travail richeen français, Service du Travail du Reich. Un service obligatoire en Allemagne et dans les territoires qu’elle annexe. Alors quand plusieurs soldats allemands frappent à la porte et arrivent chez Yvette, «J’ai pleuré. Je me souviens, j’étais dans les escaliers de la maison de mes parents et je pleurais. Je les voyais marcher comme ça avec leurs bottes, j’étais fou.“
Elle a aidé les prisonniers à traverser la frontière vers la France occupée
Quelques semaines avant de partir pour un camp allemand, non loin d’Heidelberg, la jeune fille, âgée d’à peine 19 ans à l’époque, aidait encore son père à faire passer des prisonniers évadés à quelques centaines de mètres de son domicile, à Joeuf (Meurthe-et-Moselle), alors en France occupée. “Il y avait des douaniers à l’époque, on profitait qu’ils se changeaient pour passer la frontière. Je me souviens d’une fois où nous avons failli nous faire prendre. Lorsque nous sommes arrivés devant la maison où étaient cachés les prisonniers, nous avons réalisé qu’elle était fermée. Ensuite, nous avons gravi la colline mais nous ne savions pas où aller même si nous avions le prisonnier avec nous. Et là, nous avons vu les Allemands. en tout cas on les entendait avec leurs bottes. Nous avons donc eu le temps d’aller en face. On les voyait arriver et s’ils avaient un chien, on se faisait prendre. Nous avons juste eu le temps de nous cacher derrière le mur. La patrouille est finalement passée sans nous repérer.“
Son père n’aura pas cette chance ; il sera arrêté à deux reprises par des soldats allemands. Il risque la peine de mort mais y échappe ; il sera interné dans un camp en Allemagne, comme sa mère. Yvette, elle doit repartir outre-Rhin, et arrive pour la rentrée du RAD, à Böhl-Iggelheimle 16 avril 1942, dans une ambiance militaire. “Les Allemands étaient pires que le diable», souffle Yvette, avant de reprendre son récit. “Il y avait 80 filles dans ce campdit Yvette. Il fallait déjà saluer le drapeau tous les matins et tous les soirs, mais je ne le saluais pas, je me cachais tout au fond de la colonne. (…) J’étais heureux, encore aujourd’hui, c’est comme si j’avais gagné le million», sourit la Moselle. Le reste ne fait pas sourire. Les jeunes filles, alsaciennes, mosellanes et allemandes, dorment chaque nuit sur des lits de paille et des oreillers. Ils sont entassés dans des casernes.
Chaque journée commence à 6 heures du matin par un réveil brutal. “Une dame est arrivée à 18 heures et a dit « guten morgen, fun minuten für sport ». Nous avons dû nous lever rapidement, mettre notre lit à l’équerre, enfiler une sorte de jean, puis nous sommes tous sortis. Et puis « eins, zwei, etc. » Le reste de la journée est rythmé par travail épuisant dans un champ de tabac situé non loin du camp, des heures d’endoctrinementet la propagande nazie qui tente d’expliquer aux jeunes malgré eux ce qui se passe sur le front de l’Est. Mais Yvette et ses camarades ne sont pas dupes. “Ils disaient qu’ils avançaient en Russie mais au fond, nous étions heureux de voir qu’ils perdaient la guerre.« À ce stade du conflit, les Allemands commencent à battre en retraite, une retraite qui se transforme alors en débâcle. Cette situation se produira dans le camp de Böhl-Iggelheim.
Un camp militaire puis travail dans une usine de caoutchouc
A mesure que les Allemands reculent, tout se durcit dans le camp situé en Rhénanie-Palatinat : le moindre faux pas, la moindre déviation entraîne les réfractaires tout droit vers le terrible Camp de Schirmeckdans Alsace. Un lieu où tous les Alsaciens et Mosellans considérés comme des ennemis du régime nazi furent internés et maltraités. Près de 15 000 personnes sont passées par là durant les quatre années d’existence de ce camp, voisin du Struthof. Yvette s’échappe puis enchaîne avec le KHD (Service de secours de guerreService Auxiliaire de Guerre, en français), il est déplacé d’une vingtaine de kilomètres et doit se rendre à l’usine IG Farben de Ludwigshafen. En bref, Mosellane devra travailler, de force, pour l’industrie de guerre allemande. “C’était une usine de caoutchouc, j’étais dans un laboratoire avec une dame qui était ingénieure, c’était une vieille filledit celui qui a cent ans. J’ai fêté mes 20 ans chez IG Farben. C’est elle qui m’a acheté des carreaux avec une petite fleur dessus. Nous n’avons pas pu le trouver à l’époque.“
Le travail est toujours aussi dur, suivi de près depuis six mois. Elle se termine finalement le 29 mars 1943, date à laquelle Yvette retourne en Moselle, à Moyeuvre-Grande.. Elle a échappé au pire grâce à une chance incroyable, celle d’être originaire de 1923. Si elle était née un an plus tard, elle aurait dû partir au front comme auxiliaire de guerre dans la Werhmacht (armée), la Luftwaffe (armée de l’air) ou la Kriegsmarine (marine). Dans certains cas, les Malgré elle ont été touchés dans le Tours anti-aériennesune tour DCA géante où les jeunes filles devaient faire fonctionner les projecteurs, un poste très exposé. Yvette reste en Moselle et attend libérer du département arrivé dans le courant du mois de novembre 1944. « Ce fut une délivrance. Nous étions heureux, nous avons fêté pendant un mois. Ce fut une véritable délivrance. Nous n’aimions pas les Allemands.
Suite à ce drame, elle n’a pas subi le sort de beaucoup de rentrer à la maisoncelui d’être considéré comme collaborateur. Ce n’était pas le cas d’Yvette.
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