C’était il y a deux ans. Entre l’indisponibilité de cinq réacteurs nucléaires touchés par la corrosion et la guerre en Ukraine, avec son impact sur les importations de gaz russe, l’approvisionnement électrique français était en danger. Effrayé par le risque de black-out (panne d’électricité à grande échelle), le gouvernement avait multiplié les campagnes de prévention à destination des ménages.
Qui a oublié le fameux slogan : « Je baisse (le chauffage), j’éteins (les appareils électriques), je décale (mes horaires de consommation) “, diffuser à satiété pendant l’hiver 2022-2023 ? Au final, plus de peur que de mal : grâce à une météo plutôt clémente, le pire a été évité. Deux ans plus tard, les spots reviennent sur nos écrans. Mais l’approvisionnement en électricité des Français ne doit pas être suspendu par les intempéries. C’est ce qui ressort des prévisions du gestionnaire du réseau de transport électrique (RTE).
Selon la filiale EDF, « les perspectives en matière de sécurité d’approvisionnement en électricité semblent très favorables » et « le risque de déséquilibre entre l’offre et la demande est faible « . Conclusion, sauf « situation exceptionnelle », l’alimentation électrique doit être assurée tout au long de l’hiver. Ceci, même si certains des 56 réacteurs français seront temporairement indisponibles pour maintenance. ” En moyenne sur l’hiver, nous devrions avoir 80 à 85% de notre capacité maximale de production », explique Emeric de Vigan, spécialiste des questions énergétiques.
Plusieurs facteurs expliquent l’optimisme de RTE, d’habitude très prudent. D’abord, la disponibilité globale retrouvée du parc nucléaire, grâce à la réparation des réacteurs sujets à des problèmes de corrosion durant l’hiver 2022-2023. Autre point positif, la grande année des énergies renouvelables, avec une production hydraulique record. Mais aussi des stocks de gaz bien remplis, en France et en Europe. Enfin, un équilibre entre offre et demande qui a sensiblement évolué par rapport à avant la crise énergétique. ” L’offre a augmenté mais c’est surtout la baisse de la demande, inférieure de 5 à 10 % à ce que l’on a connu avant la crise, qui permet à RTE d’être confiant. », a poursuivi Emeric de Vigan.
Vers des exportations record ?
Les causes de ce déclin ? Des entreprises qui ont optimisé leur consommation pour s’adapter à la flambée des prix. Et des ménages brûlés par les factures, qui ont des usages plus sobres. Revers de la médaille, la demande est également tirée vers le bas par la malchance de l’industrie française. Certaines usines à forte intensité électrique ne fonctionnent pas. C’est le cas de Vencorex, le fleuron de la chimie française. Les 450 salariés du site de l’Isère sont en grève depuis la mise en redressement judiciaire de l’entreprise.
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Au-delà de l’autosuffisance, le niveau de notre production électrique hivernale doit permettre à la France d’exporter. Envers nos clients habituels : l’Italie, le Royaume-Uni et surtout l’Allemagne, qui a commis l’erreur désastreuse de tout miser sur les énergies renouvelables, ce qui la rend dépendante du gaz russe. ” Non seulement nous devrions pouvoir vendre de l’électricité à l’extérieur de nos frontières tout l’hiver, mais nous nous dirigeons vers une année record pour les exportations. », se félicite Christophe Grudler, député européen Renew, qui préside l’intergroupe nucléaire.
Tout n’est pas encore rose au pays de l’atome, mais la France a au moins trouvé le chemin de l’indépendance énergétique. Aujourd’hui, le mix électrique français est basé à 65 % sur le nucléaire. Le gaz est réduit au strict minimum, tandis que la part des énergies renouvelables augmente : l’énergie hydraulique représente à elle seule un peu plus de 10 % du mix, tandis que l’éolien et le solaire montent à 15 %. Malgré ces progrès, les énergies renouvelables restent pénalisées par leur intermittence. L’électricité renouvelable est difficilement exportable car les pics de production surviennent en été, lorsque la demande est faible. ” C’est difficile de s’intégrer sur le marché, reconnaît Christophe Grudler. Dans les échanges, l’offre doit correspondre à la demande au kilowattheure près, ce qui n’aide pas dans le cas des énergies renouvelables. »
Le salut énergétique de la France dépend donc avant tout du nucléaire. L’ancien PDG d’Elf et de la SNCF, Loïk Le Floch-Prigent, en a été convaincu dès le départ : « C’est une énergie abondante, bon marché et souveraine. Tant que nous ne comprendrons pas cela, nous ne pourrons pas être un grand pays. » La classe politique, qui vise la neutralité carbone en 2050 (un des objectifs du Green Deal, le pacte vert européen), l’a-t-elle compris ? Après avoir assumé la fermeture du site de Fessenheim, demandée par son prédécesseur, Emmanuel Macron a pris un virage pro-nucléaire au lendemain de la guerre en Ukraine. Depuis sa réélection, le président a promis la construction de six à quatorze nouveaux réacteurs nucléaires. Huit EPR 2 (nouvelle génération) ont déjà été validés par le conseil d’administration d’EDF.
Ils seront implantés sur les sites de Penly, Gravelines et Bugey. Mais ” ils ne verront pas le jour avant 2040 ou 2045 », selon Christophe Grudler. Il faut dire que la phase d’instruction de chaque dossier auprès de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) dure… au moins trois ans ! De quoi exaspérer Loïk Le Floch-Prigent, qui critique les lourdeurs administratives et la bureaucratie : « Installer des centrales électriques en cinq ou six ans, on l’a fait, on peut le refaire. Nous n’avons pas besoin d’attendre vingt ans. » C’est peut-être le signe d’un art très français d’ajouter une touche de complexité là où il n’y en a pas forcément besoin…
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