By Lucie MériJEAU and Sébastien ROFFAT, doctors in cinematographic and audiovisual studies (Sorbonne Nouvelle University, Paris 3).
Aller voir un « Noël Disney » au cinéma est une tradition pour de nombreuses familles lors des fêtes de fin d’année. Pour 2024, c’est Vaiana 2 qui occupera le devant de la scène à partir du 27 novembre 2024. Selon deux chercheurs en études cinématographiques, il s’agit d’une stratégie marketing développée expressément pour la France dans les années 1950 par Disney.
Coco, La Reine des Neiges 2, Charme, Souhait…Cette année, c’est Vaiana 2 qui figure en tête d’affiche pour les fêtes et à partir du 27 novembre 2024. Aller voir un film d’animation Disney pour les fêtes de Noël, quoi de plus naturel pour les familles françaises ? D’ailleurs, l’expression « Christmas Disney » est bien ancrée dans notre vocabulaire.
Ce « Christmas Disney » fait davantage référence à la période de sortie du film qu’au contenu lui-même : Walt Disney a toujours évité d’évoquer des sujets typiquement américains ou des thèmes chrétiens dans ses dessins animés. Ainsi, aucun court métrage ne met en scène la fête de Thanksgiving ou le 4 juillet, seulement un ou deux parlent de Noël et un seul de Pâques. Et ceux qui parlent de Noël sont plutôt tristes, comme Le Noël de Mickey (1983).
Stratégie marketing depuis les années 1950
Sortir un « Disney à Noël » est en effet une spécificité française, une stratégie marketing développée dans les années 1950 pour notre marché domestique.
Quelques chiffres d’abord. Sur les 56 grands classiques d’animation Disney sortis jusqu’en 2016, près de 70 % ont eu leur première française entre octobre et décembre, sans compter les reprises. En effet, tous les films Disney sont sortis plusieurs fois en salles, comme Blanche Neige et les Sept Nains (sept fois) : mai 1938, décembre 1944, août 1951, décembre 1962, décembre 1973, novembre 1983 et février 1992.
Cette concentration des sorties sur la période automnale (37 films sur 56) est en réalité une spécificité française car le marché américain est plus fluide sur l’année même si deux pics sont observés : aux Etats-Unis, les mois de plus fortes sorties de films sont novembre ( 15 sur 56) puis juin (10 sur 56) alors qu’en France c’est novembre (19 sur 56) puis décembre (14 sur 56). Les dernières années n’ont pas dérogé à cette règle avec des sorties systématiques d’un film en fin d’année comme les deux volets du Reine des Neiges, Coco, Charme ou même Souhait en 2023.
Un timing différent aux États-Unis
L’idée de sortir des longs métrages d’animation Disney pour Noël n’était pas immédiatement évidente. Blanc comme neige et Pinocchio ont ainsi été libérés en mai lors de leur première exploitation, Dumbo en octobre et Bambi en juillet.
Durant la seconde moitié des années 40, les films sortaient de manière relativement désordonnée dans les salles de cinéma (rappelons que les Français ne voyaient que Blanc comme neige avant la guerre et que pendant l’Occupation allemande, la projection de films américains était interdite) : Fantaisie en novembre, Salutations Amis en février, Les Trois Caballeros en avril, La boîte à musique en septembre, Printemps coquin une marche, Mélodie des cocktails en février. Mélodie du Sud est le premier long métrage Disney sorti de manière concertée en décembre 1949 sur les écrans français. Après cette date et à quelques rares exceptions près, tous les films Disney sortiront en France pour les vacances de Noël ; une tradition qui se poursuit aujourd’hui.
Plus surprenant pour nous qui sommes habitués aux sorties mondiales simultanées, si un film Disney sortait en décembre aux Etats-Unis, la sortie française avait lieu en décembre de l’année suivante (Merlin l’enchanteur est sorti aux États-Unis en décembre 1963 et en France en décembre 1964). Walt Disney avait tout mis en œuvre pour que son premier long métrage d’animation soit prêt pour Noël 1937. Malgré tous les efforts du studio, Blanche Neige et les Sept Nains ne sortira dans les salles américaines qu’en février 1938 (la première mondiale eut cependant lieu en décembre).
Les Américains concentrent en effet leurs sorties sur deux périodes particulières de l’année. Tout d’abord, Thanksgiving, le quatrième jeudi de novembre (jour férié aux Etats-Unis depuis 1941), permet de préparer le public à Noël (les produits dérivés du film rapportent plus d’argent que le film lui-même) et de préparer une sortie. DVD très rapide pour la fin de l’année : aux Etats-Unis, il n’y a pas de délai légal entre la sortie du film en salles et sa sortie en vidéo, comme c’est le cas en France.
Ce long week-end de Thanksgiving est donc un prime time pour sortir un film Disney. L’autre période très prisée est le mois de juin (10 sorties sur 56) : les Américains profitent de la climatisation des cinémas sombres pour échapper à la chaleur estivale. On remarque également que des films Disney qui se veulent moins « familiaux » et destinés à un public plus adulte sortent également durant cette période.
Depuis Histoire de jouets (mars 1996 en France), une règle non écrite veut que les films Pixar sortent loin de la période hivernale et du Voitures (en juin 2006, date coïncidant avec le rachat du studio par la société Disney), les films ne sortent qu’en été. Les longs métrages de synthèse du studio ne s’adressent pas au même public (familial) que les films Disney. Leurs histoires et leur esthétique postmoderne s’adressent aussi bien aux enfants qu’aux adultes.
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Une tradition bien ancrée
Le Noël Disney en France, en revanche, est une « tradition » très ancrée. A Noël 1938, Blanche Neige et les Sept Nains est ainsi le premier film étranger projeté à l’Élysée devant 300 enfants défavorisés. Il a longtemps été impensable de sortir un long métrage d’animation Disney pendant les vacances d’été : les enfants sont en vacances, à la plage ou ailleurs.
La très longue trêve estivale française a empêché pendant de nombreuses années la sortie de films importants durant cette période (la tendance est à la baisse depuis plusieurs années mais aucun film Disney n’est jamais sorti en août par exemple). En France, le choix de sortir un long métrage à Noël s’impose comme une évidence à partir de 1949. A cette époque, les petits Français ont deux semaines de vacances. Les familles se réunissent dans l’esprit enchanteur de Noël et la tradition d’aller au spectacle se perpétue à travers le cinéma : aller au cirque ou voir un spectacle de marionnettes s’inscrit dans le même mouvement.
Un agenda commercial
Sortir un film à Noël permet aussi de lancer des campagnes de promotion l’été et de susciter l’attente du jeune public. Les produits dérivés apparaissent dans les rayons avant même la sortie du film en salles.
La sortie d’un film Disney à Noël permet également à Disneyland Paris de bénéficier d’un effet de synergie car la période novembre-février correspond à la basse saison : cependant, une sortie trop tardive dans l’année ne laisse pas assez de temps aux parcs pour s’organiser. ni pour le public de s’immerger dans les chansons. Ainsi, le spectacle indestructible autour La reine des neiges à Disneyland Paris a commencé bien après la sortie du film en salles.
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L’influence des émissions de télévision
Il ne faut pas négliger l’importance de la télévision dans la construction de cette idée de « Christmas Disney ». Le déploiement de l’univers Disney et l’association entre « films Disney » et « Noël » trouvent leurs origines fin 1961 dans l’émission pour enfants L’Ami public numéro un.
Le programme, présenté par Pierre Tchernia, illustre la volonté de collaboration de la société Disney « améliorer les relations entre les industries du cinéma et de la télévision ». Cette émission, diffusée de 1961 à 1978 sur la première chaîne ORTF puis sur TF1, proposait des courts métrages inédits ainsi que des longs métrages « classiques » du studio américain.
L’émission SVP Disney a été diffusée entre 1964 et 1978, le jour de Noël. Une liste de films était proposée en début de programme afin que les téléspectateurs puissent choisir les extraits qu’ils souhaitaient voir diffusés, en appelant le numéro « SVP ».
Tout au long de ces quatorze années, un véritable horizon d’attente s’est créé pour des millions de téléspectateurs, petits et grands, avec la promesse qu’à chaque Noël, ils pourront interagir avec leurs personnages préférés. Cette pratique de diffuser Disney à Noël n’a jamais cessé, que l’on pense aux programmes spéciaux présentés par Jean-Pierre Foucault dans les années 1990 ou aux longs métrages diffusés par les chaînes chaque année.
« Christmas Disney » est devenu un incontournable, d’autant plus que pendant des décennies il n’y avait pas de concurrent sérieux sur ce créneau rentable. Ajoutons enfin que la Walt Disney Company France pouvait garder un film en réserve des semaines, voire des mois avant de décider de le sortir pour Noël : avant l’émergence d’internet, il n’y avait aucun risque de piratage ou de « spoilers ». Désormais, les sorties des grands films sont simultanées sur tous les territoires, ce qui explique qu’à partir des années 2000, certains longs métrages Disney sortent à une autre époque que Noël, ce qui n’empêche pas leur succès.
La version originale de cet article a été publiée dans La conversation.
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