Après la nomination de Thani Mohamed Soilihi au gouvernement fin septembre, le siège de sénateur de Mayotte est devenu vacant. Sa remplaçante, nièce d’un célèbre militant du maintien de l’archipel au sein de la République française, lui succède.
Mayotte a toujours été une exception au sein de la République. Par son histoire, par sa culture, par sa politique migratoire (différente de tous les autres départements français), par ses nombreux enjeux (économiques, environnementaux, sécuritaires…). Mais les Mahorais, très attachés à leur identité française, aspirent à ne plus être une particularité. A cet égard, l’entrée historique de l’un d’entre eux au gouvernement constitue un premier pas.
Samedi 23 novembre, à l’image du chef de l’Etat d’une grande puissance mondiale, le natif Thani Mohamed Soilihi a été accueilli en grande pompe par ses concitoyens de Mayotte. C’était la première fois qu’il rentrait chez lui depuis sa nomination dans l’équipe ministérielle de Michel Barnier, le 21 septembre 2024, au poste de secrétaire d’État chargé de la Francophonie et des Partenariats internationaux. Ce n’est certainement pas le ministère le plus prestigieux. Mais quand même. Une grande première pour Mayotte.
D’autant que cette grande première historique n’est pas venue seule : en rejoignant l’exécutif, Thani Mohamed Soilihi, avocat devenu sénateur de Mayotte en 2011, a laissé vacant son siège au Sénat. Siège désormais occupé par une femme : Salama Ramia. Cela aussi, une première.
Samedi, le sénateur faisait également partie de la délégation du secrétaire d’Etat venue à Mayotte pour goûter à la ferveur populaire. « Nous écrivons aujourd’hui une page essentielle de notre histoire »elle a déclamé depuis l’estrade devant une foule massée sur la place des Congrès, à Pamandzi. Une page qu’elle souhaite elle-même contribuer à écrire.
Après son accession au Sénat il y a deux mois, elle a également reçu un accueil chaleureux de la part de la population à son retour sur son île. C’était le 5 octobre. A l’aéroport de Dzaoudzi-Pamandzi, un comité de femmes, vêtues de la salouva traditionnelle de Mayotte, est venue l’acclamer et lui glisser des colliers de fleurs autour du cou. Ces dernières années, cet accueil chaleureux était réservé à Marine Le Pen, personnalité politique nationale acclamée dans l’archipel pour son discours radical sur l’immigration.
Salama Ramia n’a rien de Marine Le Pen. Loin de là. “Toutes les femmes ont enfin vu en moi une femme sénateur, ce qu’on attendait depuis très, très longtemps”» a-t-elle déclaré depuis l’impressionnante salle de conférence du Sénat. C’est ici, désormais, qu’elle travaille. Sous l’or de la République. Là où les lustres sont dorés, les canapés sont en velours et le tapis est rouge vif.
Le 21 septembre, l’adjointe au maire de Pamandzi, commune de Petite-Terre d’où est originaire sa famille, se trouve à Paris lorsqu’elle reçoit un appel téléphonique de Thani Mohamed Soilihi. Il lui annonce sa promotion. Et donc qu’elle le remplacera au Sénat. “Ça a été un peu un choc (…) Ça m’a coupé l’appétit”se souvient-elle en riant.
Une fois la nouvelle reçue, elle se rend directement au Sénat, près du jardin du Luxembourg, pour se mettre au travail et prendre ses marques. En réalité, la sénatrice était déjà préparée, puisque depuis fin 2023, elle est collaboratrice parlementaire de sa colistière. Elle connaît donc bien les dossiers.
Salama Ramia et Thani Mohamed Soilihi se connaissent depuis longtemps. Malgré sa discrétion, l’homme « est un avocat connu localement ». Pour sa troisième campagne sénatoriale en 2023, il a demandé à celle qui était alors élue localement de devenir son adjointe. Elle accepte, mais pose ses conditions : “Je ne voulais pas être un simple remplaçant, je voulais vraiment m’investir.” Parfait pour le candidat sénateur : « J’ai souhaité identifier un remplaçant rigoureux, engagé et efficace pour mobiliser sur les questions parlementaires au service de nos concitoyens »explique le secrétaire d’État aux Outre-mer 1er.
Issue d’une famille renommée de Mayotte – son père est militaire, son frère est triple champion du monde de boxe – Salama Ramia est née et a grandi en France. Après ses études de commerce, elle décide de s’installer sur l’île de ses parents, à contre-courant des autres, qui prennent pour la plupart le chemin inverse. Elle a ensuite travaillé dans le monde des chambres consulaires et dans le développement économique de l’archipel.
A son arrivée en 1993, Mayotte n’était pas encore un département français. Mais, dans la famille Ramia, le combat pour la défense du territoire au sein de la République est sacré. Sa tante, Coco Madi, est une célèbre Chatouilleuse, du nom de ces militants qui chassèrent les émissaires comoriens dont la mission était de rallier Mayotte au reste des îles Comores, indépendantes depuis 1975. Zéna M’déré, Zakia Madi, Zaïna Méresse. .. Ce sont principalement des femmes mahoraises qui se sont mobilisées pour préserver le statut de Mayotte. Salama Ramia garde cet activisme républicain en héritage : «Je continue le travail qu’ils ont commencé»suppose-t-elle.
Localement, son arrivée au Sénat est perçue comme une réparation pour les femmes. Car, à Mayotte, ce sont majoritairement les femmes qui mènent les combats politiques. Ce sont eux qui se sont battus, à coups de chatouilles, pour que Mayotte reste française. Ce sont eux aussi qui se sont battus pour obtenir la départementalisation. Ce sont eux, encore une fois, qui se lèvent pour protester contre la politique migratoire française à Mayotte, contre l’insécurité et pour la convergence des droits entre le territoire et la France. Pourtant, pendant longtemps, si le combat local a été porté par les Mahoraises, ce sont les hommes qui ont obtenu des postes de pouvoir et se sont rendus à Paris pour représenter l’archipel.
Ce vent a tourné. En juillet, lors des élections législatives, les électeurs de Mayotte ont élu deux femmes à l’Assemblée nationale (sur les deux circonscriptions que compte le territoire) : Estelle Youssouffa, militante aguerrie contre l’immigration clandestine qui siège au sein du groupe Libertés, indépendants, Outre-mer et Territoires (LIOT), et Anchya Bamana, fille de Younoussou Bamana, premier député représentant le territoire en 1978, qui, elle, a rejoint le rangs du Rassemblement national.
« Ma nomination a suscité un grand espoir et un enthousiasme incroyable à Mayotte »se réjouit Salama Ramia, qui se heurte idéologiquement à ses deux sœurs du Palais Bourbon. D’une voix calme, assurée et sereine, elle énumère ses trois priorités. : foncier, convergence sociale et développement économique. Contrairement aux députés mahorais, qui font régulièrement une fixation sur l’immigration.
Ce n’est pas que le sujet ne soit pas important… Bien sûr, l’immigration est un sujet important. Mais ce n’est pas seulement ça, c’est tout. Je pense qu’il faut aussi réfléchir à ces autres sujets qu’il ne faut pas négliger.
Salama Ramia, sénateur de Mayotte
« Ma priorité, par exemple, serait le foncier. Les communes [mahoraises] ont des difficultés de ressources. Aujourd’hui, à peine 30 % des terres sont enregistrées »dit-elle. Mais son travail parlementaire est actuellement consacré au budget de l’année prochaine, actuellement en discussion au Palais du Luxembourg.
Membre du groupe du Rassemblement des Démocrates, Progressistes et Indépendants (RDPI, proche du parti présidentiel), Salama Ramia a voté un amendement visant à harmoniser les conditions de résidence entre Mayotte et la France pour l’ouverture des droits familiaux et l’extension de l’assurance vieillesse. pour les soignants de son territoire. Une première grande victoire de l’élu dans les discussions sur le projet de loi de finances de la Sécurité sociale. Reste désormais à elle et à ses collègues d’outre-mer du Sénat à économiser les crédits de la mission Outre-mer, qui sera étudiée dans les semaines à venir.
Samedi, sur la place des Congrès de Pamandzi, la nouvelle sénatrice de Mayotte ne l’a répété qu’à plusieurs reprises, rendant hommage à son prédécesseur devenu secrétaire d’État : « Ce moment n’est pas une fin en soi, mais le début d’un chemin à parcourir ensemble. (…) Nous sommes des relais entre Mayotte et Paris. Et nous renforcerons ce pont, jour après jour, avec la volonté de faire avancer notre île.
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