Il n’en faut pas beaucoup pour que Clara Colman éprouve le plaisir de faire des sauts de chèvre à répétition. Il lui suffisait de voir Maxime Sorel abandonner, quelques jours après s’être abîmé la cheville sur son bateau, pour lui donner un petit haut-le-cœur. Car au moindre pépin qui frappe l’un des concurrents du tour du monde en solitaire, la femme de Conrad ne peut s’empêcher de « penser à ce qui pourrait arriver » pour son homme, qui dispute son deuxième Vendée Globe.
Il faut dire que le Néo-Zélandais a souvent mis le cœur de son épouse à rude épreuve en partant braver les océans, comme lors du Vendée Globe 2016, où il était passé par-dessus bord après une manœuvre qui l’avait éjecté de son bateau. Heureusement, il a pu remonter sur son Imoca et terminer la course. Huit ans plus tard, Conrad Colman, au milieu de l’Atlantique, solide sur ses pieds, se souvient de cette mésaventure :
« J’avais mis ma vie en danger, mais j’ai décidé de ne le dire à personne, je ne voulais pas inquiéter ma femme. Sauf que j’avais oublié que je n’en avais pas parlé, et j’ai ressorti cette histoire lors de la conférence de presse à l’arrivée du Vendée Globe. Ma femme et tous mes proches présents me regardaient d’une manière bizarre, du genre « tu es fou ou quoi ». »
Discussions avant la course
«Quand je l’ai appris lors de cette conférence de presse, cela m’a choquée», nous raconte aujourd’hui Clara Colman. Je suppose que c’était un peu émouvant d’entendre cela. Il y avait beaucoup de sentiments mitigés, mais j’étais très bouleversé. Il a fallu crever l’abcès. Nous en avons discuté et il a admis qu’en effet, peut-être qu’il aurait été bien de me prévenir avant la conférence de presse. » Que voulez-vous dire avant la conférence de presse ? Pas juste après l’accident ?
Eh bien non. Car le couple, après une sorte de Conseil de sécurité conjugal de l’ONU, a décidé d’éviter d’aborder des sujets qui agacent lorsque l’homme part en mer. « S’il y a des situations qui le mettent vraiment en danger, mais au final, tout va bien, effectivement, il ne m’en parle pas, assure Clara Colman. Pour moi, cela ne me fait pas grand chose, à part ajouter au stress que j’ai encore un peu de toute façon. »
“C’est une question de confiance”
Alors, comment pouvons-nous gérer au mieux l’inquiétude des proches laissés derrière nous ? Peu de skippers adoptent la stratégie de l’aveuglement utilisée par le couple Colman, mais la manière d’annoncer les « mauvaises » nouvelles diffère selon la flotte. Quelques heures après avoir abandonné, en raison d’une grave blessure à la cheville qui l’a empêché d’effectuer des réparations sur son Imoca, Maxime Sorel (V et B-Monbana-Mayenne) nous raconte avoir tout expliqué en détail à ses proches :
« Je préfère tout dire. Là, j’ai dit : « J’ai pris un coup à la cheville, ça fait mal, mais je ne sais pas comment ça va évoluer ». J’envoyais des photos toutes les douze heures à l’équipe médicale de l’organisme, à mon staff, à mes proches pour voir l’évolution de la cheville. Si vous savez que la personne pourrait potentiellement vous cacher des choses ou que vous voyez qu’elle ne vous dit pas tout, cela peut vous inquiéter davantage. C’est une question de confiance. »
Confiance, le mot revient souvent lorsqu’on discute avec les marins et leur entourage. Partir trois mois en mer, sur des bolides, dans des conditions parfois compliquées et dangereuses, peut vous faire passer quelques nuits blanches. Et encore plus lorsqu’on se retrouve à la direction de l’équipe, comme Servane Escoffier, l’associée de Louis Burton et team manager de Bureau de la Vallée : « Quand il y a un problème sur le bateau, en ce moment, depuis quinze ans dans mon rôle, j’arrive à gérer l’urgence en premier et j’ai su gérer et mettre les émotions de côté. Mais cela ne veut pas dire qu’avec le recul, je n’en ai pas. »
“On ne cache rien aux enfants”
D’autant que, lors du Vendée Globe, elle doit aussi gérer les émotions des enfants et les tenir informés d’éventuels incidents. “Si jamais cela devient très, très compliqué, les enfants ne resteront pas à la maison”, ajoute celle qui est aussi navigatrice. lundi soir [quand Louis Burton a été victime d’une avarie]les deux sont entrés dans une bulle de douceur chez mon père. En revanche, nous ne leur avons jamais rien caché. Mon téléphone est toujours allumé, ils me voient très régulièrement au téléphone la nuit pour des petits incidents ou des choses gênantes. »
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Si Louis Burton et Servane Escoffier choisissent de tout se dire, sans prendre la peine, pour que l’équipe soit la plus réactive possible, Eric Bellion (Soyez unis), il préfère s’occuper du chou et de la chèvre. « Sachant que c’est ma femme qui répond à la hotline, je vais tout dire. Après, je fais très attention à la manière dont je le dis, avec un ton positif. Je ne suis pas alarmiste tout de suite. Je peux dormir une demi-heure et appeler après. Après, si ma vie est en danger, j’appelle tout de suite. »
Qu’il y ait ou non une transparence totale dans le couple, les proches restés à terre savent, de toute façon, que la profession est en danger. « Nous sommes conscients qu’il s’agit d’humains sur de très gros bateaux avec des conditions météorologiques incontrôlables », constate Clara Colman. Lorsque quelque chose ne va pas, l’effet domino est généralement assez violent. » Et elle n’avait pas besoin d’un aveu incontrôlé en conférence de presse pour le savoir.
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