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« Pourquoi, quand, comment et où Anthony est-il mort ? »

Cette vision hante Bernadette Loriot, la mère adoptive d’Anthony Lambert depuis près de trois ans, tout comme sa fille Déborah, qui prétend être la sœur du jeune de 17 ans. « Dans la vidéo, il court nu, avec un sac sur le dos. Il a l’air terrifié. » La séquence d’à peine dix secondes a été tournée à 11h34 le 31 décembre 2021. C’est la dernière trace de vie du garçon. Après des jours d’immense inquiétude pour ses proches, Anthony a été retrouvé le 9 janvier 2022, sans vie, à l’orée d’une parcelle de vigne, sans vêtements, sans chaussures et sans sac à dos.

« Anthony a été retiré à cinq jours à peine à sa famille, reconnue inapte », décrit Bernadette. Sa mère n’a jamais été dangereuse ou abusive. Elle a eu du mal à s’occuper d’elle-même… puis d’un enfant… » Le bébé suit le parcours classique d’un enfant placé, d’abord en crèche, puis en foyer. A 4 ans, Bernadette Loriot est désignée famille d’accueil, mais uniquement pour les week-ends et les jours fériés. « On n’a jamais su pourquoi, toutes nos demandes et celles d’Anthony pour qu’il vive à temps plein avec nous ont été refusées », regrette Bernadette. La semaine, le garçon vit dans un foyer, de manière assez traditionnelle. Jusqu’en septembre 2021.

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Au foyer Loriot, la famille d’accueil temporaire d’Anthony Lambert a conservé de nombreuses photos du jeune homme (ici un enfant) disparu en janvier 2024, à l’âge de 17 ans.

Paris Match / © Laurence Geai

J’ai séjourné dans un camping

Le département de Saône-et-Loire délègue, comme c’est souvent le cas, l’hébergement de certains enfants à une association. Concept Ressources possède un camping à Laives, c’est ici qu’Anthony est d’abord hébergé puis, mi-décembre, il est transféré dans un autre lieu. « On sait juste que c’est un autre camping, mais au début, on ne sait pas du tout où il se trouve », s’étonne encore Déborah. Elle apprendra bien plus tard qu’il s’agit du camping de Lugny. En construction, le lieu n’a rien d’un air de vacances, quelques cabanes et Algeco qui servent principalement à loger les saisonniers pour les vendanges. « On nous a dit que c’était une expérimentation… avec un mélange des genres ! » dénonce Déborah.

Anthony se retrouve hébergé avec deux jeunes délinquants suivis par la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ). Il partage une chambre dans un Algeco avec l’un des deux. Profils diamétralement opposés. « Anthony était timide, gentil, rêveur, décrit Bernadette. Il adorait peindre les galets qu’il disposait à divers endroits, à la plage, sur des murets. Et il passait un temps interminable à observer les étoiles avec le petit télescope qui lui avait été offert. » La tête dans la Lune, le garçon a pourtant les pieds sur terre. Son modèle est sa grande sœur, de près de 15 ans son aînée, qui a réussi sa vie, même si elle est aussi passée par des foyers d’aide à l’enfance. « Tu verras, je m’en sortirai, comme ma sœur », répétait-il à Bernadette. Il a décroché un contrat d’apprentissage dans une boulangerie, il sait qu’à sa majorité, dans quelques mois, il bénéficiera de l’aide de l’ASE pour le logement et que sa vie d’adulte sera lancée.

“Je ne peux rien dire, ce sont des grands, ils peuvent s’en prendre à moi”

Pourtant, lorsqu’il revient chez les Orioles à Noël, il n’est pas à l’aise. L’adolescent habituellement joyeux est apathique, il passe une bonne partie de ses journées à dormir, il refuse même de jouer au football avec les enfants de Déborah, dont il est très proche. Sans enthousiasme, il confie à ce dernier : “Il y a des choses qui me dérangent au camping… Des problèmes de drogue, des choses qui ne vont pas.” Lorsque sa mère lui pose des questions, il se montre évasif : « Tu sais ma tante, je ne peux rien dire, ce sont des grands, ils peuvent m’attaquer. »

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« Je regrette tellement de ne pas avoir pris ces réflexions plus au sérieux… » La silhouette maigre de Bernadette est submergée par un sanglot. Elle se souvient du départ d’Anthony, puis du silence qui a suivi. Le vendredi 31 décembre 2021, c’est la sœur biologique d’Anthony, Julia*, qui a tiré la sonnette d’alarme. « Elle a essayé d’appeler Anthony et un autre garçon a répondu en disant qu’Anthony lui avait donné sa carte SIM. »

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Anthony était timide, gentil, rêveur, décrit Bernadette, sa mère. À Noël dernier, quelques jours avant sa mort, l’adolescent habituellement joyeux était apathique. Sans enthousiasme, il confie sa peur des « grands ».

Paris Match / © Laurence Geai

“Désolé madame, nous allons le tuer”

Avertie, Bernadette se rend à Lugny avec Sarah, une des jeunes femmes qu’elle a accueillies. « J’ai tout de suite senti qu’on dérangeait, j’en ai entendu un dire ‘qu’est-ce qu’ils font ici ?’ « . J’ai décidé de rester. » Sarah, 20 ans, tente de discuter avec les deux jeunes suivis par la PJJ. «Ils se comportaient bizarrement», explique Bernadette. Je remarque tout de suite que l’un d’eux porte les bijoux d’Anthony. Il répond : « C’est bon, c’est mon ami, il me les a donnés. » Soudain, le jeune homme, presque en transe, me dit : « Désolé madame, on va le tuer. » » Le jeune homme répète trois fois cette terrible phrase. Terrifiée, Bernadette essaie de lui faire en dire plus mais n’aura aucune explication.

A 14 heures, le téléphone de Julia sonne. C’est le numéro de son frère, mais toujours le plus jeune suivi du PJJ : “ça y est, on a retrouvé Anthony !” » « J’étais fou de joie, j’ai appelé l’adjudant de gendarmerie pour lui demander où je pouvais aller le chercher, et il m’a répondu que pas question, il n’avait pas été retrouvé. » » La ligne d’Anthony ne répondra plus jamais. Des recherches ont été organisées dans l’après-midi, mais arrêtées à 16h30. « On découvrira plus tard que la fameuse vidéo filmée par Anthony était connue du maire de Lugny et de la gendarmerie le 31 décembre, alors quand ils arrêtèrent les recherches ce jour-là, ils savait qu’il courait nu dans un champ. Cela ne semble pas les avoir inquiétés», dénonce Déborah.

La chasse est organisée par Déborah, qui ne se sent soutenue ni par la gendarmerie ni par la mairie de Lugny.

Les jours suivants, Bernadette et Déborah se rendent à la police et on leur remet la carte SIM d’Anthony. « Je leur ai demandé s’ils l’avaient fouillé, mais ils m’ont répondu qu’Anthony est mineur et qu’ils ne peuvent fouiller une carte SIM qu’en cas de terrorisme », se souvient Déborah. Je n’en savais rien, je les croyais. Tout était bizarre, d’après ce qu’ont dit les éducateurs du camping – excusez-moi mais en fait c’étaient un mécanicien, ou l’ivrogne du coin, amis du patron de Concept Ressources –, ils sont incapables de dire à quel point. heure où il a disparu, probablement dans la nuit du 30 au 31 décembre 2021, entre 4h et 10h, c’est quand même très large ! »

Déborah décide d’organiser une chasse à la chasse, elle ne se sent en aucun cas soutenue par la gendarmerie ou la mairie de Lugny. Les perquisitions ne pourront avoir lieu que le vendredi suivant, le 7 janvier 2022. Le rendez-vous est fixé à 9h30, mais à partir de 12h30, les gendarmes qui ont finalement rejoint le cortège ont forcé l’arrêt des recherches. « La météo était mauvaise, ils ne voulaient pas prendre de risques », se souvient Déborah. Nous nous sommes retrouvés au bout d’un long champ. Et nous nous sommes retournés. » Dimanche, les chasseurs appellent au secours. Ils viennent de retrouver le corps sans vie d’un jeune homme. C’est Antoine. Il ne se trouve qu’à quelques mètres de l’endroit où les recherches se sont arrêtées deux jours plus tôt.

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Ici repose Anthony, 17 ans. Placé à l’Aide à l’enfance (Ase) lorsqu’il était nourrisson, il a été retrouvé mort en janvier, nu au milieu d’un champ. Anne-Marie Laveder, présidente de La Vérité pour Anthony, cherche à élucider la cause du décès du jeune homme, « hébergé » dans un camping par l’Ase avec des mineurs délinquants.

Paris Match / © Laurence Geai

Anthony est découvert nu, la police le traite de « survivaliste »…

« Je ne peux m’empêcher de penser que cela a été mis là exprès, sachant que nous n’avions pas exploré cette zone », explique Déborah. La presse parle de déshydratation comme cause du décès mais lorsque Déborah et Bernadette rencontrent le médecin légiste qui a pratiqué l’autopsie, celui-ci assure que ce n’est pas le cas, qu’il y avait même de l’urine dans sa vessie. « Il est mort d’hypothermie », nous a-t-il expliqué. En revanche, il ne nous parle que d’excoriations pour les blessures de sa peau. Mais chez les pompes funèbres, on nous a expliqué que c’était bien plus que des égratignures. On nous a même dit qu’il n’avait jamais vu un corps en aussi mauvais état. »

Anthony est découvert nu, sans vêtements, sans sac à dos, sans chaussures. Dès les premiers jours de l’enquête, les gendarmes ont laissé entendre que le jeune homme était un adepte du survivalisme, et aurait tenté une expérience en courant nu dans les champs tout en tenant son sac à dos sous sa doudoune blanche. « Nous n’avions pas encore vu la vidéo. Maintenant, nous savons qu’il n’avait pas sa doudoune. D’ailleurs, cela fait partie des effets qui nous ont été restitués. Et puis, le survivalisme… Anthony était timide, il avait peur de sortir le soir, il n’aurait jamais fait une chose pareille. »

Dès le lendemain de la découverte du corps, le camping a commencé à être démantelé

Tout dans cette histoire plaît à la famille Loriot : « Dès le lendemain de la découverte de son corps, ils commençaient déjà le démantèlement du camping de Lugny. L’un des deux jeunes suivis par la PJJ a été hébergé quelques jours par la directrice de Concept Ressources, raconte Déborah. On nous disait que mon frère de cœur avait des problèmes psychologiques car il aimait les pierres et les étoiles… Sur les photos de l’association sur Internet, on voit Anthony servir aux soirées Concept Ressources, sur une autre, un des jeunes de la PJJ porte les baskets. que j’avais donné à Anthony et sur un autre son jogging… Et puis, ces blessures qu’on ne nous explique pas. » Pendant des mois, rien ne s’est passé.

En avril 2022, sur les conseils de leur avocat, Déborah et Bernadette porteront plainte pour enlèvement, séquestre et homicide involontaire. Une information judiciaire est ouverte, mais des changements de juges d’instruction liés aux mutations ou aux congés maternité notamment mettent un terme complet à l’enquête. « Il n’y a rien eu pendant presque deux ans. Nous n’avons été reçus par le juge d’instruction qu’en mai dernier », s’indigne Déborah. Mais le magistrat a assuré prendre l’enquête en main. Désormais, soutenus par l’association Vérité pour Anthony, les Orioles se battent plus que jamais pour enfin découvrir ce qui est arrivé à ce jeune homme. « Nous devons savoir : pourquoi, quand, comment et où il est mort. »

 
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