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Fabrice Leggeri « On ne peut pas se permettre de voir en Guyane une situation comparable à celle de Mayotte ! »

Vous êtes allé en Guyane. Là-bas, le droit européen ne s’applique pas. Concrètement, quelles différences avez-vous constatées par rapport à votre expérience avec Frontex ?

J’avais depuis quelques temps envie de visiter un territoire particulier : un département français situé hors de l’espace Schengen et hors de certaines dispositions du droit de l’Union européenne. Ce département dans lequel la exerce sa souveraineté en matière migratoire. Ce souhait s’inscrivait également dans une volonté de rencontrer nos compatriotes d’outre-mer. Je me suis rendu en Guyane, comme vous l’avez évoqué, accompagné de Rody Tolassy, ​​député européen du Rassemblement national en Guadeloupe.

Ce voyage m’a permis d’apprécier la souffrance de nos compatriotes, confrontés à des violences importées. La Guyane, située en Amérique du Sud, partage des frontières pas toujours bien contrôlées, et fait face à des défis de développement spécifiques à ce territoire. Tels étaient les objectifs de mon séjour.

Cela pourrait vous surprendre, en tant qu’ancien directeur de Frontex, mais je voudrais dire qu’actuellement, et très heureusement, Frontex n’a pas la compétence juridique pour intervenir en Guyane, ni à Mayotte d’ailleurs. C’est donc une chance que Frontex ne soit pas présente dans nos territoires d’outre-mer et ne puisse pas envoyer tous ces militants depuis l’Europe. La population guyanaise, qu’elle soit française ou étrangère résidant légalement sur place, est pleinement consciente de la précarité de la situation.

C’est un territoire économiquement moins développé, malgré un potentiel important, et qui fait face à une croissance démographique extrêmement rapide. Cela entraîne des défis majeurs dans des secteurs tels que l’éducation et la santé. On ne peut donc pas se permettre de voir en Guyane une situation comparable à celle de Mayotte.

On se retrouve parfois dans des situations assez paradoxales, typiques du droit administratif français. Par exemple, en ce qui concerne les Centres de rétention administrative (CRA), pour renvoyer des détenus en Amérique du Sud, ils doivent d’abord passer par Paris. Que pensez-vous de cette situation ?

J’ai effectivement visité le centre de rétention administrative près de Cayenne, où nous avons été chaleureusement accueillis par les agents de la police aux frontières. Nous avons ensuite rencontré le préfet de Guyane, qui nous a reçu avec une grande disponibilité. Il était accompagné des directeurs des services impliqués dans la protection des frontières, comme le directeur départemental de la police des frontières, le commandant des groupes de gendarmerie, en raison de la lutte contre l’orpaillage, et le chef des douanes.

Il y avait aussi le général, commandant du dispositif militaire en Guyane, impliqué dans la sécurisation des frontières et la lutte contre l’orpaillage. Cet accueil montre que le Rassemblement national est un parti sérieux, et que le gouvernement ne peut se permettre de négliger, pour ainsi dire, une délégation composée de trois parlementaires européens français appartenant à notre mouvement. Par la suite, mes collègues et moi avons visité la frontière à Saint-Laurent-du-Maroni.

Nous avons navigué en pirogue sur le Maroni, qui forme la frontière entre la France, et plus précisément le département de la Guyane, et le Suriname, ancienne colonie hollandaise, encore influencée par les Pays-Bas, bien qu’aujourd’hui totalement indépendante. En revenant au centre de rétention administrative, nous avons pu constater l’absurdité de la situation : pour renvoyer des étrangers en situation irrégulière en Guyane vers leurs pays voisins d’Amérique du Sud, il faut qu’ils passent d’abord par Paris.

En effet, des policiers français nous ont expliqué qu’ils se retrouvent souvent obligés de faire transiter des migrants irréguliers par Roissy, ce qui les oblige à les transporter vers la métropole. Cela représente un voyage d’environ 8 000 kilomètres, avant de les renvoyer en Amérique du Sud. C’est une situation absurde.

D’un point de vue logistique, on peut dire que, sur le plan économique et financier, cela constitue une gestion inefficace des ressources. Mais au-delà de cet aspect, cela présente aussi un risque juridique, car ces personnes se trouvent sur un territoire français à statut particulier. En effet, ce territoire échappe au cadre des règles de l’Union européenne en matière d’immigration et de gestion des frontières. En les emmenant sur le territoire métropolitain, nous les transportons vers une zone où le droit européen s’applique pleinement.

Qu’est-ce qui vous a motivé à quitter votre poste de directeur de Frontex pour devenir député européen du Rassemblement national ? Qu’est-ce qui a motivé ce changement d’orientation dans votre carrière ?

J’ai toujours essayé de travailler dans le respect des règles européennes telles qu’elles existent, du moins en théorie. Mon objectif était de faire fonctionner Frontex comme une véritable agence de garde-frontières et de garde-côtes, conforme aux attentes des États et des gouvernements nationaux, y compris celui de gauche de Madrid, qui, bien qu’ayant du mal à se prononcer contre les ONG, n’a pas mis aucune résistance lorsqu’il s’agissait de trouver des solutions pour réduire le nombre de migrants. C’était ce qu’on attendait de nous.

Cependant, un rapport de force s’est rapidement imposé. J’ai pris mes fonctions en janvier 2015 et je les ai quittées en avril 2022. Dès l’été 2017, nous ressentions déjà des tensions. L’agence connaît une croissance phénoménale, tant en termes d’effectifs que de budget. Dans mes discours publics, j’ai commencé à affirmer que Frontex n’était pas une ONG humanitaire et qu’il ne fallait pas en faire une super ONG.

Je l’ai dit à mes collaborateurs lors des séminaires de cohésion et de formation interne, et j’ai exprimé de plus en plus cette position dans mes communications publiques et dans les médias au niveau européen. J’ai réitéré que notre rôle devrait être celui d’une force de police aidant les États membres à contrôler leurs frontières, et que nous ne devrions pas agir comme des ONG ni collaborer avec elles à cet égard. Cette déclaration a mis fin à un tabou et levé l’ambiguïté qui existait sur la mission de l’agence.

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