Procureur et président du tribunal judiciaire non remplacés, absence d’un directeur du greffe… Les avocats guyanais dénoncent la vacance des postes de chefs de tribunal à Cayenne, une juridiction qui peine à attirer alors qu’elle croule sous les dossiers.
Le tribunal judiciaire de Cayenne attend son procureur de la République. Ayant quitté la Guyane fin mai pour devenir magistrat de liaison en Italie, Yves Le Clair n’a toujours pas été remplacé.
Idem pour le président du tribunal judiciaire Mahrez Abassi, nommé en juillet à la cour d’appel de Paris. Quant au directeur des services du greffe, son poste est vacant depuis 18 mois.
Les trois postes les plus importants dans un tribunal judiciaire « vacants en même temps » : la situation est « sans précédent », prévient le barreau de Guyane.
« Cela se passerait à Créteil ou à Marseille, ce ne serait pas accepté. Mais statistiquement, l’activité judiciaire, les actes criminels sont plus importants en Guyane, proportionnellement à la population», souligne auprès de l’AFP Me Christine Charlot, la bâtonnière de l’Ordre des avocats.
Réunis en assemblée générale extraordinaire début octobre, les avocats ont voté une motion visant à alerter le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), le Conseil national des barreaux et le garde des Sceaux Didier Migaud.
Constituée d’une quarantaine de magistrats répartis entre la cour d’appel et le tribunal judiciaire, la juridiction de Guyane doit gérer 80 % des affaires pénales, contre 20 % en moyenne en France.
Le territoire amazonien de 300 000 habitants fait face à « 700 vols à main armée chaque année », selon le procureur général Joël Sollier. Un flux incessant à absorber.
– « Pilote dans l’avion » –
“La justice n’est pas à l’arrêt, mais il n’y a pas de politique pénale définie en l’absence de procureur, donc pas d’harmonie dans les décisions et dans le traitement des dossiers”, déplore Me Charlot qui estime que la Guyane doit “avoir un pilote dans l’avion”. ».
Malgré cette situation, le parquet assure à l’AFP qu'”aucune rupture n’est à déplorer dans le suivi des dossiers”. Son bureau a maintenu un rythme soutenu « sur tous les domaines prioritaires en Guyane : vols à main armée, orpaillage, stupéfiants », précise Gisèle Auguste, la procureure par intérim, qui dirige 14 parquets.
« Les audiences ont lieu, les jugements sont rendus et les policiers sont dirigés », ajoute le procureur général.
Mais le fonctionnement n’est « pas optimal », reconnaît le haut magistrat. “Lorsque vous exercez des fonctions temporaires, vous hésitez voire êtes incapable de prendre des décisions à moyen ou long terme, vous êtes condamné au court terme”, estime-t-il.
Contacté par l’AFP, le ministère de la Justice souligne que “le ministre de la Justice a demandé à ses services que ces postes vacants avant son arrivée soient pourvus dans les plus brefs délais”.
Le Conseil supérieur de la magistrature, qui a initié la nomination du président du tribunal judiciaire, assure « que le processus de nomination est bien engagé ».
Mais les différents circuits de recrutement rendent complexes ces nominations, qui nécessitent de trouver un consensus entre plusieurs entités.
Pour le poste de directeur des greffes, « il y a eu 12 appels à candidatures, sans résultat », précise le ministère de la Justice qui se heurte au manque d’attractivité de la justice guyanaise à ce poste.
Une situation récurrente. En octobre 2022, les magistrats de Guyane ont décrété une semaine de « justice morte » pour alerter la Chancellerie sur le manque de moyens humains.
Le procureur Yves Le Clair avait alors estimé à 6 000 le nombre de « jugements en attente d’exécution ». Ce stock a été « réduit à 1.600 », selon le procureur général Joël Sollier, et sera « liquidé d’ici la fin de l’année », assure-t-il, tout en déplorant « beaucoup trop de dossiers à l’instruction ».
En réponse à ces difficultés, Eric Dupond-Moretti a annoncé l’expérimentation, à partir du 1er janvier 2023, d’une « brigade de soutien aux urgences » destinée à soulager les services judiciaires.
Ce système permet à des magistrats volontaires d’exercer leurs fonctions pendant six mois, un système qui a permis d’attirer des profils expérimentés et de fidéliser certains d’entre eux.
Considérée comme temporaire, cette solution d’urgence tend à être permanente. Aujourd’hui, la quatrième génération de brigadistes est stationnée en Guyane.
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