La tête baissée la plupart du temps durant cette première des trois journées d’audience devant la cour d’assises de la Charente-Maritime, à Saintes, Jorgo Tare, un ressortissant albanais de 55 ans, détourne le regard lorsque l’huissier dit au jury et à tous intervenants deux couteaux et une paire de ciseaux. Trois armes qu’il a utilisées un jour de mai 2022, jeudi 19, contre celle qui était son épouse. C’était à La Rochelle, boulevard Sautel.
Même attitude lorsque l’enquêteur commente les photographies de la scène de crime, une tentative d’homicide. L’accusé écoute son interprète mais semble parfois complètement étranger à la procédure. De temps en temps, son regard se porte vers la victime, Marjeta, mère de leurs trois fils, aujourd’hui âgés de 21, 19 et 14 ans. À ses côtés sont assises deux autres parties civiles : Laurence, bénévole d’une association d’aide aux demandeurs d’asile, et la deuxième des enfants. Tous deux sont intervenus lorsque Jorgo Tare a tenté de tuer Marjeta. Ce qui leur doit très certainement d’être encore en vie.
“La mère est terrifiée”
La veille des faits jugés par la cour d’assises, Jorgo Tare, interdit de séjour en France après avoir été reconnu coupable de violences conjugales et menaces de mort par le tribunal de La Rochelle en 2021, était arrivé au domicile de Marjeta. Il a tenté de l’étrangler, de la frapper et de la menacer de mort en présence de la plus jeune, alors âgée de 16 ans. Il a réussi à s’échapper. Dès lors, tout est fait pour mettre la main sur l’homme violent, apparemment arrivé à La Rochelle le jour même après un périple à travers la Turquie et la Suisse. Blessé, son ex-compagne a été hospitalisée. Le lendemain matin, le 19 mai, elle s’est rendue au commissariat avec son jeune frère et Laurence. Il a été convenu qu’elle reviendrait à 14 heures pour une question formelle.
De retour boulevard Sautel, les deux femmes et l’adolescent voient la fenêtre de la maison entrouverte. La peur s’empare d’eux. Ils préviennent les secours comme cela leur a été indiqué en cas de doute. « La maman est terrifiée », décrit au téléphone Laurence, la bénévole. La police s’est rendue sur place et a inspecté le jardin et l’appartement. Ils ne trouvent rien de suspect.
« Nous n’avons aucune explication rationnelle », explique l’un des enquêteurs, appelé à la barre comme témoin des événements qui ont suivi. « Nous avons été très vigilants sur ce dossier. » D’autant que « l’accusé avait clairement l’intention de tuer sa femme ». Mais une demi-heure après l’inspection, nouvel appel à l’aide frénétique. Jorgo Tare, caché dans une armoire moelleuse de la chambre, vient de poignarder son ex-compagne d’un premier coup de couteau, puis d’un coup de ciseaux alors qu’elle est sur le canapé. Laurence, la bénévole, intervient et se blesse à la main. Le plus jeune fils parvient à reprendre la paire de ciseaux des mains de son père.
Qui prend un nouveau couteau. L’adolescent, en état de choc et déjà traumatisé par les violences de la veille, s’est réfugié sur le toit de la maison. Sa mère, poursuivie par l’accusé, s’est réfugiée chez un fleuriste situé non loin de là. Jorgo Tare a sauté par la fenêtre du premier étage et est tombé dans les escaliers. Blessé au pied, il a été interpellé immédiatement, dans un jardin privé, à moins de 200 mètres de la maison. De retour sur place, les enquêteurs découvrent, dans le flexiblex, une chaise qui aurait pu servir de marche vers la bouche d’aération. Un brin d’herbe fraîche est repéré.
“Elle ment”
La première journée de débats, qui se poursuivra lundi 18 novembre et mardi 19 novembre, aura connu un moment difficile avec les larmes de l’aîné, 21 ans, qui se sentait coupable d’avoir dit à sa mère de ne pas divorcer. Il était pensionnaire, venait rarement à la maison et avait envoyé de l’argent à son père lorsqu’il était renvoyé en Albanie. Lorsque le 18 mai 2022, un ami du jeune homme lui raconte avoir vu son père « à la gare », il comprend tout de suite que sa mère est en danger. À ce moment-là, une seule pensée lui traversa l’esprit : « S’il revient, quelque chose va mal se passer. »
L’accusé n’a pratiquement pas réagi. Sauf à dire que son ex-épouse ment sur tout, sur les violences, les menaces de mort et la tentative d’homicide. Son séjour de quatre mois en prison en 2021 ? «C’est sa faute. » Ses enfants, à des degrés divers, notamment en raison de conflits de loyauté, ont raconté des violences récurrentes et de longue date au sein du foyer au cours de leur éducation. Un climat de terreur dont la mère et le plus jeune fils, très traumatisés, ne sont pas sortis malgré l’emprisonnement de Jorgo Tare.
L’étude de la personnalité de l’accusé révèle qu’il a grandi en Albanie, son pays natal. Il est incapable de donner sa date de naissance. A l’âge de 11 ans, il travaille dans une structure agricole collectiviste, propre au modèle communiste de l’époque. En 1991, il rejoint la Grèce. Il s’est marié trois fois et a eu cinq enfants. L’accusé ne fait pas grand-chose pour nous aider à voir les choses clairement. Cependant, un événement bouleverse sa vie. En 2006, il est victime d’un grave accident alors qu’il conduisait une moto. Il a un long coma ; son ami reste paralysé. En 2018, la famille lui aurait réclamé 100 000 euros. Jorgo Tare décide de quitter l’Albanie pour la France en 2019 pour échapper à cette « dette » et à de supposées menaces.
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