«Suis-je là pour toi ? Certainement pas. C’est toi qui es là pour moi. Vous comprendrez pourquoi. A mon âge, mon avenir est derrière moi. Nous sommes les dinosaures de la Shoah, véritablement les derniers. C’est vous qui, plus tard, témoignerez contre ceux qu’on appelle révisionnistes, qui disent que tout cela n’a pas existé. Je compte sur toi. Tu seras ma mémoire. »
Arlette Testyler soulève la question, ce jeudi 14 novembre, dans une salle du collège Edgar-Quinet de Saintes. A 91 ans, la Parisienne continue de parcourir les écoles pour parler de sa guerre, vécue aux côtés d’une fillette de 10 ans qui a miraculeusement échappé aux camps de la mort. Le discours est répété, percutant, sans fioritures. Une centaine d’élèves de troisième et terminale du lycée Bellevue écoutent avec respect.
«Plus français qu’un Français»
« Mon père est arrivé de Pologne à 17 ans pour échapper à l’antisémitisme. Il était plus français qu’un Français. À l’âge de 8 ans, je l’ai entendu dire que s’il y avait la guerre, il s’engagerait tout de suite. C’est ce qu’il a fait. » Artisan fourreur, il fut dépossédé de son atelier par le régime de Vichy au début de la guerre. Plus tard, il se rend à une convocation au commissariat. « Il a dit : ‘Qu’est-ce que je risque ? Je me suis battu pour la France. Nous sommes dans la patrie de Voltaire, Diderot, Rousseau. Je pensais que c’étaient des amis de mes parents ! Ce sont les derniers mots que j’ai entendus de mon père. »
M. Reiman est décédé en septembre 1942 dans une chambre à gaz à Auschwitz. Arlette, sa sœur et sa mère sont arrêtées le 16 juillet 1942 lors de la rafle du Vél’d’Hiv. Le nonagénaire rappelle que le maréchal Pétain avait écrit de sa main l’ordre d’emmener également les enfants. « Ce qu’ils ont fait là-bas est indescriptible. »
« J’ai très peur de cette jeunesse qui ne sait parler qu’en combattant. Arrêtez avec vos téléphones et ordinateurs ! Parlez-vous! »
Grâce à un énorme mensonge, leur mère parvient à sortir du camp de transit de Beaune-la-Rolande avec ses filles. Ils partent se cacher dans le pays de Vendôme, en Touraine. Arlette se souvient avec émotion de cette famille très pauvre qui a accueilli six enfants juifs. Dans deux mois, elle obtiendra la Médaille des Justes, affirme-t-elle.
Culpabilité
Quel rapport entretient-elle avec la violence ?, s’interroge une lycéenne. « Excellente question ! » La violence à laquelle nous assistons aujourd’hui me terrifie. J’ai très peur de ce jeune qui ne sait parler qu’en combattant. Arrêtez avec vos téléphones et ordinateurs ! Parlez-vous! La langue française est riche et belle. Vous avez le droit d’être en désaccord les uns avec les autres, mais parlez-en ! Et envoyez des cartes postales à vos grands-parents, c’est le plus beau cadeau que vous puissiez leur faire », conseille l’heureuse grand-mère de six enfants.
Quand Arlette Testyler passe devant le 114 rue du Temple, à Paris, elle se « culpabilise » encore. De tous les résidents, seules elle et sa sœur ont survécu. Sa mère est morte de chagrin à la fin de la guerre. C’est pour tous ces gens qu’elle témoigne aujourd’hui. Elle a écrit un livre intitulé « J’avais 9 ans quand ils nous ont raflés » dont les bénéfices sont reversés à l’association Vigilance et Mémoire.
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