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Pourquoi le poison devient-il un symbole de la riposte des femmes en ligne ?

Vous les avez peut-être croisés en parcourant les réseaux sociaux, sans comprendre ce qu’ils impliquaient. De plus en plus de femmes se filment, souriantes, glissant quelques gouttes d’un liquide mystérieux dans des verres. Cette production met en scène l’empoisonnement d’une boisson par l’aqua tofana, un poison créé en Italie, selon la légende, par Giulia Tofana.

Le mouvement MATGA (Make aqua tofana great Again), clin d’œil au célèbre MAGA (Make America Great Again) de Donald Trump, fraîchement réélu à la tête des Etats-Unis, était né. Venant des Etats-Unis, il s’agit d’une réappropriation de l’histoire de Giulia Tofana qui aurait vendu son poison à des centaines de femmes. Et grâce à qui plus de 600 d’entre eux ont réussi à échapper à un mariage avec un homme violent.

Un empoisonneur et un groupe de femmes pendus

« Aux XVIe et XVIIe siècles, un commerce d’eau empoisonnée se développe en Italie et dans toute l’Europe et réactive la peur de l’empoisonnement. Il existe plusieurs versions sur les origines de l’aqua tofana. La légende commence avec Teofania di Adamo, exécutée à Palerme pour empoisonnement en 1633. Puis, en 1659 à Rome, un groupe de femmes furent pendues pour avoir fait le commerce d’eau empoisonnée appelée aqua tofana », raconte Margaux Buyck, chercheuse associée à Paris Nanterre. Université et membre du laboratoire Memo.

Quant à Giulia Tofana, « son existence est plus incertaine, certaines sources la présentent comme la fille ou la petite-fille de Teofania di Adamo qui aurait émigré à Rome pour poursuivre les affaires de son ancêtre », explique l’historienne Margaux Buyck.

Une « boucherie silencieuse des maris »

S’il est difficile de savoir exactement si les cas sont liés ou combien d’hommes sont morts après avoir ingéré de l’aqua tofana, le poison a sans aucun doute marqué son époque. Dans sa biographie du pape Alexandre VII, le cardinal Pietro Sforza Pallavicino parle également d’une « boucherie silencieuse des maris ». Preuve de la popularité et de la paranoïa qui entouraient ce poison, Wolfgang Amadeus Mozart confiait sur son lit de mort sa crainte de l’avoir ingéré à son insu.

Sur Google Trends, la recherche des « ingrédients Aqua toafana » a bondi de 160 % aux États-Unis, et celle de l’arsenic de 130 %. Dans le même temps, le mot-clé « antidote » affiche +140% de recherches. “Avec ce mouvement, nous réactivons une menace et une peur masculine séculaire, celle de se faire empoisonner par la main d’une femme”, analyse Margaux Buyck.

Tandis que les hommes menacent « ton corps, mon choix », une référence à l’avortement mais aussi au viol, ces femmes répondent par la menace du poison. « Les femmes ont exploité cette peur tout au long de l’histoire. On en retrouve des traces depuis l’Antiquité», explique l’historien des poisons qui cite de nombreuses affaires judiciaires où violences conjugales et empoisonnement se mêlaient.

Un renversement de la stigmatisation

Sur Instagram, la tatoueuse Solène, alias « Solène la guêpe », a publié son interprétation de Giulia Tofana. « J’ai découvert ce tableau récemment et son histoire m’a touché, notamment dans le cadre de la lutte contre les violences faites aux femmes, comme le procès Mazan », explique la tatoueuse, qui travaille à Paris. “C’est le symbole d’une colère générale chez les femmes”, glisse-t-elle, précisant que son interprétation a été immédiatement réservée et doit être signée samedi.

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“C’est intéressant de voir la figure de l’empoisonneur, à l’origine extrêmement négative, devenir une figure positive”, analyse Margaux Buyck. Considérer les empoisonneuses comme des femmes qui s’émancipent des hommes est une analyse extrêmement récente, post-Moi aussi. » L’historien du poison cite le clip de Lady Gaga, Paparazzi, comme exemple de ce renversement de la stigmatisation. Précurseur, la chanteuse joue le rôle d’une femme violée par son compagnon, et qui finit par l’assassiner avec du poison.

“La nouvelle sorcière”

“Nous arrivons à une époque où l’empoisonneur peut devenir la nouvelle sorcière”, estime Margaux Buyck. La sorcière, figure féminine détestée depuis des siècles, est aujourd’hui devenue un symbole du féminisme. Cette reprise se fait cependant en déformant légèrement l’histoire.

Car si l’aqua tofana (et, plus généralement, le poison) était souvent utilisée par les femmes pour se débarrasser de leur mari, les victimes n’étaient pas systématiquement des hommes violents. « Nous assistons à une réécriture de l’histoire. L’affaire de 1659 était en réalité une association de malfaiteurs dont le but principal était le profit», sourit Margaux Buyck. Rassurez-vous cependant, messieurs. Selon l’historienne du poison, les femmes qui reprennent la légende de l’aqua tofana “sont dans le registre de la menace symbolique, il est peu probable qu’il y ait des actes de violence”.

 
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