Les agriculteurs européens se sont retrouvés mercredi 13 novembre dès 11 heures au rond-point Robert-Schuman à Bruxelles, au cœur du quartier européen. Les bâtiments de la Commission et du Conseil s’y trouvent et le Parlement est à quelques pas. Le message des manifestants est clair : ils ne veulent pas de l’accord entre l’Union européenne (UE) et le Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay et Bolivie).
La même Commission européenne, au même rond-point Schuman, s’apprête à accueillir, quelques heures plus tard (à 17 heures), le Premier ministre français Michel Barnier. Il n’a ni tracteur ni pancarte, mais son avis n’est pas différent : ce texte, que l’exécutif européen espère signer d’ici la fin de l’année, va à l’encontre des intérêts de son pays et de l’Europe toute entière…
La Commission défend un accord « ambitieux, équilibré et global »
Depuis 2019, date du « compromis politique » avec les cinq pays du Mercosur, la Commission européenne défend la ratification de cet accord de libre-échange qui entend, entre autres, supprimer certains droits de douane sur les échanges entre les deux blocs. Défendre un accord «ambitieux, équilibré et complet», elle n’a cessé de souligner les bénéfices pour l’économie européenne.
Une fois en vigueur, le texte « augmenterait de 15 milliards d’euros » le produit intérieur brut (PIB) de l’UE et “11,4 milliards d’euros celui des pays du Mercosur”» a encore assuré ce mercredi le commissaire au Commerce Valdis Dombrovskis, négociateur en chef côté européen, qui pointe également du doigt le déficit commercial de l’Europe vis-à-vis du Mercosur. En 2022, les exportations de l’UE vers le Mercosur se sont élevées à 55,8 milliards d’euros, contre 63,1 milliards d’euros dans la direction opposée.
« Les opportunités devraient se multiplier une fois les marchés ouverts. » s’enthousiasme une Source impliquée dans les négociations. Un de ses collègues insiste sur« l’élan nécessaire vers cet accord »surtout depuis « le paysage politique a changé, notamment avec la guerre en Ukraine »et encore plus récemment avec l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis. “L’importance géopolitique de l’accord va augmenter, et il rimera avec de réels bénéfices en termes de sécurité économique pour les produits industriels et agricoles”, ajoute-t-il.
La France s’élève contre l’accord
Sauf que Paris ne l’entend pas de cet oeil. “Michel Barnier rappellera à Ursula von der Leyen son opposition totale à l’accord du Mercosur”, a expliqué lundi la ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, Annie Genevard. La France espère rassembler une minorité de blocage au sein du Conseil (soit quatre Etats) pour bloquer le texte. « Ce que nous devons obtenir, c’est assez pour exercer notre veto au niveau européen » en ralliant “autant de pays que possible” de l’UE, a-t-elle déclaré.
Aujourd’hui, l’Allemagne et l’Espagne font de gros efforts pour ratifier le traité, tandis que la Pologne et l’Autriche ont régulièrement exprimé leur opposition. Reste à savoir si l’Italie, l’Irlande ou les Pays-Bas pourront faire pencher la balance.
Même à l’intérieur des frontières françaises en tout cas, le sujet semble relativement consensuel. Mardi, plus de 600 députés français, issus de plusieurs groupes parlementaires, ont adressé une lettre au président de la Commission européenne pour s’opposer à cet accord, jugé menaçant pour l’agriculture française et incohérent d’un point de vue environnemental. Ils veulent notamment des garanties pour « ne pas augmenter la déforestation importée dans l’Union européenne, mettre l’accord en conformité avec l’Accord de Paris sur le climat et introduire des mesures miroirs en matière de santé et d’environnement ». Conditions actuellement non remplies.
Mercredi, une quarantaine d’organisations allant des Amis de la Terre à Oxfam en passant par Greenpeace ont cette fois envoyé une lettre à Emmanuel Macron et au Premier ministre exigeant davantage de mesures. “fermeté » à la France vis-à-vis de l’exécutif européen. « Les institutions disposent toujours d’un mandat de négociation au nom des 27 Etats membres et aucun d’entre eux (…) n’a jamais exigé ni son abandon ni son réexamen », observent-ils, craignant notamment un scénario de « fractionnement » texte. Comprendre : la séparation de l’aspect commercial du texte des autres, comme les chapitres sur le développement durable.
Séparer l’aspect commercial des autres aspects ?
Du côté de l’exécutif européen, nous le nions, et nous maintenons que la suspension des échanges commerciaux en cas de violations de l’accord de Paris est un préalable. Un engagement plus fort des pays du Mercosur dans la lutte contre la déforestation est également attendu. En face, le Mercosur exige de Bruxelles “plus de marges de manœuvre dans les marchés publics, afin de pouvoir accorder des préférences à l’industrie nationale dans certains secteurs stratégiques”, résume une Source.
Lors des auditions des futurs membres du prochain « collège » de la Commission européenne (qui se sont achevées mardi 12 novembre), le sujet est revenu régulièrement. “Il n’y aura pas de signature de cet accord contre les intérêts des Européens, notamment des agriculteurs”, a promis Stéphane Séjourné, qui devrait devenir vice-président exécutif en charge de la prospérité et de la stratégie industrielle.
Le Luxembourgeois Christophe Hansen, proposé comme commissaire à l’agriculture, est resté plus évasif : il “je ne sais pas” si les négociations de l’accord «sera terminé ou non »a-t-il indiqué. Quant au Slovaque Maros Sefcovic, proposé pour devenir commissaire chargé du commerce, il a relevé que les négociations « techniques » sont en cours, expliquant, dans une énième pirouette, “J’espère que cet accord pourra être conclu sur des bases très équitables”.
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