13/11/24
Faible diversité alimentaire : des résultats inédits sur l’alimentation en Guyane
Des chercheurs du service de recherche en innovation en santé publique de l’hôpital de Cayenne ont présenté jeudi les résultats des études Guyaconso et Nutri pou Ti’Moun. Lors de la première, plus de 1 600 ménages guyanais ont été interrogés sur leurs habitudes alimentaires. Jamais une telle enquête n’avait été menée sur le territoire. La deuxième étude détaille les difficultés d’alimentation rencontrées par de nombreuses femmes enceintes. Les résultats permettront d’orienter les interventions de santé publique menées auprès de la population.
@RonanLieter
Début 2021, une étude du Centre Hospitalier de Cayenne révélait que les deux tiers des personnes résidant dans les quartiers prioritaires et suivis par la Croix-Rouge française, Médecins du Monde ou l’accès permanent aux soins (Pass) avaient souffert de faim dans le le mois dernier. Un an plus tard, l’étude Nutricampus montrait qu’un étudiant sur deux en Guyane était en très faible sécurité alimentaire. Deux nouvelles études, l’une auprès de 1% de la population du territoire, l’autre auprès des femmes accouchant dans les trois maternités de Guyane, apportent des informations plus précises sur l’alimentation des Guyanais. Les résultats ont été présentés jeudi par le Service de Recherche en Innovation en Santé Publique (Drisp) du Centre Hospitalier de Cayenne.
En 2022 et 2023, les enquêteurs du CHC, en partenariat avec l’IRD de Montpellier, ont visité les domiciles de 1 651 ménages. Repas de la veille, composition détaillée des plats, poids, taille, etc. de nombreuses données ont été collectées. La Guyane était jusqu’alors le seul territoire français à ne pas disposer d’informations aussi détaillées.
Ils révèlent « une faible diversité alimentaire et donc une mauvaise adéquation nutritionnelle » des repas, une consommation trop faible de fruits et légumes, de produits laitiers, de céréales complètes, de noix et de graines. En revanche, la charcuterie et les boissons sucrées sont trop présentes par rapport aux recommandations. Un adulte sur trois est trop sédentaire et un sur trois fait moins de trente minutes d’activité physique par jour. Les femmes sont plus touchées que les hommes.
Qu’il s’agisse de fruits et légumes (cinq par jour) ou de produits laitiers (deux portions par jour), les Guyanais consomment moins de la moitié des recommandations du Programme National Nutrition Santé (PNNS). A l’inverse, plus de quatre participants sur dix boivent plus d’un verre de boisson sucrée par jour. La mesure du poids et de la taille a également montré que six Guyanais sur dix sont en surpoids, voire obèses, les femmes étant plus touchées que les hommes. En revanche, la minceur touche une personne sur dix.
Pour Romain Brochard, directeur général par intérim de l’ARS, cette enquête, ainsi que Nutri pou Ti’Moun, marque « un tournant décisif pour la santé publique en Guyane. On sait que les territoires d’outre-mer sont plus durement touchés par des pathologies comme l’obésité, le diabète ou l’hypertension – et la Guyane ne fait pas exception à cette tendance. L’absence de données locales constituait donc un obstacle majeur à l’efficacité de nos actions, et il était devenu impératif d’y remédier (…) Grâce à ces données, nous pourrons enfin adapter nos politiques de santé publique au contexte guyanais et affiner notre plan d’action spécifique pour la Guyane dans le cadre du nouveau Programme National Nutrition Santé (PNNS 5) qui sera co-construit avec les acteurs locaux en 2025. »
Un enfant sur six ne prend pas de petit-déjeuner
Dans le détail, Guyaconso montre qu’un quart des enfants ne mangent pas de fruits et autant ne mangent pas de légumes. La quasi-totalité boit des boissons sucrées et 94,6 % déclarent manger habituellement des aliments gras (chips, snacks, mayonnaise…). Il n’y a aucune différence entre les filles et les garçons, ni selon l’âge.
Une femme enceinte sur trois est confrontée à l’insécurité alimentaire pendant sa grossesse
@RonanLieter
Comment mangent les femmes enceintes en Guyane et à quelles difficultés sont-elles confrontées ? Quelles actions peuvent être entreprises pour les aider ? Comment leur enfant est-il nourri pendant sa première année ? L’enquête Nutri pou ti’moun, menée par le Centre Hospitalier de Cayenne, vise à répondre à toutes ces questions. Démarré en 2023 et prolongé jusqu’à l’année prochaine, ce programme se construit en quatre étapes
- Nutri pou ti moun 1 : une enquête auprès de 786 femmes enceintes dans les maternités de Guyane ;
- Nuti pou ti’moun 2 : interventions réalisées auprès des femmes enceintes de l’île de Cayenne suivies par la Protection de la Mère et de l’Enfant (PMI) : ateliers sur l’alimentation et l’allaitement, conseils sur l’activité physique, ateliers sur l’estime de soi, distribution de paniers-repas ;
- Suivi continu des enfants jusqu’à leur premier anniversaire ;
- Une adaptation des interventions les plus efficaces pour les mettre en œuvre sur tout le territoire.
Les résultats montrent qu’une femme sur trois a connu une insécurité alimentaire pendant sa grossesse et même une sur six a connu une insécurité grave. Autrement dit, ces futures mamans craignaient de manquer de nourriture, mangeaient moins par manque d’argent, ne pouvaient pas se permettre des aliments sains, devaient sauter des repas ou réduire leurs portions, ou même 9 % ne mangeaient pas du tout. toute la journée. Dans 15 % des ménages, les adultes ont dû manger moins au cours des sept derniers jours pour nourrir leurs enfants. « N’avoir personne sur qui compter en cas de difficulté, vivre seul avec ses enfants, ne pas avoir de couverture médicale ou bénéficier d’une assistance médicale d’urgence sont des facteurs associés à l’insécurité alimentaire. », note le Dr Célia Basurko, qui a coordonné le programme.
Comme l’enquête Guyaconso, Nutri pou ti’moun montre une consommation importante de viande et de poisson, de boissons sucrées, de cubes de bouillon, mais trop peu de fruits et légumes. Au total, seule une femme sur deux atteint le seuil de diversité alimentaire nécessaire pour répondre à ses besoins en micronutriments. Enfin, l’obésité avant la grossesse touche deux fois plus de femmes qu’en France. Pour les auteurs de l’étude, les résultats montrent qu’il faut agir sur l’isolement social des femmes enceintes, leur protection sociale, leur estime de soi, l’accès à l’eau potable et à l’électricité, ainsi que sur le capital financier. Des analyses du placenta réalisées à l’hôpital, dont les résultats ne sont pas encore connus, permettront d’en savoir plus sur l’impact de ces difficultés d’alimentation pendant la grossesse.
Pour Romain Brochard, directeur général par intérim de l’ARS, l’étude Nutri pou ti’moun « incarne notre volonté de lutter contre les inégalités nutritionnelles dès les premiers instants de la vie. Ces études contribueront ainsi à une meilleure compréhension des enjeux nutritionnels rencontrés dès les premiers mois de la vie et orienteront l’accompagnement que nous proposons aux jeunes familles guyanaises. La restitution de ces résultats) démontre également l’engagement de l’ARS Guyane, aux côtés de ses partenaires, à développer une recherche ancrée dans la réalité guyanaise pour soutenir et renforcer nos actions de santé publique. »
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