Alors, sujet du jour : « Sommes-nous libres d’écrire notre vie ? » André, tu as 5 minutes.
Très bien, je vais donc commencer par « Sommes-nous libres ? » « .
Et bien non, nous ne sommes pas libres de grand-chose dans nos vies. Nous sommes – au départ en tout cas – mieux définis par la somme de nos attachements et de nos servitudes, que par celles de nos libertés. Ce n’est pas si mal. Je ne crois guère à la liberté comme réalité, mais plutôt comme idéal.
Et je crois avant tout à la libération, plus qu’à la liberté. Toute vie est une œuvre de libération. Je peux vous en parler, j’ai été psychiatre pendant 40 ans ! Je vous assure qu’il y a beaucoup de choses dont il faut se libérer ! Nos peurs, nos contrariétés inutiles, nos complexes, nos préjugés, nos certitudes…
Ces efforts de libération ne sont jamais terminés, mais s’ils sont parfois fatigants, ils sont toujours passionnants. Moralité : la liberté ne s’obtient jamais, mais en travaillant pour elle, on s’en rapproche…
Voilà pour « sommes-nous libres ? » « . Maintenant, « écrivez votre vie » !
J’aime beaucoup l’idée d’écrire sa vie, de s’efforcer d’être l’auteur, ou l’auteur, de son existence, elle me paraît très juste, cette idée. Écrire, comme vivre, c’est choisir ce qu’on va raconter, c’est chercher à rendre cohérent, après coup, ce qui ne l’était pas forcément à l’époque. C’est parfois dommage, parfois un choc….
« C’est une curieuse activité solitaire à vivre… On a, chaque jour, l’impression de faire fausse route. Et puis la tentation est grande de revenir en arrière et de prendre un autre chemin. Nous ne devons pas succomber à cette tentation mais suivre le même chemin. C’est un peu comme être au volant d’une voiture la nuit, en hiver, et rouler sur la glace, sans aucune visibilité. Vous n’avez pas le choix, vous ne pouvez pas revenir en arrière, vous devez continuer d’avancer en vous disant que la route finira par être plus stable et que le brouillard se dissipera. »
C’est beau, n’est-ce pas ? C’est parce que ce n’est pas de moi, mais de Patrick Modiano ! C’est dans son discours de remerciement pour le prix Nobel de littérature en 2014. Et en fait, la première phrase n’était pas : « Une curieuse activité solitaire est celle de vivre. » » mais : « Une curieuse activité solitaire est celle d’écrire. » Avouez que ça a quand même bien fonctionné, non ?
Dans ces mots, tout est dit sur les difficultés d’écrire sa vie : on sait vaguement où l’on veut aller mais on ne sait pas forcément où l’on arrivera ; nous cherchons notre chemin, nous ne voyons pas toujours très clairement ni très loin. Cependant, nous savons qu’il vaut mieux continuer à avancer que douter et revenir constamment en arrière.
Autre chose que m’inspire cette image de vouloir écrire sur sa vie : il va y avoir beaucoup de co-auteurs qui vont s’impliquer ! Je vais écrire un premier scénario, mettre mes projets de vie sur papier. Mais le hasard, l’adversité, les rencontres… viendront régulièrement bousculer ce scénario, que je devrai sans cesse adapter.
La vie recèle beaucoup d’incertitude et d’incohérence, d’échec et de mauvaise direction. Vouloir écrire sa vie, vouloir la mener, c’est vouloir limiter sa part. Et plus tard, quand on racontera ce chemin de vie à nos petits-enfants, ou quand on l’écrira, on ajoutera de la cohérence, on fera ressortir des détails, des signes, des explications… L’Anglais Julian Barnes, dans son beau roman Le Perroquet de Flaubert, écrit ces mots très appropriés :
« Les livres disent : elle a fait ça parce que. La vie dit : elle a fait ça. Les livres sont l’endroit où les choses vous sont expliquées ; la vie est là où les choses ne sont pas. Je ne suis pas surpris que certaines personnes préfèrent les livres. »
On peut aussi préférer les deux : les livres et la vie, la cohérence rassurante de nos récits de vie, et les frictions imprévisibles ou caressantes du réel, qui sont le piment de l’existence humaine…
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