Traduit par
Clémentine Martin
Publié le
12 novembre 2024
L’édition annuelle de Paris Photo, au carrefour de la photographie, de la mode, des beaux-arts et du luxe, a débuté mercredi dernier au Grand Palais.
Parfaitement organisée, la manifestation aborde différentes thématiques : portrait, néoréalisme, reportage de guerre, fantastique, érotisme et surtout surréalisme, marquant cette année le centenaire du mouvement qui a transformé l’art et la photographie.
Mercredi, l’ambiance n’était cependant pas à la fête, la plupart des artistes se disant ouvertement déçus du résultat des élections aux États-Unis, couronnant une nouvelle fois un président clairement hostile aux communautés LGBTQ+. Mais les visiteurs étaient aussi heureux de se plonger dans cette bulle d’art et de photographie isolée du reste de la réalité, dans l’attente d’un avenir incertain.
Les sponsors majeurs ne manquent pas, comme Ruinart et BMW, qui décernent leurs propres prix. Et Paris Photo comprend également de nombreuses présentations de marques de luxe et de maisons d’édition. Certains parviennent à combiner les deux aspects, comme Louis Vuitton, avec une grande librairie à l’étage supérieur de son magasin présentant ses « City Guides », parmi lesquels des exemplaires récents comme la vision des Highlands écossaises d’Alasdair McLellan, mais aussi des classiques comme les clichés de Slim Aaron montrant la dolce vita sur la Riviera italienne.
Quatre galeries de Budapest participent à cette édition de Paris Photo. La capitale de la Hongrie est devenue celle de la « démocratie illibérale » de son Premier ministre autoritaire, Viktor Orban, qui tient le pays sous sa coupe depuis plus de dix ans et entretient une amitié avec Donald Trump.
«Maintenant, les Américains vont voir ce que c’est que de vivre avec ce genre de régime», commente laconiquement Tomas Opitz, le directeur vénézuélien-hongrois de la galerie Tobe à Budapest.
Sa galerie présente un trio d’artistes travaillant sur la dislocation et l’adaptation à différentes cultures dans la jeunesse et la vie. Juan Brenner, photographe guatémaltèque, a travaillé pour Vogue et L’Officiel à New York au début de sa carrière mais réalise actuellement un travail personnel centré sur ses origines, traduit dans des portraits de jeunes ou par This Universe, une image filmique hypnotisante imprimée en Encre pigmentée d’un train de marchandises dans une vallée écossaise isolée.
A l’étage, on peut admirer une brillante exposition personnelle de Dorottya Vékony pour Lontermhandstand, une autre galerie hongroise. Des silhouettes féminines découpées, à moitié déshabillées, en noir et blanc, semblent flotter dans les cadres de verre. Multifacette, l’artiste présente également une sculpture géante de photos grandeur nature de personnages humains découpés, enveloppés les uns dans les autres dans une sorte d’orgie sans tête. L’érotisme surréaliste à son meilleur.
À l’heure où les autocrates s’emparent du puritanisme et s’attaquent à la prétendue décadence occidentale pour mieux diviser les peuples, les images de nus prises à Los Angeles dans les années 1960 par John Kayser valent le détour. A l’époque où il travaille pour une entreprise aéronautique, il réalise une série de nus de couleurs, rendus plus transgressifs grâce à la juxtaposition d’objets incongrus : services à thé, tabourets en bois ou peluches.
Les œuvres de photographes connus pour leurs clichés de mode ne manquent pas : une image de David LaChapelle montrant un requin dévorant une superbe paire de pattes dans une mer ensanglantée de Nouvelle-Angleterre ou une photo onirique de Steven Klein d’un mannequin nu et d’un cheval de course nageant ensemble dans une piscine. Diverses œuvres de Patrick Demarchelier sont également visibles, comme un tirage au nitrate d’argent représentant une tête de lion noble ou un nu de Christy Turlington, les bras croisés sur la poitrine avec une souris blanche perchée sur son épaule. Une image idéale pour décorer n’importe quel salon de style moderniste, pour lequel il faudra quand même débourser la modique somme de 72 500 $.
Diverses images de magazines devraient également ravir le public, comme la photo très réussie d’Arthur Elgort montrant une très jeune Kate Moss caressant la trompe d’un éléphant au Népal, prise pour Vogue Grande-Bretagne. Etrangement, la galerie In Camera a choisi de ne pas révéler que l’excellente photographie en noir et blanc de Koto Bolofo, montrant une explosion de jeunesse et de dandys dans les townships sud-africains en 1997, avait été commandée par Vogue Hommes International. Je suis bien placé pour le savoir : à l’époque, j’étais rédacteur en chef de la publication qui avait commandé la création de l’image.
Koto Bolofo fait également l’objet d’une exposition au Dover Street Market cette semaine, dans le Marais. Il faut dire que la photographie est à l’honneur dans toute la capitale. La Galerie Dior a récemment lancé son hommage à l’un des leaders de la photographie de mode, Peter Lindbergh. Et si Paris Photo fermera ses portes dimanche soir, la rétrospective de Peter Lindbergh sera encore visible jusqu’au 4 mai à la Galerie Dior.
Dans la catégorie portraits, la galerie d’art contemporain de Cologne présente une belle sélection réalisée par Timm Rautert d’artistes tels que Gerhard Richter et Olafur Eliasson, ainsi que du réalisateur Rainer Werner Fassbinder. Incontournable, l’autoportrait géant de Hiroshi Sugimoto, à côté d’un mystérieux cliché du Mont Fuji, imprimé sur du papier washi, habituellement utilisé pour l’origami. Ironiquement, la victoire électorale républicaine place le seul parti républicain au monde dirigé par des climato-sceptiques à la tête de la première puissance économique mondiale. Le Mont Fuji a récemment connu de nouvelles chutes de neige après avoir passé sa plus longue période sans nouvelles chutes de neige depuis le début de la collecte de données il y a 130 ans.
Mais il n’est pas forcément nécessaire d’être riche de plusieurs millions pour acquérir de belles photos. Une image de Louise Dahl-Wolfe de Coco Chanel dans son appartement parisien est étiquetée à 5 000 $, tandis qu’une image d’une innocente Audrey Hepburn à vélo avec son chien Famous aux studios Paramount, photographiée par Six Avery, ne vaut « que » 11 000 $. Les deux œuvres sont présentées par la galerie Staley Wise. Des photos de 12 x 8 centimètres montrent d’étonnantes images en noir et blanc de New York en pleine tempête de neige, pour des montants allant de cinq à dix mille euros ; ils sont signés du « photographe des photographes », le grand Saul Leiter.
Les curieux pourront également admirer des images historiques, comme une merveilleuse photo du Rialto à Venise datant de 1876. Prise à l’aube par Carlo Nava, elle est totalement dégagée de toute présence humaine. Une image de Notre-Dame réalisée par William Henry Fox Talbot en 1860 révèle des bâtiments qui n’existent plus aujourd’hui.
Compte tenu des terribles violences qui ont marqué ces dernières années, la photographie de guerre occupe une place à part dans l’exposition. Un rapport de Robert Capa datant de 1948 montre une ambulance du gouvernement israélien sous le feu des tirs, l’année de la création du pays. Tirées des archives de l’armée américaine, des images datant de 1957 montrent d’étranges couleurs, d’une beauté fascinante et inquiétante, résultant des essais de bombes nucléaires dans le désert du Nevada. Les images des zones de conflit par Gilles Caron sont à la fois dures et choquantes, comme celles de la bataille du Bogside en 1969 ou une épreuve moderne au nitrate d’argent de sa légendaire image de combattant Ibo, portant six roquettes sur la tête pendant la guerre civile du Biafra.
Nous sommes toujours à Paris, ce qui veut dire que les dédicaces sont légion. De grands stands présentent des éditions rares de beaux livres de photographies, de Man Ray et Weegee. Dans la section Conversations, le public est invité à assister à des tables rondes, la plus attendue étant celle de Jim Jarmusch, le célèbre réalisateur indépendant, invité d’honneur de l’événement.
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