Les suppressions de milliers d’emplois et les fermetures de magasins annoncées cette semaine posent la question des facteurs qui poussent ces grands groupes de l’industrie agroalimentaire à revoir leur modèle de développement. Décryptage avec le sociologue Jean Viard
franceinfo: Assiste-t-on à la fin des supermarchés ou du moins de certains types de supermarchés ?
Jean Viard: La fin des supermarchés, certainement pas. Mais ce qui est sûr c’est que d’un côté, il y a l’inflation qui a frappé durement, il y a des gens qui consomment moins. Deuxièmement, il y a les marques qui arrivent, Lidl et autres, souvent des marques hollandaises ou allemandes qui ont une culture de vente différente, il y a peu de produits, c’est un peu en vrac et c’est beaucoup moins cher. Il y a donc de nouveaux entrants, puis un nouvel entrant majeur, à savoir le commerce électronique.
La grande pandémie a poussé tout le monde à commander en ligne, ce qui entraîne des pertes d’emplois dans les supermarchés. Mais les métiers de livreur, etc. sont à prendre en compte. qui se développent, d’avoir une vision globale de la problématique. Ce n’est pas la fin des supermarchés, car les chaînes ont tendance à ouvrir des petits magasins de proximité, mais d’un autre côté, les très grands supermarchés en dehors des villes où nous allions en voiture pour passer l’après-midi, d’abord ils restreignent leur superficie et souvent une partie de le magasin devient un lieu logistique où les colis sont préparés pour les livraisons ou le drive.
Et donc, il y a cette évolution qui fait que ces très grandes zones de grandes périphéries urbaines, je pense qu’à long terme elles sont plutôt condamnées, et elles vont effectivement se transformer en un système logistique.
Enfin, on le voit avec Auchan qui va réduire la taille de ses hypermarchés d’ici 2028, on voit des enseignes investir dans les centres-villes, le modèle du grand magasin en périphérie a moins le vent en poupe ?
63% des personnes vivent dans des maisons avec jardin, en périphérie des villes ou à la campagne. Alors évidemment, ils ne vont pas faire du shopping en centre-ville. Il s’avère que pour entrer dans une ville, les rues n’ont pas été beaucoup élargies et nous sommes deux fois plus nombreux qu’il y a un siècle. Alors la ville, on ne va pas tous faire nos courses en centre-ville.
En revanche, nous développons effectivement les commerces de proximité, donc pour les gens du centre-ville, nous rouvrons les commerces, mais nous en rouvrons aussi en périphérie, y compris des petits. Regardez les boulangeries, c’est extraordinaire, partout on ouvre des boulangeries, mais on peut aussi prendre un sandwich, y manger le midi, donc là, vous avez de nouvelles formes d’organisation, parce que pour tous ces commerces, il faut qu’ils aient un parking. beaucoup, et vous avez des boulangeries partout en dehors d’une ville ou d’un village où il y a un parking devant.
Et les grandes surfaces s’adaptent aussi avec de nouveaux services, mais certains proposent aussi des forfaits téléphoniques, des voitures, des jouets, du bricolage, ont-ils compris que cela est nécessaire à leur survie ?
Oui, mais tout le monde recherche un équilibre. Le problème est donc que l’idée du magasin complètement monomaniaque était une époque. Nous recherchons un autre équilibre, mais la vraie question est : comment créer du lien et quel est l’impact écologique de toutes ces questions. C’est absurde de livrer des choses d’un point de vue écologique, ce n’est pas sûr parce que vous avez une camionnette qui va livrer 30 personnes qui habitent dans la même rue, c’est peut-être mieux que 30 voitures pour aller au supermarché.
Et dans cette société, nous sommes les premiers dans le monde numérique et à côté, nous sommes autour de chez nous. Et c’est ce couple qui s’est installé car on commande en ligne et ensuite on va se faire plaisir dans deux ou trois boutiques à côté de chez soi.
Et avec un pouvoir d’achat réduit, les Français consomment aussi différemment. Il est moins évident aujourd’hui de faire ses courses pour 10 ou 15 jours d’un seul coup ; le consommateur fait peut-être plus de choix ?
Bien sûr, parce qu’on voit très bien que les gens un peu mieux lotis épargnent beaucoup, parce qu’ils ont peur de l’avenir, donc ils consomment moins. Et puis les personnes les plus modestes, pour qui les prix des denrées alimentaires ont augmenté de plus de 20 %. Actuellement, l’inflation s’est presque arrêtée, mais elle n’est pas redescendue.
Et aux Etats-Unis, c’est la même chose, je pense que l’inflation a beaucoup à voir avec la réussite de Donald Trump. Les démocrates n’ont pas vu que pour les gens modestes, l’inflation avait tendu la corde, et qu’ils ne s’en étaient pas remis. Et en France, nous avons la même situation et je pense que l’inflation a beaucoup à voir avec les résultats électoraux de l’année dernière.
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