Au tribunal correctionnel du Vaucluse,
Les faits sont têtus. Entre décembre 2019 et juin 2020, Romain V. s’est rendu six fois au domicile Pelicot à Mazan. A chaque fois, il observait le même rituel. Enlever leurs chaussures, se déshabiller, se réchauffer les mains avant d’entrer silencieusement dans la chambre du couple. Il ne nie pas avoir eu des relations sexuelles avec Gisèle Pelicot. Comment pourrait-il en être autrement ? Les enquêteurs ont découvert de nombreux films – dont certains ont été projetés ce mercredi devant le tribunal correctionnel du Vaucluse – dans lesquels on le voit se livrer à des actes sexuels avec la victime. Mais les hommes sont parfois encore plus têtus. Pendant plus de deux heures, cet accusé de 63 ans – cheveux et barbe blancs, lunettes à fine monture sur le nez – s’est efforcé de nier. Souvent au-delà de la raison.
Comme la majorité des acteurs de cette affaire, Romain V. reconnaît les faits mais nie « l’intention ». Légèrement voûté dans le box, les mains jointes devant lui, le sexagénaire se décrit comme un « zombie télécommandé » par Dominique Pelicot. «J’ai fait confiance au mari (sic). Je pensais qu’un mari et une femme se parlaient. Comme j’avais l’autorisation de mon mari, j’ai fait ce qu’il m’a demandé », explique-t-il. Qu’a-t-il ressenti lorsqu’il a vu la victime inconsciente, ronflant bruyamment ? L’accusée s’embrouille, affirme avoir cru qu’elle « s’endormait », « fatiguée ».
“Tu as un cerveau pour penser”
Romain V. élude les questions embarrassantes, évoque des « trous de mémoire » liés à « son traitement ». S’il se dit sous la coupe de Dominique Pelicot, il ne lui parle pas de sa séropositivité, découverte en 2004. Jamais, lors des six fois où il s’est rendu à Mazan, il n’a porté de préservatif. “Je ne suis pas contagieux, je ne peux pas contaminer une autre personne”, explique-t-il. Bien que son traitement ait effectivement réduit sa charge virale à zéro, il a appris en prison qu’il était atteint de la syphilis.
A plusieurs reprises, le tribunal, les avocats des parties civiles puis le ministère public ont tenté de le confronter à ses contradictions. « Chuchoter ne vous remet pas en question, vous avez un cerveau pour penser », s’agace le président. Quid aussi des 500 messages échangés en six mois avec Dominique Pelicot ? Que contenaient-ils ? « Je ne m’en souviens pas trop. Il y a quelque chose qui m’a fait réagir. Je ne sais pas si c’est parce qu’on a parlé de vélo. » Et ce rendez-vous a été fixé quelques jours avant la première soirée au local Leclerc pour que Dominique Pelicot lui « montre » sa femme. “Tu allais au supermarché pour voir si tu l’aimais bien […] d’envisager des relations sexuelles avec elle”, insiste le tribunal. “Non, j’allais faire du shopping, j’ai juste cherché quelques instants”, insiste-t-il.
« Vous avez violé Madame Pélicot ? »
L’un des avocats de Gisèle Pelicot, Me Babonneau, insiste. Parmi les cinquante accusés, quatre seulement sont venus six fois. Et les vidéos diffusées à l’audience sont accablantes. Dans l’une d’elles, on le voit embrasser la victime à pleine bouche : impossible de dire qu’il n’a pas vu son visage. Sur une autre, elle est inerte, n’a aucune réaction malgré les pénétrations qui lui sont imposées. Il sourit, regarde la caméra, loin de la soumission décrite.
“Qu’est-ce que tu as fait?” » demanda le conseil.
– Tout ce qu’on m’a demandé.
– Avez-vous violé Madame Pélicot ?
– Non.
– Ce qu’on vient de voir quand tu es sur Madame Pélicot, quand tu insères ton sexe dans sa bouche, c’est un viol ?
– Je n’avais pas l’intention de violer Madame.
– Est-ce un viol ?
– Je ne sais pas. »
Romain V. reste motivé. Selon lui, le sexe n’était pas sa principale motivation dans cette relation. « J’attendais aussi des sorties, aller au théâtre, au cinéma, me promener. Je cherchais des liens sociaux. Peut-être avons-nous dû vivre ce qui s’est passé. » Pensait-il vraiment retrouver dans l’émission nommée « à son insu » l’amitié qu’il affirme être venu chercher en s’inscrivant sur le site Coco ?
S’il regrette d’être allé chez les Pélicots, c’est avant tout parce que « cette histoire » l’a conduit derrière les barreaux. « Je n’aurais pas dû rencontrer ce couple, j’aurais dû continuer à être seul. » Assise à quelques mètres, Gisèle Pelicot peine à cacher son agacement.
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