« L’argent corrompt »expliquait François Mitterrand en 1971. “Je n’aime pas les gens riches”affirmait François Hollande en 2007 sur le plateau de France 2, tandis qu’en pleine contestation contre le projet de réforme des retraites en janvier 2023, Marine Tondelier comparait les milliardaires à “vampires”.
Dans son dernier film, qui sort en salles ce mercredi 6 novembre, le député de la Somme François Ruffin ne se retient pas de critiquer le mode de vie des riches en la personne de Sarah Saldmann. Signe de ce désenchantement ou pur opportunisme ? C’est dans les poches des plus riches que les députés ont cherché ces dernières semaines les milliards nécessaires pour boucler les budgets de l’Etat ou de la Sécurité sociale.
Alors la France a-t-elle un problème avec ses riches ? «Toutes les sociétés, y compris françaises, fixent des normes sur les bons et mauvais usages de l’argent, mais l’idée d’une haine des riches propre à la France est fausse.puisqu’ils ne sont victimes d’aucune discrimination, » déclare Damien de Blic, enseignant-chercheur en sciences politiques, co-auteur de l’ouvrage Sociologie de l’argent (Ed. Découverte). En revanche, sans que cela crée de stigmatisation, notre culture judéo-chrétienne a joué un rôle clé dans notre perception de l’argent. »
La quête de richesse, synonyme d’éloignement de Dieu
Jusqu’au XVe siècle, en Espagne comme en France, les prêts à intérêt étaient par exemple systématiquement condamnés par l’Église catholique. « La recherche de richesse individuelle est lourdement condamnée dans l’Ancien Testament, notamment dans le Livre de la Sagesse, puis dans les Évangiles et les Lettres de Paul »détaille le théologien et sociologue Jacques-Benoît Rauscher, spécialiste de la doctrine sociale de l’Église.
L’Évangile selon Matthieu est catégorique sur le sujet. Il prétend que« Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un homme riche d’entrer dans le royaume des cieux. »
À travers les âges, les écrits chrétiens affirment que la pauvreté est une condition nécessaire pour accéder à Dieu, formant le creuset d’une méfiance des Français envers la quête de l’argent. “Dépeint comme obsessionnel, il concentre l’attention de l’homme ici-bas, donc loin de Dieu”analyse Jacques-Benoît Rauscher.
Mais à partir du XVIe siècle, dans un contexte de développement économique lié aux échanges commerciaux autour des Amériques, le ton change. L’Église tempère son discours sur l’avarice (l’attachement désordonné aux biens matériels, l’un des sept péchés capitaux), la qualifiant de moins grave que la luxure par exemple (désir sexuel désordonné). « Comme les pouvoirs catholiques avaient besoin d’un soutien et d’une condamnation moins ferme de ce marché florissant, la doctrine s’est adaptée, et la recherche du profit n’a plus été considérée comme immorale, à condition que la richesse soit partagée avec le plus grand nombre »» décrypte encore le théologien.
Si les Français n’ont jamais vraiment détesté les plus riches, il y a donc traditionnellement une nuance entre richesse productive (mise au service de tous, donc socialement acceptée) et improductive (c’est-à-dire l’accumulation de fortune personnelle, notamment lorsqu’elle s’affiche de manière ostentatoire). manière). Cette injonction sociale au partage de son patrimoine imprègne encore aujourd’hui notre perception de la richesse, explique Nicole Prieur, psychothérapeute familiale et auteure de Argent, poison ou trésor ? Pour une utilisation paisible de l’argentà paraître le 5 décembre par la Banque centrale du Luxembourg.
« L’usage éthique de l’argent, régi par le souci du bien commun, permet à son détenteur de mieux gérer la culpabilité d’en disposer, argumente-t-elle. Et généralement, cela se traduit chez les plus fortunés par un discours consistant à répéter qu’ils veulent bénéficier à la société, sans que cette volonté ne se traduise en actes. »
La valorisation de l’économie de marché
Par extension, cet objet paradoxal – à la fois Source de bien-être et d’inquiétude pour ceux qui le possèdent – appelle à la mise en œuvre de stratégies de légitimation, opposables au sentiment d’injustice ressenti par les plus démunis. Leur objectif : « prouver que nous ne sommes pas fondamentalement aussi mauvais que le suggèrent les stéréotypes », poursuit Nicole Prieur. Quitte à adopter parfois un discours victimaire, entretenir la conviction que la recherche d’enrichissement matériel serait condamnée en France.
Une thèse que réfute François Ruffin : « Lors de la projection de mon dernier film, les ouvriers ont été choqués de découvrir qu’une veste peut coûter 2 800 €, et un croque-monsieur au Plaza Athénée 54 €.assure le député de la Somme. Cela montre bien l’invisibilité de la richesse, qui a commencé dans les années 1980 lorsque la gauche, au lieu d’accroître sa critique des inégalités, a renoncé à s’en prendre à celles-ci. »
Après le tournant de l’austérité en 1983, la gauche a en effet troqué son discours d’austérité contre un discours de valorisation de l’économie de marché. « La fin du communisme et des alternatives au libéralisme économique coïncide avec le retour en grâce des entreprises et la valorisation de la réussite économique. » a confirmé Damien de Blic.
Selon François Ruffin, le sentiment anti-riches s’est même affaibli au cours des quarante dernières années, les patrons et leurs actifs étant devenus moins visibles aux yeux des travailleurs. « Quand les mineurs sortaient des colonies, ils voyaient où allait leur sueur, c’est-à-dire dans les châteaux et les avenues bien taillées construites tout autour, estime l’élu. Comme les patrons le sont aujourd’hui aux quatre coins du monde, lorsque les usines ferment par exemple, les ouvriers cherchent d’autres boucs émissaires comme les réfugiés ou les immigrés. »
Cristallisation des critiques autour de l’héritage et des milliardaires
De nouvelles formes de critiques ont émergé, se cristallisant principalement autour des figures de l’héritier et du milliardaire. « La question de l’héritage peut raviver les tensions autour de la richesse, analyse Damien de Blic. Alors que durant les Trente Glorieuses, période de forte mobilité économique, les revenus du travail étaient à l’origine des inégalités, aujourd’hui les richesses héritées occupent une place de plus en plus importante dans le patrimoine et les revenus des ménages. »
Dans une note publiée en 2021, le Conseil d’analyse économique expliquait que les richesses héritées représentaient désormais 60 % de la richesse totale, contre 35 % en moyenne au début des années 1970. « Cette tendance est commune à tous les pays développés, mais elle semble particulièrement forte en France »souligne cette même note.
Et depuis la crise des subprimes en 2008, la figure des ultra-riches, accusés d’avoir joué un rôle néfaste dans le monde financier, fait également l’objet de critiques et d’exigences d’une politique fiscale plus ambitieuse. Selon un sondage Oxfam publié fin septembre, 80 % des Français se disent favorables à une fiscalité accrue des plus riches et des super profits.
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Le rapport des Français à l’argent
Selon une enquête réalisée par l’Ifop en partenariat avec Le point publié en décembre 2022, les grandes fortunes françaises suscitent autant d’admiration que de fascination (16% chacune). En revanche, l’indifférence à l’égard des très riches a fortement diminué : alors que 70 % la ressentaient à leur égard en 1998, ils sont aujourd’hui 58 %.
Une écrasante majorité des personnes interrogées (83 %) associent l’argent au plaisir, soit 8 points de plus qu’en 1998, tandis qu’un peu moins de la moitié l’associent à l’injustice (48%) et à la corruption (46%). Les termes de l’immoralité et des nuisances liées à l’argent ont baissé de 20 points en vingt-quatre ans.
Si 62% considèrent que l’argent ne fait pas le bonheur, 38% déclarent que cela contribue largement à leur bien-être.
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