Le jour de l’abattage, le rituel est le même. Tom Rampazzi, à la tête d’un élevage d’une vingtaine de vaches, envoie un message à ses clients. Ces derniers savent qu’ils devront récupérer rapidement leurs colis de viande fraîchement découpée directement dans son exploitation, à Massillargues-Attuech, petite commune de 700 habitants située au sud d’Alès, dans le département du Gard.
Le modèle économique de l’éleveur, basé sur la vente directe et la polyculture, est mis à mal par la fermeture annoncée comme inéluctable de l’abattoir d’Alès. Construit en 1962 par la ville sous gestion communale pour accueillir une production de 5 000 tonnes de viande par an, l’établissement peine depuis plusieurs années à être rentable.
En 2022, l’abattoir change de statut pour devenir une entreprise d’économie mixte associant capitaux publics (51%) et privés (49%). Mais l’année suivante, l’abattoir ne voit transiter que 2 900 tonnes de viande. Ce n’est pas le cas de la loi du seuil de rentabilité, estimé à 3 500 tonnes annuelles. Mais la différence se traduit cette année-là par un déficit de 350 000 euros, conduisant à son placement en redressement judiciaire. En l’absence de repreneur d’ici fin janvier 2025, une liquidation judiciaire pourrait être déclarée, entraînant de facto la fermeture de l’abattoir.
« Aujourd’hui, je suis à vingt kilomètres de l’abattoir. Le trajet d’une demi-heure est déjà fatiguant pour les vaches. Comptez une heure et demie pour vous rendre à Aubenas, en Ardèche, au 120 kilomètres, serait un désastre pour le bien-être animal. Sans parler du coût financier et du temps, je suis déjà sous l’eau », déplore Tom Rampazzi.
La crise des abattoirs locaux est un phénomène national. En 2003, la France comptait 400 établissements. En 2022, seulement 234. « Rien que depuis le début de l’année, cinq établissements ont mis la clé sous la porte »note Yves-Pierre Malbec, membre de la commission « abattoir » du syndicat agricole de la Confédération paysanne. « Leur fermeture est souvent liée au départ de grands commerçants qui s’installent dans un autre établissement. Les petits fournisseurs se retrouvent alors sans outils à moins de parcourir des centaines de kilomètres. »
Les courts-circuits menacés
A Alès, après la diffusion par l’association L214 de vidéos montrant la souffrance animale, de gros clients se sont détournés de l’abattoir, faisant passer son activité de 5 217 tonnes en 2014 à 2 663 tonnes en 2018. En 2021, seuls quatre chevillards produisaient 80 % des le tonnage, rendant la structure, qui emploie 25 salariés, dépendante de ses plus gros fournisseurs. “Quand l’un d’eux, Alès Viande, a fait faillite, tout le navire a coulé”explique Olivier Villain, éleveur de porcs fermiers.
Impopulaire car symbolisant la mort, un abattoir n’en reste pas moins un maillon essentiel du secteur agricole et agroalimentaire. Sa disparition perturberait la dynamique de diversification des agriculteurs gardois.
« Ces dernières années, la polyculture et l’élevage se sont développés. Les viticulteurs, face à la crise actuelle de surproduction vitivinicole, se sont mis à élever du bétail pour valoriser les friches et valoriser leur production. », explique Patrick Gravil, président du syndicat bovin du Gard, à l’origine de la création d’un label de viande locale Bovigard.
Reprises coopératives
Selon les chiffres de la société d’économie mixte des abattoirs d’Alès-Cévennes (Semaac), près de 38 % des bovins abattus proviennent d’élevages du Gard ou des départements limitrophes. Un chiffre qui s’élève à 95% pour les ovins et caprins. Sur les trois dernières années, 938 clients, dont seulement 15 abatteurs, ont fait appel à l’abattoir selon la Chambre d’agriculture du Gard. Même s’ils représentent moins de tonnages par an, ce sont les petits éleveurs, ceux dont la viande est transformée et vendue localement, qui sont les plus menacés par la disparition d’une infrastructure initialement conçue pour une production industrielle.
Confrontés aux mêmes problèmes de rentabilité, les abattoirs voisins du Vigan et de Tarascon, situés chacun à environ 70 kilomètres d’Alès, ont été repris par des éleveurs sous la forme d’une société d’intérêt collectif agricole. La première est entièrement gérée par les éleveurs qui abattent eux-mêmes leurs animaux, tandis que la seconde a réussi à maintenir en activité la quinzaine de salariés.
Sauront-ils absorber les 938 clients d’Alès ? « Il y en aura forcément qui seront laissés pour compte et ce sera une catastrophe pour nos paysages et notre économie locale »alerte Patrick Viala, président du Mas des agricoles, à Nîmes. La boucherie de ce supermarché réservé aux producteurs locaux (6,5 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel) propose de la viande dont les animaux ont été abattus dans 80 % des cas… à Alès.
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