Les coïncidences sont parfois cruelles. Une délégation d’élus et de techniciens de la communauté de communes de l’Oisans (Isère), victime de fortes intempéries en juin dernier, s’est rendue sur le territoire de la Côte d’Azur au moment même où des pluies dévastatrices tombaient sur Valence, en Espagne. Alors que l’enjeu des deux jours de visites de terrain et d’échanges était justement de tirer les leçons de la tempête Alex dans la Roya.
« Nous voulons vous montrer que lorsque nous avons les communautés derrière nous et que tout le monde s’implique, nous pouvons le faire. commence le président de Carf, Yves Juhel. Mais il faut avoir le courage de se dire : on ne va pas faire comme avant.»
parler d’une seule voix
Il est essentiel que les décideurs parlent d’une seule voix. Dans le cas de l’après-Alex, ce sont les services de l’État qui ont rassemblé les forces actives. Et a permis une cohérence dans la réponse.
« Dès le 14 octobre, un préfet dédié a été nommé. Il a été un interlocuteur privilégié sur chaque sujet. Une mission interministérielle de reconstruction des vallées (Mirv) a également été mise en place. »indique le chef du service Gemapi à la Carf, Jean-Christophe Martin. Ajoutant que c’est aussi l’Etat qui a réalisé plus de 2.300 expertises immobilières.
« Il faut quelqu’un comme notre préfet, c’était un vrai pilier. Sinon, nous serions partis dans tous les sens. »assure la maire de Saorge, Brigitte Bresc.
« Notre problème, c’est que tout passe par la mairie. Personne n’est détaché à la préfecturebreathes Jean-Louis Arthaud, the mayor of Saint-Christophe-en-Oisans. Le chef d’état-major se rend disponible mais sur certaines choses il faut gérer.»
Aidez l’économie
« Grâce à la vigilance des élus, nous n’avons eu aucune victimesouligne le président de la communauté de communes de l’Oisans, Guy Verney. Mais les victimes sont aujourd’hui économiques. Dans un territoire qui vit du ski en hiver et du vélo en été.
Carf a également dû imaginer des moyens d’accompagner les professionnels. Un centre logistique a ainsi été créé pendant dix mois pour assurer les livraisons dans la partie haute de la vallée.
Sur les 1,8 million d’aides économiques directes accordées aux entreprises de la Roya, près d’un tiers provient également de la Carf.
Jongler avec les mots
« Parfois, les textes nous imposaient de reconstruire à l’identique pour obtenir des subventions. Nous n’avons pas pu obtenir certains fonds de l’État car nous avons adopté la résilience dans nos opérations »» demande le directeur général des services techniques, Sylvain Michelet.
Rejoint par Florent Adamo, géologue au Département. “Certaines routes n’ont pas pu être construites au même endroit. La logique adoptée était la suivante : ce que la rivière a pris, nous le partons. Il a donc fallu faire une gymnastique sémantique pour pouvoir bénéficier de subventions.»
Changer l’image
« L’objectif est que le hameau de La Bérarde ne reste pas dans les mémoires comme un fait divers. De notre côté, l’office de tourisme a beaucoup travaillé sur cette image”explique la directrice générale de Carf services, Valérie Prosellico.
Jean-Louis Arthaud hoche la tête. Il dit que son village a une histoire riche autour de l’alpinisme, et qu’il va falloir bâtir sur cette image. Pour la saison 2025, la priorité sera donnée à l’accès piéton aux refuges.
« 17 maisons seront démoliesajoute l’élu de Bérarde, Yannick Ducret. Mais la vallée existe, elle n’est pas détruite.
Quel dialogue avec la population
L’une des questions au cœur du débat post-catastrophe est certainement le ressenti de la population. Et du côté du Carf, on sait à quel point la destruction des structures provisoires aurait pu représenter un “souffler” au niveau du moral des habitants, déjà épuisés.
Michel Martin, l’adjoint au maire de Venosc – village également très touché par la crue torrentielle de l’Isère – est bien conscient de ces réalités.
« Le Département a reconstruit la route en deux ou trois jours. Mais il s’agissait d’une voie d’évacuation temporaire, avec seulement une petite couche d’asphalte. Cependant, les gens l’ont pris pour une route. Ils n’ont pas compris qu’on ne pouvait pas faire passer les touristes…», il explique.
Soulignant l’importance de la communication. « Il a fallu de la pédagogieacquiesce Sylvain Michelet. Les habitants ont été touchés dans leur chair, ils avaient besoin qu’on les écoute, qu’on leur donne des perspectives.
Dans le cadre de la reconstruction, qui impliquait la destruction des maisons, le choix a été fait de procéder à des acquisitions à l’amiable..
« Tout le monde n’a pas joué le jeu, il y aura des expropriationssouligne Jean-Christophe Martin. Mais nous n’avons pas voulu systématiser les déclarations d’utilité publique. Cela aurait représenté une double peine après la catastrophe. Et nous voulions éviter l’impact foncier : avec une DUP, il nous aurait fallu une superficie plus large, et donc pris plus de parcelles.
De son côté, Michel Martin prône un changement de paradigme. « De mauvaises habitudes ont été adoptées. Il n’y a plus eu de crues du Vénéon depuis les années 1970… jusqu’à ce qu’on en connaisse deux en un an ! Il faudra que les gens comprennent qu’il faut changer notre façon de voir les choses et ne pas se réfugier derrière les travaux pour voir l’avenir, il faudra revenir en arrière, laisser le fleuve tranquille.
Des délais intenables
Au lendemain de la tempête, un inventaire a été réalisé par les services de la Gemapi. « Le temps était limité pour finaliser les demandes de subvention. Nous avons ensuite affiné notre connaissance des dégâts »pose Jean-Christophe Martin.
Responsable des travaux chez Smiage, Franck Compagnon confirme que le délai était très court, surtout quand on sait que la plupart des routes étaient inaccessibles.
« C’était très compliqué d’identifier les troubles, de les quantifier. Clairement, la procédure d’urgence du fonds de solidarité n’est pas adaptée à ce type de phénomène. Trois mois, ce n’était pas suffisant. Surtout, dit-il, que des situations ont été découvertes a posteriori.
Du côté de la communauté de l’Oisans, on parle du même retard foudroyant : le sinistre s’est produit le 20 juin ; le dossier devait revenir le 15 août. “La réglementation n’est pas adaptée quand une partie entière du territoire est saccagée”, reconnaît Sylvain Michelet.
Malgré tout, des astuces ont été trouvées pour solliciter d’autres aides. « Pour les dossiers orphelins qui n’avaient pas été identifiés au titre du fonds de solidarité, nous avons pu bénéficier du Steprim – Stratégie territoriale de prévention des risques en montagne, says Franck Compagnon. Mais cela doit être multi-dangereux.
Différents phénomènes
« La tempête Alex a apporté beaucoup d’eau en peu de temps : nous avons enregistré 600 mm de pluie cumulée à Castérino. Quant au débit de la Roya, il est passé de 450 m3/s à 1 400 »résume Jean-Christophe Martin, évoquant une ampleur inédite en France.
« Comme à La Bérarde, des mètres et des mètres de pierres se sont entassés, notamment à Vievola. Il faisait jusqu’à huit mètres d’épaisseur. »ajoute le directeur général adjoint de Carf, François Lefebvre.
Jean-Louis Arthaud insiste sur le fait qu’en Oisans, le phénomène météorologique n’était pas aussi exceptionnel : « Nous avons eu 120-140 mm d’eau… mais des conséquences pratiquement identiques. Nous avons perdu une bonne partie du bâtiment, avec des gravats transportés jusqu’à 17m jusqu’au village de La Bérarde. Comme nous sommes face à une pente très raide, l’emportement est immédiat. Il y a eu aussi une fonte énorme, nous avons perdu 1 m de neige en 48 heures. À cela s’ajoute le drainage d’un lac glaciaire. toi, 600mm dans la vallée, il ne serait plus rien resté…»
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