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Un fauteuil pour l’orchestre – Le site des critiques de théâtre parisien » Le Suicide, d’après Nicolaï Erdman, mise en scène Stéphane Varupenne, à la Comédie-Française

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24 octobre 2024 |
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© Vincent Pontet

fff arctiquele de Sylvie Boursier

Le suicidevAudeville soviétique avec la devise cynique – « ce que pense une personne vivante, seule une personne morte peut le dire » – c’est Semyon, un fainéant vivant aux dépens de sa femme et de sa belle-mère, un salaud dans un appartement communautaire, l’homme de trop à Tourgueniev (Le journal d’un homme de trop). En pleine nuit il réveille sa moitié, affamé, et fuyant la scène domestique qu’il déclenche, se réfugie dans la cuisine, pour manger tranquillement du saucisson. Lors de sa disparition, ses proches sont persuadés qu’il va se suicider. Pourquoi ne mettrait-il pas fin à la vie de ce chien en se donnant une bonne chance ? La rumeur du suicide attire comme des mouches toutes sortes d’individus, un boucher, un artiste, un auteur, un idéologue de l’intelligentsia russe, un prêtre orthodoxe ou un amoureux passionné, qui veulent récupérer sa mort pour leur propre bénéfice.

Une charcuterie aux allures de fusil dans la poche de Sémione, tout le monde croit à son suicide. Ils veulent profiter de l’aubaine et le proclament martyr de la résistance aux Soviétiques mais lors de son dernier repas, le suicide involontaire se rétracte. Le turboréacteur Nicolaï Erdman bouge à sec comme dans Le mandat où un clou enfoncé dans le mur a fait tomber par inadvertance un pot de vermicelles sur la tête du voisin communiste vengeur.

Stéphane Varupenne signe une mise en scène impeccable qui ne cherche pas à être plus futée que l’auteur lui-même. Il saisit magistralement le paradoxe de Suicide, pochade à la manière de Enduit de loin, Hamlet parmi les soviets, de près et partout, un pamphlet au vitriol sur une bande de morts-vivants prêts à acheter la mort d’un citoyen comme un billet de tombola. Le Vaudeville devient profondément métaphysique, féroce et désespéré, politique ou philosophique.

Les deux premiers actes se déroulent dans une sorte de clapier, éclairé de rectangles gris brunâtres percés de trous de souris. Tout le monde va aux toilettes avec ses lunettes, “Mini, mini, mini ça manque d’air, chantait Dutronc, « tout est vraiment petit dans leur vie.

On est immédiatement frappé par la plasticité dramaturgique de l’auteur à laquelle correspond son culot, Stéphane Varupenne surfe sur toutes les inventions scéniques que permet ce théâtre d’acteurs.

« Laisse-moi t’expliquer pourquoi tu te suicides”» déclare la lumière du pot représentant les intellectuels (l’impérial Serge Bagdassarian).

La course à la guérison est caricaturale face à un Sémione qui a de moins en moins envie de mourir, c’est le terminal des prétentieux toutes plus bêtes les unes que les autres, tout y passe y compris l’amour (excellente Anna Cervinka obsédée par la pute de son mari).

Introduction à l’hélicon du futur Suicide, avec le potentiel comique de ce genre de grosse caisse à piston nous voit plié de rire.

Dans l’acte 3 on s’étouffe, la scène s’ouvre sur une ivresse générale (ah le Gogol Mogol !) dans une salle commune non loin d’un stand de tir (bang ! bang c’est une explosion), rythmée par LE » Quelle heure est-il? ” aaffligée par Semione voyant l’heure prévue de sa mort approcher. C’est le carnaval des moins sur fond d’attentats contre la Révolution, un cabaret satirique où chacun règle ses comptes en contre-façon brève sauf Igor, une sorte de Révizor (formidable Clément Hervieu Léger) qui ne voit que « des masses, des masses, des masses et des masses de masses « . L’alcool aide, le suicide, ivre de la liberté que lui donne sa mort imminente, il peste contre le kremlin » tu lui diras que j’ai lu Marx et que Marx ne me plaisait pas.» Visiblement, Staline n’a pas aimé ça !

Jérémie Lopez comme Sémione a de la grâce. C’est ce lâche terre-à-terre qui ne se soucie pas d’être un homme nouveau et qui ne demande qu’à profiter de la vie tant qu’on le laisse tranquille. Ses tentatives désespérées pour y mettre un terme nous font chaud au cœur avec l’insolence déchirante de Patrick Dewaere dans Série noire qui s’est cogné la tête contre le capot d’une voiture et a mis fin à ses jours en se tirant une balle dans la bouche devant le miroir de sa chambre.

Les numéros d’acteur atteignent un crescendo dans le dernier acte avec une parodie visuelle de la Déposition du Christ. L’ensemble des pieds nickelés pose, s’écoute parler et distribue les jugements définitifs. Le réalisateur a eu raison de ne pas confondre rythme et précipitation avec ces arrêts sur image saisissants, ah la transe diabolique du prêtre orthodoxe ! (excellent Adrien Simion) et boum ! L’Église est également durement touchée dans ce processus.

Après le mandat à la Tempête en mai dernier, le suicide à la Comédie Française, une belle année pour Nicolaï Erdman, ce grand ami intellectuel de Maïakovski, esprit libre à l’écriture virtuose » Je veux vivre… quand on coupe la tête d’un poulet, il continue à courir dans la cour avec la tête coupée, même comme un poulet, même avec la tête coupée, mais pour vivre, camarades, je ne veux pas mourir : ni pour vous, ni pour eux, ni pour un cours « . Comme Sémione, l’auteur finit sa vie en murmurant, réduit au silence par le pouvoir : murmurons et nous vivrons notre vie, toute notre vie, en chuchotant « . La Révolution donne naissance en 1928 à une société cauchemardesque de masses populaires et à fort potentiel comique.

Aujourd’hui, en Russie, toute une génération murmure ; le rappeur Ivan Petunin s’est suicidé en 2022 pour ne pas être mobilisé, son nom résonne tragiquement avec celui de Fédor Pitunin dit « l’asticot », le vrai Suicide du morceau qui a le dernier mot » la vie ne vaut pas la peine d’être vécue « . Comme Semione, tout un peuple en Ukraine crie « je veux vivre ».

Extrêmement drôle, tragique et dévastateur, foncez !

© Vincent Pontet

Le suicide after Nicolaï Erdman

French text and adaptation by Clément Camar-Mercier (esse que editions 2024)

Réalisateur : Stéphane Varupenne

Scénographie : Eric Ruf

Costumes : Gwladys Duthil

Lumières : Nathalie Ferrier

Son : Colombine Jacquemont

With: Sylvia Bergé, Florence Viala, Christian Gonon, Julie Sicard, Serge Bagdassarian, Adeline d’Hermy, Jérémy Lopez, Clément Hervieu-Léger, Anna Cervinka, Yoann Gasiorowski, Clément Bresson, Adrien Simion, Léa Lopez, the actor of the academy of the Comédie-Française
Melchior Burin des Roziers et les musiciens *en alternance
Vincent Leterme, Véronique Fèvre, Hervé Legeay*, Martin Leterme*

Du 11 octobre 2024 au 2 février 2025

Du mardi au dimanche à 20h30, matinée samedi et dimanche à 14h

Durée 2h20

Comédie française

Place Colette

75001 Paris

Réservation : 01 44 58 15 15

www.comedie-francaise.fr

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