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Le gouvernement lève l’interdiction des symboles religieux dans les écoles

CLundi 7 octobre, les cloches des écoles ont mis fin aux longues vacances des écoliers sénégalais, qui retournaient ainsi à l’école pour l’année scolaire 2024-2025. Alors qu’un climat tendu règne depuis fin juillet à la suite d’un vif débat sur le port du voile dans les structures scolaires privées, le ministre de l’Éducation nationale, Moustapha Guirassy, ​​a profité de sa tournée de supervision pour tenter de rassurer. . De passage au Collège Cathédrale, une école privée catholique, le ministre est revenu sur l’adoption la veille d’un décret afin « d’harmoniser le règlement intérieur de toutes les écoles du Sénégal » pour respecter les croyances religieuses et maintenir le vivre ensemble. “Ce n’est pas un décret pour créer des problèmes”, a-t-il insisté, avant de préciser qu’il faut au contraire “anticiper, prévenir, établir et garantir la cohésion que nous avons”.

Daté du 6 octobre et rendu public trois jours plus tard, le décret interdit l’interdiction du port de symboles religieux, comme le voile, la croix ou les perles sacrées, dans l’enceinte des établissements scolaires publics et privés, à condition que cela ne porte pas préjudice à la identification de l’étudiant. Cette nouvelle réglementation a été demandée par le Premier ministre Ousmane Sonko lors d’une réunion interministérielle le 19 septembre.

Polémique récurrente

Présent le 30 juillet à la cérémonie de remise des prix des meilleurs étudiants du Sénégal, Ousmane Sonko a été interrogé par une lauréate voilée sur le port du foulard islamique. « Certaines choses ne peuvent plus être tolérées dans ce pays. Nous n’autoriserons plus certaines écoles à interdire le port du voile », a déclaré le Premier ministre, appelant également les écoles privées françaises à ne pas interdire l’accès aux filles voilées afin que tous les élèves puissent bénéficier des mêmes droits. Des propos qui ont immédiatement relancé le débat sur cette question, loin d’être nouveaux. « La polémique actuelle n’est pas sans rappeler d’autres cas depuis les années 1990 », constate Abdoulaye Sounaye, enseignant-chercheur, spécialiste des religions, États et sociétés pour l’Afrique de l’Ouest, citant le dernier cas en 2019 où une vingtaine de filles voilées n’avaient pas été acceptées par l’Institut Jeanne-d’Arc de Dakar. Hormis de rares situations, c’est plutôt l’indulgence et la tolérance à l’égard du port du voile qui priment dans les écoles catholiques sénégalaises. « Les interdictions du port de signes religieux ne figurent pas dans le règlement intérieur de ces établissements. Mais, dans la pratique et dans la réalité, certaines écoles peuvent se retrouver gênées par la présence de symboles religieux », commente le spécialiste. Au-delà du voile, ces établissements pointent surtout du doigt des comportements qui contreviennent à la cohésion et à l’harmonie au sein de leurs murs. « Certaines écoles catholiques ont pointé du doigt le voile comme révélateur des comportements sectaires de certains élèves, affirmant qu’ils avaient aussi des comportements problématiques, comme ne pas partager les mêmes bancs que les élèves de l’autre sexe », explique Cheikh Gueye, secrétaire. général du Cadre Unitaire de l’Islam. Ainsi, pour s’en prémunir, le décret précise que la nouvelle réglementation « n’exclut pas l’étudiant de participer à des activités éducatives et sportives » et insiste sur la diversité et le respect du vivre ensemble.

Indignation des catholiques

Les propos d’Ousmane Sonko n’ont pas manqué de susciter la polémique, notamment auprès des catholiques, qui représentent une minorité (moins de 5% de la population) mais une communauté très active dans le pays. Les établissements catholiques, environ 190 au Sénégal, allant du périscolaire au post-baccalauréat, sont largement fréquentés par des étudiants musulmans car très réputés pour leur excellence. Le président lui-même, Bassirou Diomaye Faye, a fréquenté l’un de ces établissements au cours de son parcours scolaire. Seuls 28 % des étudiants inscrits sont catholiques. Dans un communiqué daté du 4 août, le Conseil national des laïcs (CNL), qui regroupe les associations et mouvements catholiques au Sénégal, s’est dit « indigné » par des « déclarations maladroites » de « nature à heurter la sensibilité des Sénégalais ». , légitimement interpellé par les menaces proférées contre les établissements privés catholiques.» Dans une lettre au ton colérique, le père Latyr Ndiaye a même évoqué des « menaces » et évoqué une « déclaration de guerre » de la part du Premier ministre.

Face au tollé suscité, le ministre de l’Éducation a alors tenté d’éteindre l’incendie, soulignant que « Sonko avait été incompris » et qu’il insistait avant tout sur « l’inclusion scolaire ». Mais l’incendie reprend avec la réunion interministérielle du 19 septembre au cours de laquelle Ousmane Sonko remet sur la table le règlement de certaines écoles privées, qu’il considère « étrangères », et demande au ministre de l’Éducation nationale un arrêté pour régler l’affaire. définitivement. Si, pour Cheikh Gueye, seules « les écoles étrangères, et spécifiquement françaises, et non les écoles catholiques », sont ciblées, la perception du CNL est tout autre. L’organisation déplore « la persistance dans l’erreur du chef du gouvernement de considérer les écoles privées catholiques comme des écoles étrangères » et son « acharnement à stigmatiser » son enseignement, écrit son président, Philippe Abraham Birane Tine, dans une note du 21 septembre. « L’Église est républicaine et fonde son action sur la Constitution », répond-il, précisant que « les chrétiens du Sénégal ne peuvent être considérés comme des citoyens de seconde zone ».

« Cela peut être une forme d’expression d’un anti-occidentalisme dans certains milieux musulmans, notamment au niveau des élites. C’est une critique de certaines valeurs qui sont généralement qualifiées d’occidentales et qui sont aussi parfois très vite associées au christianisme”, analyse Abdoulaye Sounaye. Pour M. Gueye, spécialiste de l’Islam, le discours du Premier ministre visait à « demander que nos spécificités culturelles et religieuses soient respectées. Mais certains l’ont surinterprété comme une critique ou une attaque contre les chrétiens », a-t-il déclaré, ajoutant : « Nous devons absolument éviter d’importer des questions françaises dans notre pays. Ce qui est un peu le cas dans cette polémique. »

Modèle de coexistence et laïcité sénégalaise

Le nouveau décret se veut également « un rappel de l’importance du renforcement de la cohésion nationale et de l’acceptation des différences », a souligné le ministre de l’Éducation dans un quotidien sénégalais. Car ces malentendus perturbent l’harmonie entre les religions si chère aux Sénégalais. Le Sénégal, réputé pour sa coexistence de communautés religieuses, est un modèle de stabilité fondé notamment sur une laïcité bien particulière dans un pays particulièrement religieux (95% de musulmans). Loin du modèle français, la religion fait partie intégrante de la société sénégalaise mais aussi de la politique et joue un rôle majeur, notamment à travers les confréries musulmanes mais aussi l’Église catholique, en cas de crise. « Aucun pouvoir au Sénégal ne peut véritablement fonctionner et préserver la cohésion sociale sans s’appuyer sur cette force religieuse qui est aussi Source de socialisation, lieu de préservation de la morale et du vivre-ensemble. Même si l’on dit que notre République est laïque, la pratique de cette République est très corrélée à une interaction entre la sphère religieuse et la sphère étatique », appuie Cheikh Gueye. Tous les régimes politiques successifs ont redéfini, ajusté et pratiqué cette laïcité avec, à chaque fois, « une recherche d’équilibre entre le temporel et le religieux », rappelle M. Sounaye. Le secrétaire général du Cadre de l’Islam plaide pour la prévention et l’action en amont, plutôt que pour la gestion des crises. Le Cadre Unitaire de l’Islam envisage ainsi l’organisation annuelle d’une semaine du vivre-ensemble afin de « rappeler les fondements de ce vivre-ensemble et éviter d’autres crises ».

Souveraineté et agenda politique

Si la polémique sur le port du voile a refait surface récemment, c’est aussi en raison d’un contexte particulier, celui de l’arrivée au pouvoir du président Bassirou Diomaye Faye et de son Premier ministre, Ousmane Sonko, qui portent un nouveau programme politique fondé sur la souveraineté. . “L’arrivée au pouvoir de Diomaye a été favorisée par un certain discours que l’on pourrait qualifier de révolutionnaire, populiste, mais, derrière tout cela, il y a aussi un agenda qui soutient une forme particulière de religiosité avec une certaine idée aussi de défense de l’Islam”, estime Abdoulaye. Sounaye, qui doute que le régime précédent aurait abordé ainsi la question du port du voile. « Il voudrait affirmer, revendiquer le droit de ne pas être contraint dans sa pratique de la religion. C’est cette intention que je lis dans la position de Sonko. C’est un clin d’œil à une forme de religiosité qui se sent parfois dominée ou, en tout cas, insuffisamment reconnue. Pour Sonko, il est contradictoire, dans un contexte majoritairement musulman, que les musulmans soient confrontés à de telles restrictions. Cette génération a une idée pro-islamique de la laïcité », explique l’enseignant-chercheur.

Cette évolution est également favorisée par l’évolution des familles confréries et l’émergence de nouveaux courants islamiques qui, bien que minoritaires, ont acquis un poids important. Politiquement, la religion est plus que jamais devenue un outil d’influence mais se révèle à double tranchant car cet aspect est émotionnel et sensible. Le terrain est glissant et le risque d’opposition de groupes religieux peut rapidement devenir Source de conflits. « Nous essayons de vendre ce modèle sénégalais du vivre ensemble dans la sous-région, mais encore faut-il pouvoir le maintenir et qu’il reste un modèle viable », dit-il.

Récemment, le président sénégalais a annoncé la création en 2025 d’un ministère des Cultes chargé des affaires religieuses, une première au Sénégal. « Si les conditions d’inclusion de toutes les religions, y compris traditionnelles, sont respectées, cela peut créer un modèle sénégalais inspiré par nos valeurs fondamentales. Sinon, ce ne sera qu’un effet d’annonce qui répond à l’agenda des politiques”, prévient Philippe Abraham Birane Tine. Dans un contexte sous-régional en crise avec la présence d’un jihadisme menaçant et violent, Abdoulaye Sounaye voit dans cette nouvelle institution un moyen possible de « contrecarrer ou, en tout cas, éviter les évolutions que l’on observe au Mali, au Niger, au Burkina ou au Mali ». même le Nigéria. « Aucun de ces pays de la sous-région, notamment ceux où nous avons une majorité musulmane, n’est à l’abri de ce type de développement. Ce ministère peut permettre de créer ou de réfléchir, en tout cas, à une nouvelle manière de gérer la religion ou les différences religieuses qui, bien souvent, ont constitué plus un problème qu’une opportunité. Je pense que, ne serait-ce que pour encadrer ce dialogue interreligieux et en bénéficier du point de vue de la stabilité politique, un ministère du culte pourrait être utile », soutient-il.

 
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