Vendredi 20 septembre, les conseils d’administration de Sciences Po – le conseil de l’Institut d’études politiques (IEP) et le conseil d’administration de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP) – ont annoncé s’être mis d’accord sur le nom que prendra Luis Vassy. sur la gestion de l’établissement. Cette nomination intervient quelques mois après la démission de l’ancien directeur, Mathias Vicherat, accusé de violences conjugales.
Sciences Po, un nouveau directeur à l’image de l’école : élitiste et attaché aux intérêts privés
Le candidat désigné est l’archétype de la classe politique : après un passage au prestigieux lycée Louis le Grand et une classe préparatoire, il intègre l’Ecole Normale Supérieure, Sciences Po puis l’ENA (dans la même promotion qu’Emmanuel Macron) et a depuis, il a travaillé comme diplomate et conseiller aux Affaires étrangères. Et à ceux qui oseraient s’agacer de voir une ribambelle d’énarques à la tête de l’organisme, le conseil d’administration de Sciences Po à l’origine de sa nomination s’est empressé de déclarer, par la voix de sa présidente Laurence Bertrand-Dorléac, que « tous les énarques ne se ressemblent pas »… pourtant les faits parlent d’eux-mêmes.
Les deux conseils qui administrent l’école ont choisi de réaffirmer avec force les « fondamentaux » de l’institution – « l’esprit Boutmy » pour reprendre l’expression de Laurence Bertrand-Dorléac. Tout d’abord, ce sont les liens avec le gouvernement et le pouvoir qui se renforcent. Alors que l’ingérence en mars du Premier ministre Gabriel Attal au sein du conseil d’administration pour dénoncer l’occupation d’un amphithéâtre par des étudiants avait choqué jusqu’aux doyens des différentes écoles de Sciences Po, le choix de Luis Vassy envoie un message clair signal : le gouvernement peut et continuera de jouer un rôle clé dans les affaires scolaires, y compris dans la gestion de la vie étudiante. Car Luis Vassy, haut fonctionnaire, présent dans tous les gouvernements depuis l’arrivée au pouvoir de Macron et fidèle à ce dernier, est parfait pour le poste.
En nommant Luis Vassy, les autorités réaffirment l’ADN de l’école : son rôle de formation des élites et d’intégration de la classe dirigeante politique et économique. Dans son projet soumis aux recruteurs, le futur directeur affirme ainsi vouloir poursuivre l’objectif de l’école revendiqué par son fondateur, Émile Boutmy : la « refondation des élites » du pays.
Cet objectif – qui trouve son origine dans le traumatisme que la Commune de Paris avait constitué pour la bourgeoisie de l’époque et visait, selon les mots de son fondateur, à ce que « le flux de la démocratie rencontre un second rempart fait de mérites fulgurants et utiles », de supériorité dont le prestige s’impose » – est pleinement assumé par Luis Vassy qui tente de justifier sa légitimité à travers sa propre carrière. Depuis sa nomination, il ne cesse de construire une histoire d’ascension méritocratique dans les médias, qui n’est pas sans rappeler son enfance à Fontenay-sous-Bois.
Enfin et surtout, le nouveau directeur incarne la symbiose des intérêts privés et publics au sein de l’école. Si, contrairement à ses prédécesseurs, le nouveau directeur n’a pas – encore – travaillé dans le secteur privé, Luis Vassy peut se targuer d’une solide expérience de promoteur des intérêts privés français acquise lors de son premier passage au Quai d’Orsay, où il a été décrit comme pièce maîtresse de « l’équipe de France » chargée de dynamiser les exportations françaises d’armements.
Luis Vassy a donc pu flatter les instances dirigeantes en affirmant vouloir accroître encore les financements privés et les partenariats, qui se sont déjà considérablement accrus ces dernières années.
Une mission pour le nouveau directeur : mettre fin à la mobilisation de solidarité avec la Palestine
Si les autorités ont jeté leur dévolu sur un profil incarnant avec autant de rigueur ces piliers de l’institution, c’est surtout parce que ces derniers ont été mis à mal au dernier semestre, générant la crainte de perdre l’attractivité de l’école pour les enfants de la bourgeoisie. et avoir été repoussé par le gouvernement.
En effet, la place des entreprises privées a été largement remise en question par la mobilisation étudiante solidaire de la Palestine qui réclame la fin des partenariats avec des entreprises complices du génocide en cours. Les étudiants ont exposé la puissance des grandes entreprises françaises au sein de la direction de Sciences Po, notamment dans le partenariat scellé avec Carrefour – une enseigne qui envoie des colis à Tsahal et commercialise ses produits dans les territoires. colonisé – dont le PDG, Alexandre Bompard, siège au conseil d’administration de l’école.
Par ailleurs, plus ou moins explicitement en réaction à la mobilisation étudiante, plusieurs mécènes ont en effet choisi de quitter le navire, comme l’institut Mc Court qui a mis fin à son partenariat de 25 millions (!) signé pour 10 ans, ou la famille Fitousi qui s’est désengagée avril en exigeant que Sciences Po exclue les étudiants mobilisés et révoque leurs visas.
La crainte d’une remise en cause profonde de la place du monde de l’entreprise et des intérêts privés est particulièrement vive chez les nombreux représentants du patronat au sein des instances de direction de l’école. En mars déjà, Laurence Parisot, ancienne présidente du Medef et 1ère vice-présidente du conseil d’administration de la FNSP, la fondation privée qui gère l’établissement, s’inquiétait de savoir si la mobilisation avait un impact sur les dons reçus par Sciences Po et en position pour que Sciences Po s’exprime plus clairement et plus durement contre la mobilisation en cours.
Conscientes du risque que représentait le mouvement étudiant pour les principes qu’elles souhaitent préserver, les instances dirigeantes ont donc recherché un profil garantissant qu’un tel mouvement ne se reproduirait plus. Dans la description de poste, cette préoccupation se cachait derrière la formule « capacité d’adaptation et gestion de crise » et guidait le choix des recruteurs. Ce dernier a même rejeté la candidature du politologue Pierre Mathiot, jugé trop « islamo-gauchiste », alors même qu’il était… un ancien collaborateur de Jean-Michel Blanquer.
Cependant, tous les candidats présélectionnés ont bien compris les attentes des recruteurs. Medhi Rostane, directeur de l’IEP d’Aix-en-Provence, a clairement assumé sa volonté d’exercer sa fonction avec « autorité » pour que l’école retrouve sa « sérénité ». Arancha Gonzalez, la directrice de l’École des affaires internationales qui s’est présentée comme candidate de « gauche », a mis en avant, plus habilement, son expérience dans la « gestion étudiante ».
Mais c’est Luis Vassy qui avait sans doute le profil le plus convaincant à cet égard. Challenges rapporte que : « Luis Vassy vante son propre « sang-froid » et sa « capacité à gérer les crises », après son expérience au Quai d’Orsay de la crise qui a suivi les attentats sanglants du 7 octobre en Israël et le début de la guerre à Gaza. »
Son projet offre également des garanties très solides aux deux conseils décisionnels. Luis Vassy pose ainsi comme première priorité la rénovation de l’image de Sciences Po « troublée par les polémiques successives ». Au sujet des réactions « aux conflits au Moyen-Orient », il prône un « dialogue apaisé » à la manière de son prédécesseur, Jean Bassères qui, sous couvert de dialogue, avait cherché à mettre en place une nouvelle régulation pour, à terme, réprimer. mobilisations futures. rejeté.
Une nomination à la tête de Sciences Po qui promet une continuité dans la politique de l’école, élitiste, méritocratique et répressive et qui démontre une volonté de mettre un terme à toute contestation du génocide en Palestine. Alors que le nouveau ministre de l’ESR entend s’attaquer à ce qui reste de l’université de Mai 68, Sciences Po sert d’exemple en multipliant les facultés d’élite dirigées par des PDG et des entreprises. À Sciences Po comme partout, cette nomination rappelle la nécessité de se préparer aux combats à venir. Il s’agit déjà de réaffirmer le droit de mobiliser et d’affirmer le choix d’une partie des jeunes chercheurs en sciences d’être du bon côté de l’histoire et de refuser l’avenir élitiste d’une nation oppressive qui s’offre à la fin de Sciences Po. .
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