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Merci à Stanislas ! – Bavard – .

Une chronique gratuite de Jean-Robert Pitte, ancien président de l’Université Paris-Sorbonne, membre de l’Institut


Je suis attristé par la campagne haineuse orchestrée par une partie de la gauche parlementaire et par Anne Hidalgo et sa majorité à la Mairie de Paris contre le Collège Stanislas et, avec elle, tout l’enseignement privé sous contrat qu’on n’ose plus qualifier de « gratuit ». . J’ai effectivement préparé mon baccalauréat dans cet établissement en 1965-66 et, 58 ans plus tard, je voudrais dire que cette année a été la plus enrichissante de toute ma scolarité. Désolé de vous parler de ma vie, mais je dois vous dire pourquoi je me suis retrouvé à Stan l’année de mes 16 ans, à plus d’une heure de bus et de métro de chez moi.

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Mes parents étaient de modestes employés de bureau[1] vivant frugalement avec leurs trois fils dans un petit appartement d’un faubourg sans luxe et sans joie, dans ce département que l’on appelle aujourd’hui le 9-3 : le Pré-Saint-Gervais qui n’était pas encore bobo et dont le ciel était alors obscurci toute l’année par la fumée des usines. Pas de salle de bain, pas de télévision, le premier frigo en 1960, pas de voiture, pas de maison de campagne, mais des vacances en « maisons familiales » ou en gîtes : tel est le décor de mon enfance. Mon père est né en 1906 au Havre. Il avait été abandonné par son père et ma grand-mère avait des revenus très précaires, à tel point que son fils n’avait fréquenté l’école des Frères que pendant les quatre années de la Première Guerre mondiale. Ses maîtres étaient assez âgés, car tous les jeunes frères étaient mobilisés. Il a dû travailler comme livreur dès l’âge de 12 ans. Néanmoins, il a écrit sans faute d’orthographe et a passé sa vie à composer de la poésie qui peut encore être lue avec plaisir. Ma mère, née au Pré-Saint-Gervais en 1909, avait perdu son père à la guerre et avait été élevée par les Sœurs du Saint-Esprit jusqu’à l’obtention de son certificat d’études. Même constat : pas de faute d’orthographe, écriture calligraphique, fables de La Fontaine récitées par cœur des décennies plus tard… A 14 ans, elle entre dans une usine comme commis d’écriture. Fervents catholiques, mes parents s’étaient rencontrés grâce au patronage de la paroisse, véritable lieu de mixité sociale dans cette petite ville ouvrière et socialiste où les talas n’étaient pas bien vus et avaient peu de chance de bénéficier d’un logement. social, dans un de ces confortables HBM qu’Henri Sellier avait fait construire sur les pentes menant aux forts et à Paris.

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Parce que l’anticléricalisme était virulent dans notre ville, notamment dans les écoles laïques, nos parents nous envoyèrent à la maternelle chez les Sœurs où nous apprenions à lire dès l’âge de 6 ans. Ensuite, elles nous inscrivirent à Saint-Joseph de Pantin, un établissement tenu par la congrégation des Frères des Écoles Chrétiennes. Ils restent majoritaires dans le corps enseignant. Originaires des campagnes catholiques de la profonde, dont ils avaient conservé les accents, vêtus de soutanes à rabats, ils nous conduisaient avec leur bâton – ce n’est pas une clause de style ! – ce qui leur vaudrait aujourd’hui d’être mis en accusation et nous inculquerait sans indulgence les bases du savoir et les principes religieux et moraux de notre Sainte Mère l’Église. L’école était mal chauffée et un peu vétuste, il fallait marcher une demi-heure pour y arriver par tous les temps et je me souviens des longs hivers enneigés et de la pollution qui régnait dans cette banlieue sombre. Dans ces années d’après-guerre, il y avait encore beaucoup de catholiques d’origine modeste et la mixité sociale était une réalité dans notre école comme dans tous les établissements catholiques des quartiers populaires, puisque les enfants de catholiques bourgeois y étaient également inscrits. En ce qui me concerne, avec un brevet d’études collégiales en main, comme 100% des élèves de Saint-Joseph, j’avais conservé l’année d’avance acquise chez les sœurs, et les Frères ont encouragé mes parents à me faire poursuivre des études générales. plutôt que d’accéder à ma demande de devenir cuisinier. Ils m’ont obtenu une place en CE2 à La Rochefoucauld, une école réputée, tenue par la même congrégation, mais située dans le très chic 7e arrondissement. Nous étions une petite cohorte d’étudiants venus de Seine-Saint-Denis et représentions déjà l’effort de mixité sociale que menaient les établissements catholiques à cette époque. Les deux heures quotidiennes de transports en commun m’ont permis de dévorer un grand nombre de romans classiques (Alexandre Dumas, Jules Verne, Pierre Benoît, Balzac, etc.), même s’il n’y avait pas de livres chez mes parents.

La Rochefoucauld ne préparait qu’aux baccalauréats scientifiques et mon niveau en mathématiques était désolant. Ils ont donc proposé à mes parents de m’envoyer à Stanislas en dernière année de philosophie. Je me souviens d’un entretien antérieur entre le Père Directeur et ma mère, en ma présence, dans un immense bureau. Nous étions dans nos petites chaussures. J’ai été accepté et une année passionnante a commencé pour moi. Un souvenir : en juin, j’ai reçu une liste de livres à lire pendant les vacances. Je ne l’ai pas conservé, mais je me souviens de deux livres lus cet été 1965, quand j’avais 16 ans : Festin de Platon et le pamphlet anti-Barthes de Raymond Picard intitulé Nouvelle critique, nouvelle imposture. Je les ai gardés, car ces livres contrastaient avec ma culture limitée et plus encore avec celle de mes parents. L’année m’a fasciné. L’enseignement était beaucoup plus libéral que chez les Frères et j’ai acquis un début de sens critique et de liberté de pensée qui m’a été d’un grand service par la suite. Les professeurs de philosophie et de français étaient très forts et très pédagogiques. Les cours de religion étaient alors obligatoires, mais je faisais partie de ceux qui s’y intéressaient, même si mes convictions religieuses étaient tièdes. J’étais loin d’avoir de bons résultats, mais j’ai obtenu de justesse mon baccalauréat avec un 14 en philosophie écrite.

Arrivé à la Sorbonne en octobre 1966 pour commencer des études de géographie, bien que l’un des plus jeunes de ma classe, je me suis vite rendu compte que j’étais à ma place et que j’avais un bon niveau d’expression. écrit, résultat des exigences des bonnes sœurs, des bons frères et des bons pères qui m’avaient enseigné. A la Faculté des Lettres, la plupart des professeurs et leurs assistants étaient très à gauche et l’Institut de Géographie de Paris était un fief du Parti communiste. Mon année à Stanislas m’a permis de relativiser leurs certitudes sur l’URSS et le sous-développement et, en 1968, j’ai rejoint la résistance contre les absurdités du moment. Pur produit de la méritocratie, premier de ma famille à passer le baccalauréat et à entrer à l’université, je ne supportais pas que mes amis, souvent d’origine plus bourgeoise, se mettent en grève, occupent les amphithéâtres et escaladent les barricades comme des enfants gâtés cassant leurs jouets. Je n’ai jamais autant varié dans ces convictions. L’effort et la rigueur sont les seuls instruments de promotion sociale et je suis fier que mon parcours illustre cette évidence. Sans les bonnes écoles où j’ai étudié depuis la maternelle, il ne fait aucun doute que je n’aurais pas poursuivi mes études et ne serais pas devenue professeur d’université. Mes parents n’ont pas regretté les efforts financiers qu’ils avaient consentis pour que j’arrive à ce résultat. Je n’en tire aucune gloire, mais je leur exprime mon infinie gratitude, ainsi qu’aux nombreux maîtres qui m’ont enseigné, avec des méthodes parfois maladroites, mais toujours exigeantes.

Lire ensuite, Elisabeth Lévy : Une idée folle : réinventer l’école !

Il y a quelques années, le directeur du Collège Stanislas, ayant remarqué que j’étais un ancien élève de la maison, m’a demandé de venir donner une conférence aux élèves de Terminale. Je suis donc revenu un demi-siècle plus tard dans l’établissement où j’avais étudié pour mon baccalauréat. J’ai admiré la motivation des étudiants – plus grande qu’à mon époque –, des professeurs et de la direction de cette maison. J’ai appris qu’elle accueillait toujours des étudiants de Seine-Saint-Denis, notamment musulmans et, pour un certain nombre, gratuitement. Le directeur m’a raconté qu’une mère voilée était venue le voir en disant : « Mon aîné s’est transformé depuis qu’il est venu vers vous. Tu ne pourrais pas aussi emmener son petit frère ? » Alors qu’il m’accompagnait jusqu’au portail de l’école à l’heure de la récréation, il a aperçu un élève portant un survêtement à capuche, interdit par le règlement. Un bref coup de sifflet et l’objet du délit a été immédiatement confisqué sans que l’élève fautif ne se plaigne.

Laissons donc tranquilles Stanislas et les établissements d’enseignement privés sous contrat. Ils sont les laboratoires de ce que devrait être toute l’École en France, promouvant les valeurs civilisées du travail, l’encadrement intellectuel et affectif individualisé des élèves en contact étroit avec leurs parents, la liberté de pensée et l’implication de tous. enseignants dans le projet scolaire. Il n’y a rien de répréhensible dans le fait que le message du christianisme inspire beaucoup d’entre eux, bien au contraire, d’autant plus que les enseignements religieux ne sont plus obligatoires. Malgré cela, des étudiants non baptisés et issus de familles agnostiques, juives ou musulmanes les suivent par curiosité et s’en sortent très bien. Il n’y a rien de choquant dans le fait que, pendant ces heures, soient expliqués les principes théologiques et moraux exposés dans le catéchisme de l’Église. Le contraire serait anormal. La laïcité laïque est une absurdité et une mesquinerie d’esprit malheureusement trop répandue en France. Ceux qui en doutent devraient se plonger dans la biographie des pionniers de l’éducation gratuite pour les pauvres : saint Jean-Baptiste de La Salle ou saint Jean Bosco.


[1] Jean-Robert Pitte, Une famille européenneParis, Fayard, 2011.

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