l’essentiel
Une femme de 78 ans comparaissait ce mardi au tribunal judiciaire de Foix pour son rôle présumé dans une arnaque internationale dont deux entrepreneurs ariégeois ont été victimes. La décision sera rendue le 4 février.
Au début des années 2010, un Ariégeois, maire expérimenté d’une petite commune, et son fils, entrepreneurs à la tête de deux sociétés spécialisées dans la production d’électricité et la location de biens immobiliers, cherchaient à rénover un centre commercial qu’ils ont sont propriétaires depuis les années 1960 dans la banlieue toulousaine. Un projet d’envergure qui nécessite un prêt important : six millions d’euros.
Mais en pleine crise des subprimes, les banques françaises font la moue. Maurice*, chef d’entreprise de 85 ans, contacte alors Marie*, Monégasque par alliance mais originaire de Pamiers, qui crée en 2007 Claire Finance, intermédiaire en opérations bancaires. La femme, que les deux Ariégeois prennent pour un courtier, les oriente alors vers un contact en Allemagne, capable d’obtenir des prêts à un taux très attractif auprès de la Commerzbank : Bernard Hernandez. Ce Français basé en Allemagne travaille pour le compte de Richau Consulting, un cabinet d’experts en marchés financiers créé en 2011 par Raoul Richau, un homme de 34 ans né à Hambourg.
En avril 2013, ce dernier propose à Maurice et à son fils Frédéric* un prêt de 6 millions d’euros sur 15 ans. En guise de dépôt, un premier virement de 45 000 euros est effectué sur un compte filiale. En mai et juillet, deux autres transferts suivront, pour un montant total de 150 000 euros. Mais en 2014, toujours pas l’ombre du prêt. Bernard Hernandez leur demande alors un crédit immobilier pour débloquer les fonds, et les pousse à créer l’équivalent d’une société immobilière en Allemagne. Toujours rien.
“[Marie] nous a rassuré. Nous étions portés de droite à gauche. À un moment donné, on a dit stop », explique Frédéric, qui correspondait avec Bernard Hernandez par mail et par téléphone. De plus en plus méfiants, le père et le fils ont contacté directement la Commerzbank. Mais à Francfort, aucune trace des démarches, ni des 150 000 euros déjà versés. Le 3 juin 2016, ils portent plainte.
Richau Consulting et Deutsche Bank sur sa carte de visite
Seule sur le banc des accusés au tribunal de Foix ce mardi, Marie était jugée pour intervention illégale en tant qu’intermédiaire en opérations bancaires et manœuvres frauduleuses. Car si l’instigateur de l’escroquerie, Bernard Hernandez, déjà condamné en 2013 en Belgique, n’a pas pu être extradé pour être jugé malgré la demande d’un mandat d’arrêt européen – “on peut regretter le manque de coopération avec l’Allemagne”, a souligné l’avocat. Pour les parties civiles, le rôle du Monégasque de 78 ans est toujours en cause.
Même si elle n’avait aucune compétence en matière d’opérations financières, l’une de ses cartes de visite comportait effectivement « Richau Consulting » et l’inscription « Deutsche Bank ». « J’ai dû le marquer à la main, ce n’était pas officiel. M. Hernandez m’a dit que cette banque pouvait prêter. En juillet 2012, une lettre de Bernard Hernandez la nomme même représentante du cabinet d’experts des marchés financiers en France et à Monaco, l’incitant à leur apporter des clients.
« Plus c’est gros, plus ça va »
Un élément qui fait de Marie une complice du malfaiteur, selon les parties civiles. « Plus c’est gros, plus ça va. [Marie] est copié sur les emails. S’il n’y est pas, il n’y a pas d’arnaque”, a insisté l’avocate des entrepreneurs ariégeois, Maître Catherine Cabanne-Barthes. Un argument repris par le procureur, qui a insisté sur des transactions bancaires douteuses, six, entre le compte de Bernard Hernandez et celui de Marie. « C’est un escroc qui essaie de bâtir une défense. […] Elle a reçu 16 000 euros sur la période concernée», a-t-elle estimé, avant de requérir 12 mois d’emprisonnement avec sursis simple et 20 000 euros d’amende à l’encontre du septuagénaire.
-Celle qui dit avoir désormais tout perdu assure de son côté n’avoir jamais touché la moindre commission pour ces liaisons. “Si elle savait ça [les entrepreneurs ariégeois] auraient été volés, elle ne les aurait pas présentés. […] Vous n’avez ni éléments matériels ni éléments intentionnels, donc je vais plaider l’acquittement», a soutenu Maître Nancy Pailhes, alors que la décision sera rendue le 4 février. «Elle a perdu beaucoup d’argent.» Marie avait en effet elle-même contracté un prêt fantôme auprès de l’escroc.
Une Monégasque, entremetteuse malgré elle ?
La rencontre de Marie avec Bernard Hernandez remonte à 2011, « sur une affaire ». Il travaille pour le compte de Richau Consulting, cabinet expert en marchés financiers. Elle est à la tête de la société Claire Finance, créée en 2007 pour proposer des « petits prêts aux indépendants ». Étrangère issue de la communauté et sans diplôme, cette ancienne hôtesse de l’air, ayant travaillé un temps à l’ambassade de France au Mexique selon elle, s’est contentée de fournir le capital. Son collaborateur, ses compétences en finance. « Elle faisait une vingtaine de dossiers par mois. Les deux tiers ont été acceptés», se souvient cette femme de 78 ans, née à Pamiers.
Fin 2010, l’homme de 51 ans la recontacte, alors que Claire Finance cherche à se constituer un capital financier pour lancer une nouvelle entreprise. « Il m’a dit qu’il travaillait en Allemagne et qu’il pouvait m’obtenir des prêts en Allemagne et aux États-Unis. Il m’a parlé de JPMorgan. En 2011, Bernard Hernandez, basé à Hambourg, demande à son tour à Marie de s’installer à Monaco. Son cabinet, Richau Consulting, recherchait un local et souhaitait acquérir une voiture sur place. Mais pas encore implantée dans la principauté, la société ne peut contracter de crédit.
“Je l’admets, j’étais peut-être naïf”
En mars 2011, Marie emprunte 55 000 euros à son nom sur 5 ans pour financer la Jaguar, « le temps que la situation se normalise ». Elle crée même une fausse facture au nom de Richau Consulting pour justifier l’acquisition de la berline. «Je l’admets, j’étais peut-être naïf. Je l’ai fait sans documents, uniquement par confiance. C’est ce qui s’est passé à Monaco. Je ne pouvais que le croire […] Sur Internet, il y avait huit pages sur le cabinet Richau Consulting. C’était crédible.
Quelques mois plus tard, elle reçoit une proposition de prêt de 2 millions de dollars de la part de JPMorgan, toujours par l’intermédiaire de Bernard Hernandez. « Une caution de 135 000 $ était exigée. [Mon associé] je ne pouvais pas, alors j’ai payé seul », explique Marie aux commandes, cheveux grisonnants, maquillage épais et hauts colorés. Mais alors qu’elle a payé les garanties financières, aucun prêt n’a été débloqué. « Avec les subprimes, une telle crise bancaire, je n’ai pas été surpris. Je pensais que JPMorgan prenait son temps. L’argent promis n’arrivant toujours pas, Marie, contactée par Maurice*, fait office d’intermédiaire. « Il m’a appelé un soir. Il était promoteur et avait un gros projet immobilier. […] Je lui ai donné les coordonnées de Bernard Hernandez. Maurice et son fils sont à leur tour piégés par le malfaiteur.
« Je suis originaire de la vallée de l’Arize, j’étais heureux de faire quelque chose pour mon pays. J’ai été la première victime mais je n’ai rien vu venir”, s’est défendue Marie. « Il m’a dit que j’aurais un rendez-vous avec JPMorgan à New York, puis à Londres. En 2013, lorsque j’ai vu que la réunion de Londres était reportée, j’ai demandé le remboursement de mon prêt.» En vain.