Un lieu aussi réconfortant qu’un grog, un bon livre ou un concert. C’est ce qu’ont voulu créer les cinq chefs d’orchestre du Chenal, bar, restaurant et café-librairie à Porspoder. Et ce jour-là, alors qu’une dépression s’abattait sur la pointe du Finistère, la mission était accomplie.
Quelques courageux marcheurs ont bravé les éléments pour tenter une balade dans les dunes. Ils franchissent la porte, hirsutes et dégoulinants. Il vous faudra au moins des gaufres arrosées de chocolat, dégustées sur un canapé en cuir en écoutant la voix chaleureuse de Césaria Évora, pour vous remettre de l’escapade.
Des livres à profusion
Et à portée de main, à droite, à gauche et même sous la table, des livres en abondance pour voyager dans d’autres parties du monde. Adieu les grands espaces, les randonneurs ont trouvé de quoi passer l’après-midi. Librairie de voyage, restaurant, salon de thé, salle de concert et de cinéma, lieu d’exposition… Difficile de résumer le Chenal en un mot. Les profils hauts en couleur de ses cinq partenaires fondateurs expliquent ce joyeux mélange des genres. Ce lieu, c’est avant tout l’histoire d’un groupe d’amis. L’un fait des livres, l’autre fait de la musique et le troisième est photographe. Ils rêvent d’un lieu à leur image. C’est une idée un peu vague, comme toutes les idées de fin de soirée. Mais celui-ci revient souvent. Alors ils cherchent, sans vraiment y croire.
Une vue incroyable sur le nord Finistère
Parmi les fausses pistes, il y avait une gare abandonnée dans le Cantal et un ancien palais à Saint-Nectaire. Tout un programme. Il s’agira à terme d’une ancienne salle de bal très appréciée de Porspoder, située juste en face de l’île Melon, surplombant l’un des panoramas les plus spectaculaires du Finistère. Cette côte, une partie de la petite équipe y est très attachée. Didier Labouche et Xavier Demerliac sont brestois, ils y ont usé leurs pantalons. Ils connaissent aussi le Chenal. En 2005, l’ancienne salle de bal a été transformée en bar-restaurant et il n’est pas rare que la bande s’y retrouve.
On y croise aussi bien le club de football de Plourin, qui vient ici fêter la fin de l’année, qu’un ambassadeur de passage en Bretagne.
En 2015, lorsque les rumeurs circulaient selon lesquelles la marque était à vendre, c’était presque trop beau pour être vrai. Un quatrième voleur, Marc Wiltz, éditeur de livres de voyage à Paris, est prêt à jeter des billes dans l’affaire. Mais pour espérer rentabiliser l’investissement, il faut maintenir l’activité de restauration. Voilà une corde que le quatuor n’a pas à son arc. «Je me souviens parfaitement de la soirée où nous avons demandé à Béatrice de nous rejoindre», raconte Didier Labouche, libraire et éditeur. Il fallait nous voir, quatre malabars, 400 kilos, et elle a dit oui ! » À cette époque, Béatrice Cabon était employée de Chenal et travaillait aux cuisines. « J’adorais cet endroit, j’avais depuis longtemps l’idée d’y développer une programmation culturelle », se souvient-elle. Leur projet m’a tout de suite séduit. Et puis, j’avais carte blanche en cuisine ! », s’amuse-t-elle.
Nomadisme culturel et cuisine itinérante
Béatrice Cabon devient directrice et gérante de l’entreprise. Ses quatre acolytes ne tarissent pas d’éloges sur sa cuisine itinérante, entièrement faite maison, à base de produits frais, locaux et de saison. « Nous fabriquons même le pain nous-mêmes », explique-t-elle.
Au menu fin octobre, coquilles Saint-Jacques gratinées au beurre d’algues, calamars sauce chorizo à la farine de sarrasin et mousse au chocolat fève tonka. La chef a su réunir une équipe stable et a glissé ses passions entre les murs, élaborant de belles cartes de vins et de thés. En sept ans, le Chenal a trouvé sa clientèle. Vous pourrez rencontrer un ambassadeur de passage en Bretagne ainsi que le club de football de Plourin pour son repas de fin d’année. L’été, le lieu est prisé des vacanciers, de nombreux Brestois le fréquentent, mais la clientèle locale a gardé ses habitudes.
Réconfortant l’hiver, accueillant les soirs d’été, le Chenal à Melon est aussi « la dernière escale avant l’Amérique ».
L’hiver, l’équipe concocte une programmation culturelle unique : projections de films, conférences, expositions, concerts et même ciné-concerts, une des marques de fabrique du Chenal. Parmi les cinq fondateurs, on retrouve Xavier Demerliac, guitariste du groupe l’Attirail, passionné de musique avec images. En septembre, leur ciné-concert autour du documentaire Grass, passionnante épopée sur la migration d’un peuple kurde vers les pâturages de Perse, a laissé des souvenirs indélébiles.
Voyage entre les mots
Dans les rayons, 2 000 livres du catalogue du Syndicat des éditeurs indépendants de voyages. Aux côtés des contes tchouktches, le récit d’un Paris-Téhéran à vélo, La porte de la mer, roman initiatique algérien, ou encore L’Aimant, récit maritime tragi-comique de Richard Gaitet. Le seul problème avec les livres, c’est qu’ils envahissent vite l’espace et Didier Labouche, le libraire de l’équipe, avoue que celui-ci est odieux et déborde régulièrement. « Il y a des livres partout, je n’ai même pas de place pour mettre mon menu ! » », fait mine de se plaindre Béatrice Cabon.
Mais cette ambiance folle et éclectique fait aussi partie du charme du lieu. Le Chenal est ouvert du mercredi au dimanche, toute la journée. Lumière, ambiance, clientèle : le lieu se transforme d’heure en heure. « J’adore quand la nuit tombe, quand on allume toutes les petites lumières sur les tables », raconte Didier Labouche. Et puis, lors des soirées de projection, on retrouve une ambiance de patronage laïc des années 1950 ! Même si nous avons investi dans du très bon matériel. » Si l’équipe s’accorde sur le charme de l’hiver dans ce cocon où l’on ne s’ennuie jamais, difficile de ne pas évoquer les interminables soirées de juin, s’imprégnant de lumière et d’horizon jusqu’à ce que le soleil se couche derrière Melon Island. Nous sommes ici – comme le rappelle le festival organisé chaque année au Chenal – à « la dernière escale avant l’Amérique ».
Découvrez l’univers du photographe Mathieu Le Gall
Cet article est paru dans Bretagne Magazine N°123 (janvier-février 2022)
Souvenirs pop
Nous étions là, à l’étage du Chenal ! Une salle de bal existait avant la guerre, mais c’est en 1947 que fut construit le vaste espace que nous connaissons aujourd’hui. La piste de danse se trouvait trois marches sous le sol et pouvait accueillir jusqu’à 240 invités. De nombreux couples se sont rencontrés, reconnus et ont perdu contact dans cette institution réputée dans toute la région. Le lieu ouvre ses portes en 1907, d’abord comme café-mercerie-épicerie. Comme cela était courant sur la côte, des repas étaient servis aux pêcheurs et aux ouvriers. Une première salle de restaurant est construite en 1920. Elle abrite aujourd’hui les bureaux de la maison d’édition Géorama, aux allures de cabinet de curiosités, accolé au bar.