nouveaux témoignages sur l’avortement clandestin pour les 50 ans de la loi Veil

Hélène, dans le documentaire « Écoute juste les femmes », de Sonia Gonzalez. QUAND 2024

5 – MARDI 14 JANVIER À 21H05 – DOCUMENTAIRE

A l’occasion du 50e anniversaire de la loi Veil, promulguée le 17 janvier 1975, l’Institut national de l’audiovisuel (INA) lance, sur son site, un recueil de témoignages inédits autour de l’expérience ordinaire de l’avortement avant sa légalisation en France. Recueil que Léa Veinstein a mis en récit dans un livre à paraître (le 22 janvier, en coédition INA-Flammarion) et autour duquel Julie Auzou a imaginé un podcast.

Lire le décryptage (en 2024) : Comment a évolué le recours à l’avortement, cinquante ans après le vote de la loi Veil ?

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Fleuron du projet, diffusé en prime time sur France 5, le documentaire réalisé par Sonia Gonzalez s’ouvre sur une image d’archive : le 26 novembre 1974, devant une Assemblée nationale presque exclusivement composée d’hommes, Simone Veil défend le droit à l’avortement, qui est alors une infraction pénale. Un drame aussi, comme le rappelle celle qui était alors ministre de la Santé sous Valéry Giscard d’Estaing.

Enrichi d’archives et de films générationnels (Mireille Darc dans Pouvoirde Georges Lautner, 1966), Écoutez simplement les femmes s’appuie essentiellement sur les témoignages d’une quinzaine d’entre elles, de tous territoires et de toutes origines sociales, qui ont vécu l’avortement clandestin entre 1955 et 1975. Elles se nomment Michelle, Yvelise, Marie-France, Denise. Ils se souviennent et parlent. Ils parlent de peur, de solitude, de honte, de détermination aussi. On parle de pièces sans fenêtres et de tables de cuisine en Formica. Les charcuteries : « Un curetage cru, c’est abominable : ils grattent le ventre »» dit l’un d’eux.

Yvelise, dans le documentaire « Il suffit d'écouter les femmes », de Sonia Gonzalez.

Yvelise, dans le documentaire « Il suffit d’écouter les femmes », de Sonia Gonzalez. QUAND 2024

Le documentaire met également en lumière l’ampleur des violences physiques, psychologiques et parfois sexuelles que ces femmes ont dû subir. Pourtant, malgré les souvenirs douloureux, rien ne parviendrait à les faire taire. Face caméra (elles ont été enregistrées chez elles, par une équipe entièrement féminine), elles soulignent l’importance de transmettre aux générations futures ce qu’était la vie lorsque l’avortement était interdit.

Ajoutons que l’ancienne Garde des Sceaux Christiane Taubira évoque à cette occasion son avortement clandestin et la puissance de la lecture chorale de L’événementdans lequel Annie Ernaux, prix Nobel de littérature, racontait son avortement en 1964. Disons aussi combien il est émouvant de voir l’investissement de l’actrice Ana Girardot, qui prête sa voix à l’histoire, alors qu’une de ses grand-mères est décédée à la suite d’un avortement clandestin.

« Être dans l’expérience »

Mais il faut rendre à César ce qui est dû à… Isabelle Foucrier, productrice et coordinatrice du projet à l’INA. Tout a commencé un lundi de mars 2022 : “C’était après le décès d’une femme en Pologne suite à un refus d’avorter, et l’annulation de l’arrêt Roe contre Patauger C’est aux Etats-Unis que j’ai vraiment pris conscience que ce qui était de l’histoire ici ne l’était pas ailleurs. Plus près de moi, j’ai soudain compris que la génération de ma mère, née en 1947, était mortelle, ce qui a renforcé ce sentiment d’urgence. Finalement, j’ai eu l’intuition que l’histoire de l’avortement clandestin avait le plus souvent été racontée de deux manières : sous le prisme de l’action militante et sous l’angle de la législation, incarnée par Simone Veil. Il fallait recueillir l’expérience concrète, quotidienne, ordinaire, pré-militante de la clandestinité. Être dans l’expérience plus que dans le discours, et ainsi couper l’herbe sous le pied du mouvement provie. »

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Isabelle Foucrier s’entoure alors de l’historienne Bibia Pavard – « une femme de ma génération, la première à avoir bénéficié de ce droit » –, qui forme elle-même un comité scientifique transdisciplinaire, composé d’historiens, de sociologues, de gynécologues, etc. Parallèlement, une équipe éditoriale dirigée par Eve Minault est constituée, et un appel à témoins est lancé sur les réseaux sociaux et dans la presse locale. Les réponses et propositions de témoignages ont alors afflué en nombre et de toute la métropole.

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En revanche, comme le souligne Isabelle Foucrier, « Nous avons rencontré un silence assourdissant en Martinique, en Guadeloupe, à la Réunion et en Guyane. Nous avons réussi à convaincre cinq personnes de prendre la parole, et c’est de la Martinique qu’est venue la seule demande d’anonymat. ».

En tout cas, ce recueil de témoignages inédits constitue un objet précieux et essentiel. Car cela rappelle qu’il a fallu attendre 1975 pour que l’avortement soit légal en France, 1982 pour qu’il soit remboursé et 2024 pour qu’il trouve sa place dans notre Constitution. Parce que cela nous rappelle surtout qu’il est encore temps d’écouter les femmes qui n’ont pas raconté leur histoire.

Écoutez simplement les femmesdocumentaire de Sonia Gonzalez (Fr., 2024, 90 min). Diffusé sur France 5 et disponible en replay sur France.tv jusqu’au 6 février. D’après des entretiens recueillis par l’Institut National de l’Audiovisuel depuis 2022.

Émilie Grangeray

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