Écologie : sortir des blocages – Le Courrier

Écologie : sortir des blocages – Le Courrier
Écologie : sortir des blocages – Le Courrier

Au moment où les limites des capacités des systèmes naturels deviennent évidentes, les résistances aux changements essentiels grandissent. Et les partisans d’un libéralisme débridé s’associent depuis quelque temps déjà à des groupes populistes climato-sceptiques inconditionnels, fossiles et fissiles, qui rejettent toute évolution vers un monde durable au nom du « ne touchez pas à mon mode de vie ».

Les positions néolibérales sont connues : la fonction des entreprises est de maximiser le retour sur investissement et les impacts extra-économiques (sociaux et écologiques) ne sont pas leur affaire. L’extrême droite ajoute à cela une mythification de la nation vue comme un tout et immuable, une attirance pour les postures dominantes et les régimes autoritaires, une conception suprémaciste de la société et du monde, dans laquelle la nature peut être coupée et forcée. merci. Un ancien ministre polonais ultraconservateur l’a résumé en rejetant les homosexuels, les cyclistes et les végétariens d’un même mouvement, ayant en commun de ne pas être de « vrais hommes »…

L’alliance des droits : risque écologique majeur

Les effets toxiques de l’alliance entre la droite et l’extrême droite ne se sont pas fait attendre. Au niveau de l’Union européenne (UE), le ton a été donné dès le 2ème semestre 2023. Avant même que les élections européennes de juin 2024 ne renforcent ces deux courants politiques, la révision des substances chimiques a été reportée et le plan de réduction des rejets pesticides. Puis la révolte des agriculteurs a abouti au printemps 2024 à réduire à quasiment néant le « verdissement » de la politique agricole et à perpétuer un modèle productiviste à court terme pourtant fatal à la grande majorité des agriculteurs.

Le système de restauration de la nature – engagement pris par l’UE en 2022, lors de la COP 15 sur la biodiversité – n’a franchi le cap qu’en juin dernier dans une version édulcorée et extrêmement précise, le ministre autrichien de l’environnement l’ayant validé contre l’avis de son gouvernement. Le scénario a été similaire pour la directive sur le « devoir de vigilance des entreprises en matière de développement durable » (CS3D), fragilisée après de longues disputes entre autorités européennes. Directive précédée de celle relative à « la publication d’informations durables par les entreprises » (CSRD). Tous deux sont dénoncés par la droite et l’extrême droite comme des « monstres bureaucratiques ».

Quant à l’interdiction de la déforestation importée (pour divers produits agricoles, il faut prouver qu’ils ne proviennent pas de terres déboisées après le 1er janvier 2021), elle a été repoussée d’un an, après avoir été elle aussi menacée de fortes relativisations. Les pressions de l’extrême droite au Parlement européen, mais aussi au sein des États membres de l’UE, accroissent la pression pour renégocier divers engagements, notamment l’interdiction d’ici 2035 du moteur thermique, source majeure d’émissions de CO2 au sein de l’UE.

Autre horizon inquiétant : l’élection présidentielle aux Etats-Unis. La première élection de Donald Trump, en novembre 2016, a coïncidé en quelques jours avec l’entrée en vigueur de l’Accord de Paris sur le climat, dont les États-Unis se sont ensuite retirés. Le programme de son deuxième mandat est connu : sortir à nouveau de l’Accord de Paris, relancer massivement les énergies fossiles, détricoter les engagements environnementaux. Une accélération fatale de la course vers l’abîme.

Le thème écologique a été pratiquement absent de la campagne américaine et les investissements considérables dans la transition du gouvernement Biden sont passés sous silence. En mars 2023, le Congrès a interdit aux fonds de pension de se référer à des critères de finance durable, décision annulée par un veto présidentiel.

Combiner innovations techniques et comportementales

Simultanément, craignant les faux-semblants et les compromis boiteux, tous les autres milieux s’emploient à dénoncer le « technosolutionnisme ». Les compensations carbone, les voitures électriques ou encore les éoliennes sont dans la ligne de mire. Cependant, la transition nécessite de combiner optimisations techniques, énergies renouvelables, économie circulaire et sobriété, aucune de ces composantes ne pouvant faire le travail seule. Mais il faut poser des conditions : la voiture électrique, dotée d’un moteur au rendement énergétique triple de celui du moteur thermique, exige qu’elle soit alimentée par de l’électricité renouvelable, que ses composants soient recyclables et recyclés et que l’on repense la mobilité.

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La compensation carbone autorisée par l’Accord de Paris doit être limitée aux émissions incompressibles (en définissant clairement ce que l’on entend par là) et répondre à des critères de durabilité. Les abus constatés appellent une réglementation stricte. Mais il serait dommage de ne pas pouvoir financer des « solutions fondées sur la nature » (reforestation, entretien et réhabilitation du couvert végétal), d’autant que leur capacité à stocker du carbone dépend de leur richesse biologique.

Autre critique récurrente : selon certains historiens, les nouvelles sources d’énergie ne remplaceraient jamais les anciennes mais s’y ajouteraient inévitablement. Ceci est discutable, notamment en ce qui concerne le bois-énergie, alors surexploité, que le charbon a largement remplacé comme source de chauffage tout au long du XIXe siècle. Et aujourd’hui, il faut disposer de suffisamment d’énergies renouvelables pour prétendre s’éloigner des énergies fossiles (pétrole et gaz) et des énergies fissiles (un tiers de l’électricité produite en Suisse est produite dans des centrales nucléaires), qui constituent 75 % de notre énergie. consommation. La sobriété et les optimisations techniques ne suffiront pas.

Une histoire économique et sociale mobilisatrice

Pour vaincre l’écofatalisme, les revendications écologiques doivent conduire à des perspectives économiques et sociales positives. Il s’agit à la fois de réduire notre empreinte écologique d’un facteur 2,5 et de mener une lutte résolue contre les inégalités sociales pour évoluer vers une économie privilégiant l’utilité, l’inclusion et le bien commun.

Ainsi, la transition signifie passer :

  • de l’obsolescence et du gaspillage à la circularité de la matière et des objets ;
  • des énergies fossiles et fissiles aux énergies renouvelables et à la sobriété dans les usages ;
  • de la sous-enchère mondiale au commerce équitable et à la résilience locale ;
  • de la finance de surface à la finance durable ;
  • de l’agriculture industrielle à l’agroécologie – seule manière de nourrir une population croissante sans dégrader les sols, le climat et la condition paysanne ;
  • de la multiplication de molécules écotoxiques à des substances dont la sécurité est établie ;
  • de la priorité à l’aéronautique et à la route au (re)déploiement du ferroviaire.

Ces options ont l’avantage d’offrir un excellent dossier d’emploi. En 2019, l’ONU a indiqué que la mise en œuvre de l’Agenda 2030 nécessiterait la création de 380 millions de nouveaux emplois d’ici 2030. Aux États-Unis, les énergies renouvelables créent 24 fois plus d’emplois (1 million) que les mines de charbon (42 000). Quant à l’économie circulaire, l’UE estime qu’elle générerait 700 000 emplois en Europe d’ici 2030. Dans de nombreux pays, la transition énergétique se heurte à un manque important de main d’œuvre et présente, selon l’Organisation internationale du travail (OIT), un bilan positif de 18 millions d’emplois – et 8 millions pour l’économie circulaire. En , le Secrétariat à la planification écologique a annoncé au printemps 2024 que si 150 000 emplois étaient supprimés d’ici 2030 à cause de la transition écologique, cela en créerait 400 000 nouveaux.

Face à l’attrait du discours d’extrême droite, la militante canadienne Naomi Klein propose un populisme écologique. De son côté, le directeur de l’Institut de recherche de Potsdam sur les effets du changement climatique, Ottmar Edenhofer, estime nécessaire de développer un récit susceptible d’atteindre les milieux conservateurs, basé sur la conservation d’un patrimoine naturel confié à l’humanité non pas pour le détruire mais pour pour le faire fructifier.

Pour gagner la partie, la vulgarisation des faits écologiques est indispensable face à la désinformation sur les réseaux (anti)sociaux, mais c’est surtout la description des perspectives sociales et économiques souhaitables qui fera bouger les lignes. Il appartient donc aux mouvements attachés à la transition de formaliser et d’expliquer autant que possible leurs modèles socio-économiques ; qu’on le soutienne ou qu’on s’y oppose, l’urgence est d’en débattre très concrètement. Parce que, écrivait Edgar Morin dans Le chemin« il ne suffit plus de dénoncer, il faut maintenant parler ». Afin de rassembler des majorités pour enfin changer de cap.

 
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