Le terme, très commenté, se déchaîne dans les médias, d’Europe 1 à l’AFP. L’Algérie serait en train de livrer un « guerre hybride » contre la France, assure Chawki Benzehra, opposant algérien en exil et lanceur d’alerte à l’origine de l’arrestation de deux de ses compatriotes pour incitation à la haine sur Internet. « Imad Tintin » et « Zazou Youcef », comme quatre autres influenceurs arrêtés ces derniers jours, ont appelé dans des vidéos diffusées sur TikTok à commettre des atrocités.
Le premier, interpellé vendredi soir à Échirolles, près de Grenoble, invité « brûler vif, tuer et violer sur le sol français ». Le second sera jugé le 24 février par le tribunal correctionnel de Brest pour « excuses publiques pour un acte de terrorisme ».
« Soldats endormis »
Certains commentaires de ces influenceurs laissent penser qu’ils sont en mission officielle. L’un des trois influenceurs franco-algériens de la région lyonnaise arrêtés lundi 6 janvier, Laksas06 a, pour sa part, repris un audio d’un autre Franco-Algérien le 11 décembre dans lequel il présente les membres de la diaspora algérienne en France dès le « soldats endormis » prêt à mourir pour l’Algérie en des « martyrs ».
Ces appels à la violence sont-ils organisés par l’Algérie ? “Il n’y a aucune preuve, mais cela y ressemble quand même beaucoup, si l’on compare ces méthodes avec celles pratiquées par d’autres : Chine, Russie, Iran, Turquie… On retrouve cette même ambiance guerrière et cette exaltation nationaliste”, estimates Pierre Vermeren, university professor at Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Aux yeux du chercheur, Alger aurait de nombreuses raisons de rejoindre ce club des pays agressifs. « Le président Tebboune a été élu par très peu d’Algériens et Alger se retrouve isolée en tant que dernière République arabe socialiste. Les autorités algériennes ne peuvent plus compter sur Damas et regardent, médusées, la chute du régime de Bachar Al Assad dans quelques jours. »
Sur fond d’escalade verbale
Alger n’a pas cherché à prendre ses distances avec les influenceurs pour clarifier la situation. Normal, estime Hasni Abidi, politologue algérien et suisse, directeur du Centre d’études et de recherches sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam) à Genève. « La France dispose de suffisamment de législation et de personnel judiciaire pour condamner ces individus sans que l’Algérie ait à le faire à sa place »il croit. Pour lui, la thèse d’une « guerre hybride » n’a aucun sens. « Rien ne conforte cette thèse : l’Algérie n’a aucun intérêt à s’aliéner l’Europe, son principal marché. Mais il est vrai que chaque jour qui passe nous éloigne un peu plus de la paix. »
La surenchère verbale observée ces dernières semaines des deux côtés de la Méditerranée s’est poursuivie, au changement d’année, jusqu’aux insultes. Le 29 décembre devant le Parlement, le président Tebboune a abordé pour la première fois le cas de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, détenu depuis la mi-novembre pour atteinte à la sûreté de l’État. Il a présenté ce dernier comme un “traître” envoyé par la France. Le chef de l’Etat algérien n’a pu s’empêcher de décocher une flèche en direction de l’ancien colonisateur : « Ils revendiquent la civilisation, et en même temps sont fiers de voler des crânes comme butin. »
Les opinions prises en otage
En réponse, une semaine plus tard, le ministre des Affaires étrangères a publié “des doutes” sur la volonté d’Alger de respecter la feuille de route des relations bilatérales franco-algériennes. Et ce lundi 6 janvier, devant les ambassadeurs de France réunis à l’Élysée, le président Macron a estimé que l’Algérie entrait “dans une histoire qui la déshonore” en refusant la libération de Boualem Sansal, empêchant ainsi “un homme gravement malade pour prendre soin de lui”.
Cette escalade acrimonieuse trouve son déclencheur dans le choix du président français d’approfondir, dès juillet dernier, le soutien de la France aux propositions marocaines sur le territoire contesté du Sahara occidental. L’ambassadeur d’Algérie à Paris a été rappelé. Ceci avant qu’Emmanuel Macron ne rejoigne Rabat en octobre, pour une visite officielle de trois jours chez le voisin ennemi.
« Et dire que cet été encore, nous envisageions la visite d’Etat en France deAbdelmadjid Tebbounepremier président algérien qui n’a pas connu la guerre d’indépendanceregrette Hasni Abidi. Cette détérioration rapide des relations diplomatiques m’inquiète beaucoup, car elle entraîne des opinions, la société civile ne devrait pas être ainsi prise à partie. » L’expert du monde arabe appelle à ce que les voix de la raison l’emportent, pourquoi pas à travers l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, autrefois chargé de réchauffer la relation, juste avant qu’elle ne tourne au vinaigre.