Une récente étude menée par des chercheurs de l’Université Laval auprès de plus de 4 000 membres du plus grand syndicat des services publics et parapublics au Québec révèle que plus de la moitié (58 %) d’entre eux éprouvent une détresse psychologique « élevée ». ou « très élevé ».
Pour Laurie Kirouac, professeure au Département de relations industrielles et chercheuse principale de l’étude, ce taux est « inquiétant ». « En fait, cette détresse est un indicateur que la santé mentale est affectée », explique-t-elle. Donc, on n’est pas forcément au stade du diagnostic, mais on est dans un état de santé qui est affecté, qui a une crise, qui a une dégradation.
“C’est un signal d’alarme qui nous indique que quelque chose se passe et qu’il est donc nécessaire de prendre des mesures préventives.”
— Laurie Kirouac, professeure au Département de relations industrielles de l’Université Laval
L’étude dresse le portrait le plus précis à ce jour de la santé psychologique des membres du Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ), qui regroupe environ 44 000 membres. Ils travaillent au sein de divers ministères, comme ceux de l’Environnement ou de la Famille, ou encore dans des organismes parapublics comme la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) et la Régie de l’assurance santé du Québec (RAMQ).
Le moral est bas
Le tableau n’est pas rose. Près de deux fonctionnaires sur trois (64 %) ayant participé à l’étude ont déclaré souffrir d’un épuisement professionnel modéré, marqué par un désengagement ou une fatigue. Plus d’un quart (26 %) des participants ont signalé des symptômes dépressifs entièrement ou partiellement liés au travail.
Plus inquiétant encore : 16 % des participants ont signalé une dépression clinique, c’est-à-dire une dépression diagnostiquée caractérisée par une tristesse persistante, une perte d’intérêt pour les activités et d’autres symptômes affectant leur fonctionnement quotidien.
Et près de 22 % des personnes ont déclaré souffrir d’anxiété clinique, une forme d’anxiété diagnostiquée par un professionnel de la santé qui va au-delà du stress quotidien normal.
Absentéisme et présentéisme
Ces souffrances pèsent sur la fonction publique. Plus d’un quart (28%) des fonctionnaires ayant participé à l’étude se disent touchés par l’absentéisme, c’est-à-dire avoir été absents de leur travail en raison de difficultés psychologiques.
De plus, 41 % des participants déclarent être affectés par le « présentéisme », c’est-à-dire qu’ils sont physiquement présents au travail, mais que leur santé mentale réduit leur productivité ou leur capacité de concentration.
Nouvelle gestion publique
L’étude de l’Université Laval arrive à un moment où de plus en plus de chercheurs s’interrogent sur les effets du « nouveau management public » sur la santé mentale des fonctionnaires. Cette approche, inspirée des méthodes de gestion du secteur privé, a transformé l’administration publique québécoise au cours des dernières décennies.
La nouvelle gestion publique, explique Mme Kirouac, « cherche à réduire les coûts, mais en augmentant la performance et l’efficacité. Donc, au fond, nous faisons des réductions en termes de temps, de personnel, mais nous attendons toujours que les salariés fassent la même chose et toujours aussi bien, voire mieux.
Maxim Fortin, chercheur à l’Institut de recherche et d’information socioéconomiques (IRIS), souligne pour sa part que la nouvelle gestion publique a tendance à mettre davantage l’accent sur les rendements mesurables que sur la qualité du service aux citoyens. Cela entraîne une perte de sens chez les fonctionnaires.
« Quand la priorité est mise sur le nombre et non sur la personne, il y a vraiment chez les gens qui font ces métiers une sorte de dégoût, de lassitude et de remise en question : « Je pensais que j’allais servir le public ; En fin de compte, je ne suis qu’un rouage.
— Maxim Fortin, chercheur à l’IRIS
Environnement difficile
L’étude de Mme Kirouac met en lumière plusieurs facteurs de risque présents dans le milieu de travail des fonctionnaires, susceptibles d’expliquer le niveau élevé de détresse psychologique.
Plus de la moitié des participants déclarent avoir une autonomie au travail faible ou modérée. Ou encore parce qu’ils disposent de peu de marge de manœuvre pour prendre des décisions, par exemple pour organiser leur travail ou déterminer des priorités. Soit parce qu’ils ont peu d’occasions d’utiliser pleinement leurs compétences, par exemple lorsque leurs tâches sont routinières, peu stimulantes, soit parce qu’ils ne se sentent pas mis au défi d’être à la hauteur de leurs capacités.
En lisant l’étude de l’Université Laval, le président du SFPQ, Christian Daigle, a été frappé par la perte d’autonomie des travailleurs, qui lui décrivaient des tâches de plus en plus restreintes.
M. Daigle, qui a été agent d’aide socio-économique avant de devenir président du syndicat, décrit cette transition. « Dans mon métier, nous avions des dossiers sur lesquels travailler du début à la fin. Dans d’autres ministères, c’était la même chose aussi. Mais on constate de plus en plus que l’employeur fragmente le travail. Il les découpe pour donner des parcelles de travail, alors que nos gens ont reçu une formation pour aider la population.»
Dans l’étude de l’Université Laval, plus du tiers des participants ont signalé un soutien faible ou modéré de la part de leurs collègues et supérieurs, tandis que six sur dix ont signalé un manque de reconnaissance au travail. «On est vu comme un travailleur qui va rendre un service, si ça ne fait pas le boulot, on en trouvera un autre, merci, bonsoir», dit M. Daigle.
Laurie Kirouac souligne que les ministères et organismes jouent un rôle crucial dans le bien-être de leurs employés.
Pour prévenir la détresse psychologique, elle estime que les managers gagneraient à être davantage à l’écoute des travailleurs. Les solutions ne doivent pas venir de la hiérarchie, mais des travailleurs eux-mêmes, qui connaissent le mieux leur charge de travail, leur niveau d’autonomie et le soutien qu’ils reçoivent, estime-t-elle.
« La santé mentale n’est pas une affaire individuelle, ce n’est pas une question de facteurs personnels », affirme Mme Kirouac. La santé mentale au travail, c’est comme la santé physique, elle est liée aux conditions de travail, aux conditions d’exercice.