« L’agriculture marocaine doit se réinventer »

« L’agriculture marocaine doit se réinventer »
« L’agriculture marocaine doit se réinventer »
  • Le Maroc a démarré la campagne agricole 2024/2025 sous de bons auspices, grâce aux récentes précipitations. La Direction des études et des prévisions financières (DEPF) a annoncé, dans un rapport de conjoncture, que la moyenne nationale des précipitations du 1er septembre au 6 décembre 2024 s’est élevée à 50 mm, contre 27 mm l’année précédente. Les dernières pluies sont-elles une bonne nouvelle pour l’agriculture marocaine ?
Dans un pays aride à semi-aride, où plus de 80 % de la surface totale reçoit en moyenne moins de 400 millimètres par an, toute pluie est la bienvenue, même si elle peut parfois provoquer des dégâts. Le Maroc, pays structurellement en situation de pénurie d’eau, est en perpétuelle recherche d’eau. Les pluies de ce début d’année 2025, bien que insuffisantes, ont fait naître un espoir passager.

Toutefois, la réalité sur le terrain est bien plus nuancée. Les principales régions céréalières, comme l’Abda, Doukkala, Chaouia, Zaër et Saïss ainsi que le Gharb, présentent un paysage peu réconfortant : des terres parfois encore nues, un couvert végétal déficient et des cultures en détresse. La combinaison de facteurs climatiques défavorables et de l’épisode d’inflation mondialisée accentue la vulnérabilité du secteur agricole et met en danger la production céréalière, pilier du système alimentaire national.

  • Le secteur est confronté à des défis majeurs en raison des années de sécheresse successives, entraînant une baisse significative de la production, notamment celle des céréales pluviales. Quelles conclusions en tirez-vous ?
Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions définitives sur le bilan de la campagne agricole 2024/2025. Cependant, le faible taux de mise en culture des terres arables, dû à un contexte de pluies très aléatoires et éparses tout au long de l’automne 2024, laisse déjà présager une production finale limitée. Les conséquences de cette situation dépassent le simple cadre de la culture céréalière.

En effet, la production de fourrage pluvial (avoine, orge, bersim, etc.) et la régénération des parcours naturels, essentiels à l’élevage, sont également compromises. Ce scénario pourrait même précipiter encore davantage la fin de l’autosuffisance du Maroc en produits d’origine animale : viande rouge et produits laitiers.

  • Comment pouvons-nous promouvoir une agriculture plus durable et plus résiliente face au changement climatique ?
Trouver des solutions à ces défis est une tâche immense. Face à l’urgence climatique, la transformation de l’agriculture marocaine est devenue une nécessité absolue. Un débat national est nécessaire pour définir un nouveau paradigme capable de garantir une agriculture plus résiliente et durable. Il s’agit de repenser les pratiques agricoles, de favoriser la transition agroécologique et de ne plus considérer la monoculture dans une logique d’agro-export comme le modèle à suivre.

Cela implique également de repenser les modes de gestion de l’eau dans la diversité de ses sources, en donnant la priorité absolue à la récupération des pluies. Il faut aussi cesser de considérer l’irrigation comme la solution au manque d’eau, l’aide et le soutien technique devraient se concentrer davantage sur l’agriculture pluviale.

Par ailleurs, le couplage systématique entre cultures et élevage doit redevenir des axes essentiels pour asseoir la souveraineté alimentaire du pays. Les défis sont donc réels et urgents : défendre des systèmes alimentaires durables tout en préservant les ressources naturelles et œuvrer à la création d’emplois durables dans les zones rurales.

  • En matière de recherche scientifique, quelles nouvelles technologies (capteurs, drones…) peuvent contribuer à optimiser l’utilisation de l’eau en agriculture ?
Pour faire face aux défis du changement climatique, l’agriculture doit s’adapter et innover. Les nouvelles technologies, telles que la télédétection et l’intelligence artificielle, peuvent constituer des outils pour optimiser l’utilisation de l’eau. Mais en parallèle, il est essentiel d’investir dans la recherche pour développer des variétés végétales et des races animales mieux adaptées aux conditions de pénurie d’eau. Cette approche systémique, qui combine innovation technologique et amélioration génétique, garantira non seulement la souveraineté alimentaire du pays, mais renforcera également son économie et préservera ses ressources naturelles.

Il s’agit évidemment de programmes à mettre en place dans la durée, selon des approches inclusives impliquant les pouvoirs publics, les agriculteurs et les organisations interprofessionnelles qui les représentent ainsi que les établissements d’enseignement et de recherche agronomiques. Il s’agit de modèles de recherche s’étalant sur plusieurs décennies. Ces dispositifs doivent également être appliqués dans la diversité des territoires agroécologiques dont regorge notre pays, à savoir : plaines atlantiques, contreforts, hautes montagnes, oasis, etc.

  • Qu’en est-il du rôle des races locales dans l’élevage ?
Le Maroc, grâce à sa position géographique remarquable, a la chance de bénéficier d’une diversité de zones agro-écologiques, qui se traduisent par une réelle richesse en termes de ressources zoogénétiques. Les races bovines endémiques comme la Blonde d’Oulmès-Zaër (centre du Maroc) ou la Tidili (contreforts du Haut Atlas) pourraient s’avérer des réservoirs de gènes intéressants pour réfléchir aux ressources animales de demain, adaptées aux conditions du changement climatique. . .

Pour ce faire, il est important d’assurer leur protection, en évitant de les impliquer dans des croisements systématiques avec des races importées. De plus, il faut penser à des programmes de sélection à long terme, afin de capitaliser sur leurs atouts : faible poids, rusticité, capacité à résister au stress thermique et au manque de nourriture, etc. Comme je l’ai évoqué précédemment, il doit s’agir de programmes planifiés sur la durée. long terme, et bénéficiant d’un soutien systématique des pouvoirs publics (mise en place de stations de recherche, programmes de suivi des performances, etc.), tout en impliquant les éleveurs. concernés, bien sûr dans les territoires où évoluent ces races.

  • Plus généralement, quel est le poids de l’agriculture et de l’élevage dans l’économie marocaine ?
L’agriculture et l’élevage constituent un pilier essentiel de l’économie marocaine. Ces activités représentent entre 11 et 14 % du PIB selon les années et emploient plus de 30 % de la population active. Ces chiffres démontrent l’importance de ce secteur dans la création de richesses et la création d’emplois, notamment en milieu rural. Au-delà de sa contribution directe au PIB et à l’emploi, l’agriculture marocaine exerce une influence considérable sur l’ensemble de l’économie.

La bonne performance du secteur agricole a un impact positif sur la croissance économique, la consommation des ménages et le moral de la population dans son ensemble. A l’inverse, les mauvaises saisons agricoles, comme celles que nous avons connues ces dernières années, ont des conséquences néfastes sur l’ensemble de l’économie et peuvent générer un sentiment de pessimisme.

Recueilli par
Safa KSAANI

 
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