Il y a au moins deux choses que tous les Américains savent au sujet du Canada. Du bacon « canadien », ce qui ne l’est pas. Et Justin Trudeau.
On n’a aucune idée à quel point notre Premier ministre suspendu est devenu, au sud de la frontière, le symbole absolu du « wokisme » le plus caricatural.
Dans une église baptiste d’Arizona, dans un restaurant du Kentucky ou lors d’une course de NASCAR en Virginie, ce que les gens m’ont raconté à propos de Justin était spectaculaire. Même quand on ne sait presque rien de ce pays du Nord un peu flou et froid.
Parmi les conservateurs américains, même modérés, Trudeau est considéré comme un socialiste radical, promouvant les versions les plus extrêmes du politiquement correct.
Les médias américains de droite ont beaucoup fait pour construire l’image du « dictateur » socialiste, notamment pendant la pandémie de COVID-19 et les mesures sanitaires généralement plus strictes au Canada – bien que très similaires à celles de plusieurs États américains.
Bien avant cela, une théorie du complot largement répandue affirmait que Trudeau était le fils illégitime de Fidel Castro. La fausse rumeur a suffisamment circulé pour que l’Associated Press ait jugé nécessaire de la démentir. Oui, Margaret Trudeau s’est rendue à Cuba, mais quatre ans après la naissance de son aîné.
Cette campagne de désinformation avait évidemment un objectif politique. Trudeau le père, considéré comme un dangereux gauchiste par Nixon, entretenait des relations cordiales avec le Maxime le chef. Justin a eu des propos relativement élogieux à la mort du révolutionnaire en 2016. Faire de Trudeau Jr. une sorte de Castro réveillé était trop tentant.
Son image américaine ne repose pas uniquement sur de fausses informations, cela dit. Justin Trudeau s’est très vite positionné contre la politique de Donald Trump no 1 sur l’immigration, envoyant un message d’ouverture maximale des frontières sur les réseaux sociaux. Le gouvernement canadien a officiellement condamné la décision de la Cour suprême des États-Unis annulant le droit à l’avortement en 2022. En 2023, les autorités canadiennes ont émis un avertissement aux voyageurs canadiens « 2ELGBTQI+ » suite à la législation de certains États. Lui-même s’est souvent déclaré féministe, ce qui est presque impensable parmi les hommes politiques américains.
A la droite « dure », on ne se contente pas des critiques du wokisme. Trudeau est décrit comme un Antichrist.
Je me souviens de cette folle vidéo sur le Canada, diffusée dans une petite église de la banlieue de Tucson, en Arizona. Elle s’appuyait essentiellement sur les discours de Tucker Carlson, ancien animateur de la Fox et grand propagateur de désinformation. Nous avons vu des églises brûler au Canada, lieu de danger pour les chrétiens, le tout toléré ou encouragé par le gouvernement Trudeau.
C’est dans ce contexte que s’inscrivent les publications de Trump sur « l’annexion » du Canada comme « 51e État ».
Nous savons qu’il est très impopulaire au Canada.
Lundi, après l’annonce de la démission du Premier ministre du plus proche allié des États-Unis, voici ce que Trump a écrit sur Truth Social :
«Beaucoup de gens au Canada ADORENT être numéro 51e État. Les États-Unis ne peuvent plus supporter l’énorme déficit commercial et les subventions que le Canada doit maintenir. Justin Trudeau le savait et il a démissionné. Si le Canada fusionnait avec les États-Unis, il n’y aurait pas de tarifs douaniers, les taxes diminueraient et ils seraient TOTALEMENT À L’ÉCURISÉ des navires russes et chinois qui les entourent constamment. Ensemble, quel grand pays ce serait ! »
Il faut le répéter, même si l’hypothèse est politiquement absurde : si, par impossibilité, le Canada voulait devenir un État, les Républicains ne le laisseraient jamais arriver.
Avec 40 millions de citoyens, le Canada deviendrait l’État américain le plus peuplé. Plus à gauche que la Californie (39 millions), cet État fantastique assurerait une majorité aux démocrates pendant une génération.
L’idée est peut-être folle, mais Trump la martèle sur un ton qui n’a plus rien d’humouristique.
Pourquoi alors ?
Pour intimider. Se placer en position de domination. Contrairement à 2016, où Trudeau avait été nouvellement élu et relativement populaire, cette fois-ci, le Premier ministre canadien est au plus bas. Veut-il vraiment « posséder » le Canada ? Ce n’est pas important. Ce qui lui importe, c’est de profiter de l’occasion pour humilier Trudeau le plus possible et de s’approprier sa démission.
« Il le savait, il a démissionné… »
Tout arrive à point nommé pour le prochain président américain. Le gouvernement canadien est au bord de la défaite. Le Premier ministre est déchu de toute autorité et attend son remplacement.
Il faut donc s’attendre à des actions rapides et très agressives de la part de la nouvelle administration. Trump n’attendra pas que le pouvoir soit renforcé à Ottawa pour exiger des concessions, des engagements et… un aplatissement politique.