Un terroriste se faisant réchauffer les fesses avec des bougies d’anniversaire et les mots « liberté d’expression » mis en avant : le message de ce numéro spécial de Charlie Hebdo est on ne peut plus clair.
Ce ne sont pas les survivants de l’attentat du 7 janvier 2015 et d’autres membres de la rédaction qui signent ce hors-série, mais un groupe composé de dizaines de jeunes issus de différents lycées de l’Est de la France.
Il y a dix ans, j’avais sept ans. A sept ans, on ne se rend pas forcément compte de ce qui se passe, mais on sent le stress, les discussions
raconte Enzo, l’un des lycéens alsaciens qui ont participé à la rédaction de la page éditoriale.
Je ne m’en souviens pas très bien, mais avec le temps, je me rends compte de l’importance de cet événement par rapport à la liberté d’expression.
ajoute sa camarade Dina.
Des salariés de Charlie Hebdo, dont Riss, le réalisateur et survivant de l’attentat, et d’autres professionnels ont accompagné ces apprentis journalistes et dessinateurs ces derniers mois pour les aider à réaliser leur édition.
Riss, directeur de Charlie Hebdo et survivant de l’attentat de 2015, aide des jeunes de l’est de la France à créer un dessin pour l’édition spéciale du journal.
Photo: - / Raphaël Bouvier-Auclair
Quand on est confronté à cette génération, c’est vrai qu’il faut presque leur expliquer ce qui s’est passé. Car aujourd’hui, dix ans plus tard, c’est devenu un événement qui entre dans l’histoire.
Outre la manière de construire un article ou de réaliser une caricature, cet accompagnement a permis de réfléchir sur des thématiques telles que la liberté d’expression et la laïcité.
Discussions autour de la liberté d’expression
Début novembre, dans les premières semaines du processus, les élèves d’un lycée ont pu échanger avec le dessinateur de presse Mykaïa. Cet ami de Cabu et Charb, deux personnalités de Charlie Hebdo assassinées le 7 janvier 2015, fréquente depuis dix ans les écoles françaises.
Mes amis sont morts. Soit je continue à rêver et à crier contre le monde assis sur ma chaise, ce que je continue de faire, mais je prends aussi mon bâton de pèlerin
il explique.
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Le dessinateur de presse Mykaïa lors d’une présentation aux étudiants.
Photo: - / Raphaël Bouvier-Auclair.
Dix ans après l’attentat qui a secoué son monde et la France toute entière, Mykaïa dit rencontrer parfois des difficultés lorsqu’il s’agit d’aborder les questions de liberté d’expression ou d’esprit irrévérencieux qui animait les dessins de ses anciens collègues.
Je suis triste de voir que des petits français me disent tout de suite « tu n’as pas le droit de parler de religion, tu insultes le prophète »
dit-il. Ce à quoi il répond que tous les dessins, y compris ceux de mes collègues de Charlie, ont toujours eu pour but d’attaquer ou de dénoncer les fondamentalistes.
Le créateur évoque ces expériences devant les étudiants d’Alsace, où l’accueil est chaleureux en cette journée d’automne.
Selon Mykaïa, un autre défi auquel sont confrontés les travailleurs de son secteur est la réticence de certaines publications à aborder des thèmes controversés. Une réflexion intéressante pour les étudiants qui se préparent à intégrer eux-mêmes une équipe de rédaction.
Indéniablement, nous sommes obligés d’une certaine manière à nous autocensurer car nous savons que nous ne pourrons pas forcément aborder certaines thématiques. Mais après, l’idée c’est d’avancer
observe Enzo, lycéen.
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Des étudiants de l’Est de la France travaillent sur les pages d’un numéro spécial de Charlie Hebdo.
Photo: - / Raphaël Bouvier-Auclair.
Nous voulons vraiment montrer que les jeunes ne veulent pas laisser les choses comme elles ont été toutes ces années. Ils ont des choses à dire et nous voulons que cela change.
Les aspirants journalistes et dessinateurs ont voulu relever ce défi avec le numéro spécial de Charlie qui paraît ce mardi à 22 000 exemplaires. Traitement des femmes afghanes, égalité femmes-hommes, laïcité, terrorisme, politique française et américaine, climat : les lycéens ont abordé les thèmes qui leur étaient chers.
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La liberté d’expression est à l’honneur à la Une du numéro spécial de Charlie Hebdo conçu par des étudiants.
Photo : avec l’aimable autorisation
Pour certains, l’expérience a même permis d’alimenter la réflexion sur une future carrière dans une rédaction. C’est le cas de Gaston, un jeune étudiant alsacien, passionné de dessins.
Ça m’intéresse, ça me donne peut-être une piste pour plus tard
il admet, affirmant apprécier comment ce type de publication permet appuyer là où ça fait mal
.
Pour cet adolescent, l’expérience est d’autant plus marquante qu’il a lui-même été victime du terrorisme lors de l’attentat de Nice en juillet 2016, l’année qui a suivi l’attentat de Charlie.
Ça a une symbolique, ça nous permet de boucler la boucle
dit-il.