Le groupe militant écologiste Extinction Rebellion (XR) avait quatre revendications majeures : une communication honnête sur l’écologie, la neutralité carbone en 2025, la fin de la destruction des écosystèmes et l’émergence d’une assemblée citoyenne. Il n’a pas réussi à les imposer à l’agenda politique français. XR est-il devenu une coquille vide ?
Entre 2019 et 2022, je me suis engagé comme chercheur-activiste au sein du groupe environnemental catastrophiste importé du Royaume-Uni en France. Depuis son lancement, les quatre objectifs qu’elle s’était fixés n’ont pas été atteints.
La crise écologique s’aggrave dans de nombreuses régions du monde, y compris sur le territoire national, comme l’ont montré les récentes inondations d’octobre 2024 dans plusieurs départements. Malgré cela, le budget proposé par le gouvernement de Michel Barnier – avant d’être censuré – visait à alléger le budget dédié à la transition écologique en réduisant les aides à la rénovation thermique (MaPrimeRénov) et le Fonds vert.
Si on y a jusqu’ici échappé, cet énième revers de la politique écologique peut être lu comme un échec des actions menées par les groupes écologistes depuis plusieurs années.
Notamment Extinction Rebellion (XR) qui, cinq ans après son lancement en France, n’a réussi à faire reconnaître ni appliquer ses revendications ni par le gouvernement, ni par les médias et les entreprises.
Mes travaux de recherche menés aux côtés de militants entre 2019 et 2022 visent à apporter des réponses à leurs espoirs déçus.
XR porte en France quatre revendications majeures, importées d’Angleterre où le groupe environnemental a été fondé en 2018 :
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une communication honnête sur l’écologie et le changement climatique,
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neutralité carbone en 2025,
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l’arrêt immédiat de la destruction des écosystèmes océaniques et terrestres,
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et la création d’une assemblée citoyenne chargée de décider des mesures permettant d’atteindre ces objectifs et de garantir une transition juste et équitable.
Tout semble désormais voué à l’échec.
Une écologie visible mais criminalisée
XR avait pour objectif d’obtenir une reconnaissance institutionnelle de la gravité et de l’urgence des crises écologiques actuelles. Pour ce faire, le groupe environnemental a recruté dans ses rangs un certain nombre de métiers culturels et intellectuels :
Un activiste surnommé Reautoto, avec qui j’ai discuté dans le cadre de mes travaux de recherche, le constate lui-même :
« Nous sommes tous issus du même milieu social, c’est clair. Nous avons tous fait BAC+3 ou BAC+5. Nous sommes architectes, ingénieurs ou avons fréquenté des écoles d’art, de biologie et de médecine. Et voilà, nous avions encore des études supérieures. Il existe très peu de BEP. »
Cependant, leur stratégie militante de sensibilisation scientifique et de communication médiatique n’a pas porté ses fruits, du moins pas au niveau espéré.
En cause, notamment, la conviction selon laquelle les arguments scientifiques suffisent à faire entendre raison aux décideurs politiques et économiques.
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A défaut de déclarer « l’état d’urgence climatique » attendu, le gouvernement et les médias dominants ont, au contraire, principalement criminalisé les actions de XR. L’ancien ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin avait par exemple qualifié, en 2022, les manifestations contre la construction de méga-bassins à Sainte-Soline d’« écoterroristes ».
Plus récemment, il a confirmé, dans l’émission Télématin du lundi 29 juillet 2024, lors des premières épreuves des Jeux Olympiques de Paris, l’arrestation d’« une cinquantaine d’individus». […] de personnes qui, avec d’autres, environ 150, voulaient mener des actions de sabotage ou de protestation radicale. » Parmi ceux-ci, selon Le Parisien, 44 militants XR.
Autant dire que l’État communique bien sur le contexte écologique, mais pas dans le sens où XR le voulait.
2025 : adieu à la neutralité carbone ?
Concernant la deuxième exigence (neutralité carbone en 2025), les émissions de gaz à effet de serre (GES) ont bel et bien diminué depuis la création de XR. Selon le gouvernement, cette réduction en France est estimée à 5,3% au premier trimestre 2024 par rapport à la même période en 2023.
Une bonne nouvelle mitigée : plus de la moitié des émissions de GES du pays restent délocalisées ou externalisées, c’est-à-dire émises hors de France, dans des pays où la législation environnementale est moins contraignante.
Dans la version grand public du rapport annuel du Haut Conseil pour le Climat (HCC) publié en septembre 2023, on peut également lire :
« L’empreinte carbone de la France, qui inclut les émissions générées dans d’autres pays pour produire des biens importés et consommés en France, est 1,5 fois supérieure aux émissions produites sur le territoire français. »
Cette empreinte concerne principalement les secteurs des transports, de l’agriculture (élevage) ou du bâtiment et du bâtiment.
C’est précisément ce que ces militants ont pu dénoncer à de nombreuses reprises à travers leurs actions. Une de leurs campagnes, intitulée « Fin des chantiers », visait, dès 2020, l’entreprise française de matériaux de construction Lafarge-Holcim.
Pourtant, dans sa stratégie nationale bas carbone (SNBC), instaurée en 2015 par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV), le gouvernement a repoussé les objectifs de neutralité carbone à 2050.
Alors que nous arrivons au début de l’année 2025, cette seconde revendication semble rester lettre morte.
Toujours plus de projets écocides
La troisième revendication exigeait l’arrêt immédiat de la destruction des écosystèmes océaniques et terrestres. Une carte interactive des luttes contre les grands projets inutiles et imposés (GPII), initiées en 2020 par les médias Reporterreliste les nouvelles luttes locales et indique que là aussi, XR n’a pas atteint ses objectifs.
Ses militants participent également à certaines d’entre elles. Différents groupes locaux participent à une intercoordination appelée « L’eau rage ronde » qui regroupe plusieurs collectifs autour de la défense de l’eau. On l’a retrouvé dans les manifestations contre les mégabassins.
De même, le groupe local XR Toulouse s’est récemment mobilisé contre les travaux de construction de l’autoroute A69 entre Toulouse et Castres, sans succès pour l’instant.
Ces activités de protestation s’avèrent insuffisantes pour mettre fin à la destruction mondiale tant décriée. Aucune de leurs principales campagnes n’a réussi à déclencher de profonds changements institutionnels, politiques ou économiques allant dans ce sens au cours des cinq dernières années.
Malgré cela, XR continue – en vain ? – cette troisième affirmation.
L’échec de la seule tentative d’assemblée citoyenne
Enfin, la dernière revendication, visant à faire naître une assemblée citoyenne, s’avère également appartenir au passé depuis la malheureuse expérience de la Convention citoyenne pour le climat (CCC).
C’est ce qu’exprime avec regret un activiste surnommé Ikunat :
« Là, pour moi, ce qui s’est passé avec la Convention citoyenne pour le climat, c’était un exemple assez fracassant de pourquoi ça ne marche pas. […] Nous voyons que nous sommes face à un gouvernement, et en son sein, un pouvoir législatif, qui a automatiquement exclu les mesures les plus fortes. Nous savons qu’ils étaient essentiels pour tenter de faire un pas en avant, au moins en termes de mentalité et de réglementation des entreprises dans ce domaine. »
Pour rappel, le CCC était constitué d’une assemblée de 150 citoyens volontaires tirés au sort parmi la population française. Elle a été créée en octobre 2019 par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) à la demande du Premier ministre de l’époque, Édouard Philippe. Ce dispositif a abouti à la formulation de 149 propositions dans un rapport final publié en juin 2021.
Malgré l’engagement du Président de la République de les conserver toutes sauf trois, les principales mesures phares ont fini par être laissées de côté. Le gouvernement n’a finalement repris « sans filtre » que 10 de ces propositions dans sa « loi climat et résilience ».
Écologie radicale
Désormais, les militants XR toujours actifs tentent d’entretenir ce que l’on peut désormais appeler une coquille vide.
Cela leur procure néanmoins un lien affectif intense en faisant office de « communauté émotionnelle » – selon l’expression du sociologue Max Weber – autour d’un imaginaire catastrophique commun.
Depuis, le groupe écologiste Earth Uprisings, créé en janvier 2021 par des militants tirant les leçons organisationnelles et stratégiques de leurs expériences d’échec (notamment avec XR), ne cesse d’attirer des « rebelles déçus » lors de ses actes de mobilisation.
De cette toute nouvelle synthèse naît une transition vers une écologie radicale qui renoue avec le sens originel de cette contestation, telle qu’elle a été initiée dans les années 1960-70.