« Pour être en meilleure santé, mangeons comme nos ancêtres. » Cette phrase pourrait résumer la philosophie d’une tendance populaire sur les réseaux sociaux. A travers les concepts de « nutrition ancestrale » ou de « régime ancestral », de nombreux récits partagent des conseils nutritionnels : les aliments à privilégier, et ceux à bannir de nos assiettes. Leur argument ? Grâce à ce régime, nos « ancêtres » étaient en bien meilleure santé qu’aujourd’hui. Il faudrait donc revenir à une alimentation plus « naturelle », renouant avec le bon sens qui guidait leurs principes alimentaires.
Cette tendance, qui existe aussi bien chez les créateurs de contenus francophones qu’internationaux, est parfois confondue avec celle du « régime paléo » ou « régime paléo », pour paléolithique. Ce dernier, plus âgé, s’emploie donc à prêcher des conseils inspirés de ce qu’aurait été l’alimentation à cette période de la préhistoire.
Derrière ces affirmations, quelle est la réalité historique ? Pouvons-nous réellement prétendre connaître le régime alimentaire de nos ancêtres ? Et d’ailleurs, de quels ancêtres parle-t-on ?
Tous nos ancêtres ne mangeaient pas la même chose selon les époques, les lieux et les milieux sociaux
Premier constat : parler d’« un » régime ancestral est un abus de langage. « L’alimentation évolue au fil des siècles. Elle est spécifique à une époque et à un contexte social donnés. On n’a pas accès aux mêmes produits selon que l’on est paysan au XIIe siècle ou seigneur au XVe siècle, souligne Fabien Müllers, maître de conférences à l’université de Tours et historien de l’alimentation. Et ce constat est le même pour toutes les périodes de l’Histoire. Même à une période donnée, « l’alimentation n’est pas du tout la même selon la profession, l’origine sociale, l’âge, la situation géographique ou le sexe », décrit Stéphane Le Bras, maître de conférences en Histoire. contemporain à l’Université Clermont Auvergne et spécialiste de l’histoire de l’alimentation.
Comment expliquer que sur Internet, les régimes promus contiennent souvent de grandes quantités de viande ? “Des travaux ont montré que les Néandertaliens avaient une alimentation beaucoup plus carnée car ils vivaient dans des milieux où il y avait peu de plantes”, explique l’enseignant à l’université de Tours. Mais le scientifique rappelle aussi qu’« en France, les premiers agriculteurs-éleveurs sont arrivés vers 5 500 avant JC. Ainsi au Paléolithique, on ne pouvait pas boire de lait, on ne mangeait pas de viande domestique. C’est au Néolithique, dans le sud de la France, qu’apparaissent les premiers agriculteurs-éleveurs sédentaires. »
La difficulté de connaître précisément l’alimentation de nos ancêtres
Autre obstacle qui se pose lorsqu’on cherche à établir ce qu’aurait été le régime alimentaire de nos ancêtres : la difficulté de connaître précisément leur composition. « Nous commençons à disposer de techniques biochimiques qui nous permettent de déterminer si les gens avaient un régime carné ou végétarien, ou si les ressources étaient terrestres ou marines. Mais on ne peut pas savoir exactement ce qu’ils mangeaient, explique Marie-Pierre Horard-Herbin à propos de la période préhistorique. Quand on parle du Paléolithique, on dispose de très peu de restes humains. Parler de ces populations est donc très prétentieux, car nous n’avons pas beaucoup d’informations.»
“Nous sommes incapables de déterminer la quantité de viande que les gens ingèrent, même avec des squelettes et les techniques les plus récentes”, poursuit le spécialiste. Nous pourrons seulement dire si le régime est carné ou strictement végétarien. Les quelques recueils de recettes qui nous sont parvenus sont plutôt récents puisqu’ils remontent à la période romaine en Europe. Et là aussi, « ils ne font pas référence à l’alimentation de l’ensemble de la population ».
Autre problème : la nourriture n’est pas produite aujourd’hui dans les mêmes conditions. « Les produits évoluent même s’ils gardent le même nom. C’est le cas du vin mais aussi des produits agricoles, qui sont notamment modifiés par la génétique », explique Stéphane Le Bras.
Nos ancêtres sont-ils en meilleure santé grâce à leur alimentation, vraiment ?
Peut-on réellement connaître le rôle de l’alimentation sur la santé de nos ancêtres ? « Prétendre pouvoir mesurer l’impact précis de l’alimentation sur des populations, même très récentes comme les populations romaines, est faux. Les données archéologiques ne permettent pas de l’établir pour l’instant”, précise Marie-Pierre Horard-Herbin.
Un constat partagé par Nicolas Parel, diététicien à la Haute Ecole de Santé de Genève. « Nous n’avons pas vraiment d’étude de cohorte paléolithique. Vraisemblablement, il y aurait moins de maladies chroniques qu’aujourd’hui. Mais il n’y a pas si longtemps que ces maladies constituent un problème majeur de santé publique. » Le spécialiste met surtout en garde contre le fait de réduire la santé à la seule alimentation. « Il y a aussi le mode de vie, la sédentarité, la pollution… Aujourd’hui, nous vieillissons, et nous savons que l’un des principaux facteurs de ces maladies est le vieillissement de la population. »
Pour la diététicienne, il est clair que réduire certains aliments dits ultra-transformés pourrait être bénéfique. « Mais sans forcément aller vers des aliments aussi crus. Les aliments comme le yaourt ou le pain n’existaient pas à l’époque paléo et présentent des avantages positifs. »
Régimes qui ne suivent pas vraiment les recommandations nutritionnelles
Pour le spécialiste, ces régimes anciens ont la particularité de contenir de nombreux produits sans gluten, sans lactose, sans légumineuses et dits industriels, et donc de contenir beaucoup de produits carnés, de fruits, de légumes et d’huiles. Pourtant, le scientifique rappelle : « sur les réseaux sociaux, il n’existe pas « un » régime paléo. Faute de bases scientifiques solides, chacun suit son chemin. »
Une chose est sûre : pour Nicolas Parel, ce type de régime va plutôt à l’encontre des recommandations actuelles. « Aujourd’hui, on considère qu’il vaudrait mieux réduire la proportion d’aliments d’origine animale, on parle d’un tiers de protéines animales pour deux tiers de protéines végétales. Nous allons plutôt dans le sens d’une consommation accrue de céréales complètes et de légumineuses, que ce soit pour des raisons de santé ou des raisons écologiques. On sait aussi qu’il faut éviter le lait cru en raison des risques d’infections et de pathologies. » La prudence est donc de mise avant de se lancer dans ces régimes dits miraculeux.