l’essentiel
Du temps des diligences aux nouveaux défis du XXIe siècle, l’histoire de la marque emblématique du Gers, dont la réputation a traversé les frontières de l’Hexagone sous la direction du chef étoilé André Daguin, s’inscrit dans celle de quatre dynasties familiales.
Le 14 mai 2022, la grande première du festival Auch le Goût bat son plein place de la Libération. La veille, la famille Casassus accueillait des chefs de renom (Hélène Darroze, Christian Constant…) dans ses cuisines de l’Hôtel de France.
La gastronomie gasconne est célébrée, son représentant le plus charismatique, André Daguin (décédé en 2019), honoré par l’attribution d’une rue à son nom. Mais si, depuis des décennies, on dit volontiers « Chez Daguin », ce sont quatre familles qui ont marqué l’histoire des lieux.
Famille Tarbouriech : « Alexandre » en relais
Revenir aux origines de l’Hôtel de France, c’est remonter à une époque où les valets et le cuisinier côtoyaient les garçons d’écurie et le maréchal-ferrant. Une époque, au XVIIIe siècle, où l’hôtelier était aussi maître de poste. Le temps des cavaliers et des diligences.
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A Auch, les auberges sont situées à des points stratégiques (en direction de Vic, Mirande, Toulouse, etc.). A proximité de l’actuelle mairie, deux enseignes voisines « La Daurade » et « Auxarmes de France » appartiennent à la même famille : les Tarbouriech. Les deux auberges ne tardent pas à n’en faire qu’une suite aux ambitieux travaux entrepris entre 1756 et 1761 par Alexandre Tarbouriech.
Dans un livret d’une vingtaine de pages, intitulé « Hôtel de France à Auch : quelques notes historiques », Jeanne Legrand-Crespeaux fournit la description d’une « maison construite en pierre, chaux et sable, recouverte de tuiles canal » composée d’une mezzanine et deux étages. Il dispose de 31 chambres, soit trois de plus qu’aujourd’hui… mais avec un confort plus sommaire.
Au fil des décennies, les héritiers Tarbouriech se sont succédés, le prénom Alexandre apparaissant presque systématiquement sur les actes de baptême. Le bâtiment évolue peu jusqu’en 1888, date à laquelle il est mis en vente aux enchères à Joseph Dartigues, fils des aubergistes de Saramon.
Famille Dartigues : lignée maudite, héritage éternel
« Les Dartigue sont ceux qui ont le plus investi, qui ont donné au bâtiment l’aspect et les volumes actuels, mais ils n’ont pas pu en profiter longtemps », résume Bruno Casassus, actuel codirecteur de l’Hôtel de France de la « Grande Salle » qui abrite le restaurant gastronomique. On doit cette grande salle de bal à la famille Dartigues, située à l’entresol et où se trouve une cheminée monumentale avec un miroir surmonté d’une lettre D stylisée (de Dartigues… puis Daguin).
Les travaux conduisirent jusqu’en 1904 à la création de nouvelles façades telles que nous les connaissons aujourd’hui, avec la grande porte d’entrée encadrée de deux colonnes, ou encore à l’aménagement du large escalier dans le hall d’entrée.
« L’influence de l’Hôtel dépassait les limites du département ; ce furent des années prospères. Mais le malheur allait s’abattre sur l’entreprise », raconte Jeanne Legrand-Crespeaux dans son ouvrage. Fièvre typhoïde, tuberculose pulmonaire ou osseuse, congestion cérébrale… Les membres de la famille Dartigues succombent à leur tour et la gestion de l’hôtel est confiée à des tiers. L’entreprise subit les conséquences de la guerre de 1914-18 et peine à redresser la situation.
Finalement, en 1926, une nouvelle vente aux enchères est décidée. Et c’est un certain Albert Daguin, cuisinier professionnel, qui a remporté le prix : « pour deux fûts d’Armagnac », selon la légende.
Famille Daguin : prestige mondial et modernisation
« Par sa gestion sérieuse, sa courtoisie », Albert Daguin « redonne du prestige à la vieille maison » estime Jeanne Legrand-Crespeaux. Mais l’Histoire va bientôt s’inviter dans la bâtisse auscitaine. En 1942, le voile sombre de l’occupation nazie recouvrait le Gers comme le reste du pays. Les autorités allemandes ont trouvé l’immeuble de la rue d’Etigny à leur goût. Ils y installèrent le quartier général de l’état-major de liaison jusqu’au 19 août 1944.
Après la guerre, une nouvelle page de son histoire peut s’ouvrir : celle du chef André Daguin, qui a succédé à son père en 1959 juste avant de décrocher sa première étoile Michelin. Sa mère et sa grand-mère assemblaient des Armagnacs. Il fera la promotion des produits gascons aux quatre coins du Globe.
Le bâtiment s’adapte aux nouvelles demandes (séminaires, réceptions…) et aux exigences des nouveaux voyageurs (modernisation des chambres, création de salles de bains individuelles). Un « piano bar » a été créé à l’emplacement actuel des bureaux de l’hôtel, ainsi qu’une cuisine XXL adaptée au chef Daguin.
Famille Casassus : la poursuite d’une ambition
À la fin des années 90, André Daguin vend l’entreprise à Roland Garreau. Ses enfants Ariane, Arnaud et Anne exercent le métier. Mais ils creuseront leur propre sillon ailleurs. C’est donc une nouvelle saga familiale qui débute en 2009 (achat du fonds de commerce) puis en 2019 (acquisition des locaux) avec les Casasus.
Le père, Jacques Casassus-Builhé, a travaillé avec Paul Bocuse puis Pierre Dupont au célèbre hôtel éponyme de Castelnau-Magnoac, autre auberge gasconne historique… Ses fils – Bruno (maître d’hôtel), Vincent (chef) et Fabien (pâtissier) ) – ont écrit depuis ce rachat la nouvelle histoire de l’Hôtel de France, celle du XXIe siècle.
Après la période Covid, la « Grande Salle » et celle de la brasserie Le 9e ont été relookées, le mobilier a changé. Et les projets ambitieux ne manquent pas : comme celui de réaménager l’ancienne maison de la famille Daguin, au 3e étage, en « toit », ouvert à la clientèle pendant les mois d’été.
L’inauguration est prévue pour l’été 2025. Pour découvrir sous un nouvel angle un monument d’Auch sans cesse réinventé.