Érigées entre 1922 et 1924, « afin d’immortaliser au plus vite la mémoire des Poilus morts pour la France », elles sont signées Aristide Maillol, Raymond Sudre, Gustave Violet… Des mains d’artistes mais aussi d’architectes ou de simples entrepreneurs. . Ornés d’un soldat, d’une Marianne, d’une veuve avec ses enfants ou encore du coq Chantecler, les monuments aux morts restent des sentinelles mémorielles de la Grande Guerre.
Ils se réveillent chaque 11 novembre pour honorer les soldats tombés au combat. Comme l’Inconnu enterré sous la voûte de l’Arc de Triomphe à Paris. Les monuments aux morts, idée lancée le 20 novembre 1916 en pleine bataille de Verdun, sont restés pendant cent ans les symboles de pierre ou de marbre de la Grande Guerre. Le plus sanglant pour la France. Et pour les Pyrénées-Orientales.« Dès le premier jour, le 53e régiment d’infanterie de Perpignan déplore 1 000 pertes en moins d’une heure dans la bataille de Lorraine »affirme l’historien militaire Renaud Martinez, catalan de cœur et de résidence. Dans la citadelle catalane, le R3e est alors remplacé par le 24e Régiment d’infanterie coloniale, dont les soldats d’active tombent à Charleroi, en Belgique. “Terrible”frémit Renaud Martinez, membre de la chaire de tactique générale des armées, officier de réserve à Carcassonne depuis son service militaire, conférencier, écrivain plusieurs fois primé et auteur d’une cinquantaine d’ouvrages. Sa spécialité ? Le Poilu Catalan.
Signed Aristide Maillol, Raymond Sudre, Gustave Violet…
Des dizaines de milliers de morts, selon Antoine Guerrero, actuel responsable du Centre Mémoire de Perpignan. Son explication ? « Le P.-O. ont payé un très lourd tribut humain dans cette guerre car ils avaient beaucoup de paysans qui faisaient de très bons fantassins. Les pauvres avaient une espérance de vie limitée, ils allaient au feu, les baïonnette avec fusil. Les bâtiments commémoratifs en témoignent. Des plus anciennes datant de 1870 aux plus modernes, certaines sont encore construites aujourd’hui à la mémoire de toutes les victimes tombées amoureuses de la France – dont celles de l’OPEX -, on retrouve la majorité des noms d’un père, d’un fils, d’un cousin. , un oncle, des neveux de la même famille. Tous ont succombé au front 14-18. A cette époque, certains villages seront complètement dépeuplés. Le massacre est confirmé par les registres nationaux des militaires. Entre Bretagne et Corse, les P.-O. prend le rang désastreux de 2ème département le plus endeuillé de France par la Première Guerre mondiale. “En 1914, lorsque les autorités commencèrent à recenser les soldats décédés, elles se rendirent compte que plus d’un tiers des morts, soit 540 000 sur 1 million 400 000, avaient péri dans les 4 premiers mois du conflit”se souvient Renaud Martinez. Ces semaines où avaient été engagés le 53e RI de Perpignan, le 143e de Carcassonne et le 80e de Narbonne. Décimé.
Lorsque la guerre prit fin en 1918, « De nombreuses communes souhaitent immortaliser leurs morts »continue-t-il. La majorité des monuments que nous connaissons aujourd’hui ont fleuri durant cette période. Problème ? Seuls les autochtones du village peuvent avoir leur nom sur le mémorial. Il en va de même pour les plaques placées dans les églises, les consulats et autres murs. Sans oublier la notion juridique de disparition en vigueur à l’époque. “Il a fallu attendre deux ans pour que le décès d’un militaire disparu soit déclaré établi.”
« En passant, rappelez-vous : la mémoire est à nous, l’immortalité est à eux »
« Le monument aux morts n’est pas préétabli. Chaque ville a toujours eu le droit, et c’est toujours vrai, d’en construire une ou non et de la décorer selon ses convictions et son budget. Les plus chanceux s’offriront un artiste, Aristide Maillol qui les crée gratuitement, Raymond Sudre ou Gustave Violet… Au choix, les bâtiments sont décorés d’un soldat, Marianne, Marie ou du coq Chantecler, emblème de la victoire et des Gaulois. Certaines communautés sans le sou utilisent des cimetières, des mairies ou des églises. Chaque stèle a donc son histoire, sa signification qui, « au-delà des croyances, reflète la sensibilité politique du lieu. » Des exemples, cite Renaud Martinez, « Un fantassin avec une arme aux pieds incarne la neutralité. La République portant un soldat dans ses bras, c’est à peu près les communes de gauche de l’époque. À l’inverse, un Poilu organisant une attaque avec un camarade blessé reflète plutôt une politique de droite.» D’autres sont ornés de statues de Louis, patron des armées, de l’archange Michel. “tuer le Teuton à l’image du dragon”. La liste est interminable. « Les Pyrénées-Orientales ont voulu exprimer l’horreur de la guerre sans autre connotation »interprète l’historien. Devant le Palais des Congrès, des personnes en pleurs évoquent des souffrances insupportables. Plus sobres, les stèles monolithiques encadrées par 4 coquilles. Plus riches, des allégories de la vie avant de représenter des cultivateurs, des commerçants, des tisserands… N’en cherchez pas en Catalogne ou dans l’Aude, il n’y en a pas. L’essentiel est qu’ils portent tous le même et unique message : “En passant, rappelez-vous : la mémoire est à nous, l’immortalité est à eux.”