Le 17 décembre, à l’hôtel Pams de Perpignan, à l’invitation du Centre de Littérature Méditerranéenne et de l’association Harmonies du Monde, Chico Bouchikhi, ancien guitariste des Gipsy Kings, et fondateur du groupe Chico and The Gypsies, a présenté son autobiographie : « Chico sous les étoiles gitane – Ma vie chez les gitanes » (Ed. Robert Laffont). Un destin hors du commun qu’il évoque dans les colonnes de L’Indépendant.
Ce livre nous en dit beaucoup sur vous. La première : vous n’êtes pas gitan ?
Je me présente comme une mosaïque de cultures. Je suis né en France, d’un père marocain et d’une mère algérienne (ndlr : pour l’état civil, Chico c’est Jahloul Bouchikhi) et j’ai grandi avec des gitans. J’ai épousé une gitane. J’ai des enfants, des petits-enfants et des arrière-petits-enfants. A l’époque, on m’avait dit : « Vous êtes dans une mauvaise passe ! » ». En fait, cela m’a porté chance.
Était-ce facile de rejoindre une famille gitane ?
C’est arrivé naturellement. J’avais 12-13 ans. J’étais ami avec les fils Reyes (ndlr : dont Nicolas, la voix des Gipsy Kings), nous vivions dans le même quartier à Arles. Cette famille était extraordinaire. Le père, José, était le chanteur de Manitas de Plata. La maman, Clémentine, était généreuse et une véritable magicienne en cuisine ! Je me suis tout de suite senti bien dans cet environnement. J’ai retrouvé un peu les mêmes valeurs que les miennes : la bienveillance, l’amour. Les Reyes étaient très modestes mais incroyablement riches.
Vous venez de mentionner Manitas de Plata. Que signifiait-il pour toi ?
J’écoutais sa musique avant de le connaître. Il nous a montré le chemin. Chez les gitans, c’était lui la star : celui qui passait à la télé, qui brillait et qui, d’une certaine manière, éclairait la communauté. En 1974, pour ses dix ans de carrière, au Théâtre des Champs-Elysées à Paris, il invite José Reyes et Los Reyes, dont je faisais partie, Hippolyte Baliardo et Los Baliardo. C’était ma première scène et ma première télé depuis que nous avions enregistré pour l’émission Midi trente de Danièle Gilbert. Je vivais un rêve.
C’est avec le groupe Los Reyes que vous vous êtes produit dans les années 1970 et 1980 à Saint-Tropez et sa région. Des - difficiles pour côtoyer la jet-set ?
Ce n’étaient pas des vaches maigres. Nous étions jeunes et même si nous mendiions et jouions au restaurant, c’était merveilleux. Et nous avons rencontré des gens incroyables.
Y compris une certaine Brigitte Bardot ?
Je l’ai rencontrée en 1978, le jour de son anniversaire. Elle est devenue la marraine du groupe. C’est une amitié qui dure pour toujours. Pour la sortie du livre, elle m’a écrit une lettre dans laquelle elle me rappelait toutes les anecdotes que nous avions partagées.
Dans ce livre, vous expliquez également que vous êtes à l’origine du changement de nom du groupe pour devenir The Gipsy Kings. Pourquoi cette décision ?
J’ai compris très tôt, bien avant le succès public, que notre musique était internationale et qu’il nous fallait un passeport international. Il existe des milliards de groupes de Los Reyes dans le monde ! Quand on allait jouer à New York, dans des soirées privées, on voyait partout King Elvis Presley… et Burger King. J’ai donc proposé Kings, la traduction anglaise de Reyes, et Gipsy for Gypsies. Mais au début, personne n’en voulait : ni la famille, ni les maisons de disques !
1987, succès mondial. Depuis, vous avez joué partout, devant des publics de cultures très différentes. Beaucoup de vos chansons sont désormais des classiques. Quel est le pouvoir de la musique tzigane ?
Au-delà de la compréhension des mots, c’est l’émotion qu’il dégage. Quel que soit le pays, les gens réagissent au même moment de la chanson. C’est une langue universelle. Et c’est la voix d’un peuple. Pour moi, la musique tzigane, c’est le blues européen.
Qui dit réussite, dit turbulences. Comment ont-ils conduit à votre éviction du groupe ?
Notre producteur de l’époque était très intelligent et nous étions très naïfs. Un jour, pour défendre nos intérêts, j’ai osé lui demander des comptes du groupe qui ne correspondaient pas à la réalité de notre succès à travers le monde (ndlr : à ce jour, plus de 25 millions d’albums vendus). Je suis devenu un fauteur de troubles et j’ai été expulsé. Mais le - m’a donné raison.
Ainsi, en 1992, vous fondez votre groupe Chico and The Gypsies. D’où te vient cette capacité à rebondir ?
Je suis une personne optimiste. J’ai confiance en la vie. Mais je pense quand même que j’ai une bonne étoile (rires).
Mais dans votre incroyable parcours, il y a une tragédie tout aussi incroyable : en 1973, en Norvège, l’assassinat de votre frère aîné par le Mossad, par erreur (ndlr : Ahmed Bouchikhi confondu par des agents des services de renseignement israéliens avec un terroriste palestinien) du groupe Septembre Noir, responsable du massacre de Munich en 1972). Ahmed était-il votre modèle ?
C’était mon idole. C’était le Tintin de la famille. Il voyageait beaucoup et à chaque fois, il nous apportait des histoires, de la musique… Il venait d’épouser une Norvégienne, elle était enceinte. Son décès a été une tragédie pour notre famille. Mes parents sont morts de chagrin. Nous n’avons jamais reçu d’excuses du Mossad…
Surprise du destin : vingt ans plus tard, à l’invitation de l’UNESCO, pour célébrer le premier anniversaire des accords d’Oslo (ndlr : traité de paix israélo-palestinien signé par Yitzhak Rabin, Premier ministre israélien, et Yasser Arafat, président du comité exécutif de l’OLP), vous allez jouer en Norvège. Ce soir-là, présents dans la salle Shimon Peres, alors Premier ministre d’Israël, et Yasser Arafat, qui viendront vous saluer après le concert. Est-ce que ce moment a changé quelque chose en vous ?
Après la mort d’Ahmed, j’ai blâmé la Terre entière. Mais j’avais aussi des valeurs de paix et de tolérance, que mes parents m’avaient inculquées. Un de mes frères a pris une photo de cette poignée de main. Pour moi, cette image est devenue un symbole de pardon.
En 1995, vous avez été nommé « Envoyé spécial de l’UNESCO pour la paix ». Un engagement qui durera vingt-cinq ans. Avec le recul, êtes-vous fier de tout votre parcours ?
Fier, non, mais heureux, oui. Ce livre n’est pas seulement un héritage pour mes enfants mais c’est aussi un exemple de vie. Cela montre qu’on peut commencer avec des « handicaps » et que finalement ça n’a pas d’importance… et que la vie est belle.
Chico participe à « l’Orchestre à l’école de rumba » du groupe scolaire Hélène-Boucher
Avant de présenter son livre à l’hôtel Pams, Chico est venu rencontrer les musiciens en herbe. Cela fait en effet cinq ans que Guy Bertrand, président de l’association Harmonies du Monde, créait « l’Orchestre à l’école de rumba » à l’école Hélène-Boucher, dans le Haut-Vernet, à Perpignan, avec le soutien de l’Association nationale des Orchestres scolaires et Casa Musicale. Cet ensemble met une trentaine d’enfants, filles et garçons d’une dizaine d’années, en situation d’apprentissage, deux fois par semaine, avec le chant et les instruments caractéristiques de la rumba gitane catalane. « Ce projet très spécifique, qui a bénéficié du soutien des partenaires du Contrat de Ville, la Cité Éducative, ne pourrait exister sans l’investissement au sein de l’école de Pauline Schmitt, la directrice, et de Florent Guillaume, l’enseignant référent du projet, explique Guy Bertrand. Habituellement, les orchestres scolaires sont davantage orientés vers une esthétique classique avec des cordes et des cuivres enseignés dans les conservatoires. Nous avons souhaité innover en proposant un projet très différent basé sur la musique traditionnelle vivante, la rumba catalane, et ses spécificités instrumentales, vocales et dansées. La plupart des musiciens professionnels de l’ensemble Los Graciosos ont étudié dans cette école et aujourd’hui ils sont des transmetteurs passionnés pour les enfants de leur quartier”.
Accompagné de Mario Cerviole-Bouchikhi, son fils, et d’Abraham Maille, Chico a écouté attentivement la version Je t’aime bien de Manu Chao en cours. Apportant tous leurs encouragements, Chico et ses Gitans entonnèrent le fameux se balancer qui a fait le succès des Gipsy Kings.
« La transmission ? J’en suis un parfait exemple puisque mon fils est ici avec moi, » a souligné Chico. J’ai trouvé cette approche de la musique et du chant très intéressante pour les enfants. Chico très heureux d’être à Perpignan : « Certains d’entre nous ont de la famille ici. Un de mes fils était marié à une Perpignanaise. Et musicalement, nous connaissions bien le Tekameli.