“C’était tellement puissant, ces horreurs, qu’on ne peut plus s’en séparer […] Le fait que mon décès ait été annoncé dans peu de -, je me suis demandé si je ne devais pas profiter de ce moment pour enfin me libérer de tout ce poids”, a confié le sexagénaire, ajoutant qu’il avait toujours eu l’intention de prendre ce « secret » avec lui dans sa tombe.
Il s’agit d’un saut dans le - inhabituel. Ce témoin, dont l’identité a été préservée au profit de l’initiale E., risquait de succomber à son cancer avant l’ouverture officielle du procès, dans environ un an.
En novembre dernier, le juge Sylvain Provencher de la Cour supérieure a ainsi autorisé les avocats d’Arsenault Dufresne Wee, qui représente ce recours collectif, à présenter l’examen pour référence future de E. dès que possible. Une occasion pour ce dernier d’inciter d’autres victimes à s’ouvrir comme lui, a-t-il déclaré au juge.
Dans le cadre de ce dossier, ce sont aujourd’hui une centaine de victimes présumées qui demandent réparation pour des agressions sexuelles perpétrées par des membres de l’archidiocèse de Sherbrooke entre 1940 et aujourd’hui.
E. représente également l’une des quatre victimes présumées de Roger Côté dans cette affaire.
Lors de cette audience, E. a tenu à démontrer que les conséquences des agissements reprochés au père Côté étaient majeures sur sa santé mentale, sur son parcours social et professionnel, ainsi que sur sa vie sexuelle.
«Ça a détruit une partie de ma vie», a témoigné celui qui aurait vu ses résultats scolaires décliner, en plus d’éprouver des problèmes de consommation d’alcool et de drogues pour échapper à ses souvenirs.
“Il me traîne comme un animal”
Avec aplomb et détermination, E. présente ses allégations contre l’abbé Roger Côté, alors curé de la paroisse Saint-Charles-Garnier de Sherbrooke.
Tout commence vers 1967, après que le Père Côté propose à E. de lui accorder des enseignements privés de la Bible. La victime présumée était alors âgée de 10 ans.
Dès la deuxième séance, qui s’est tenue au domicile du curé, celui-ci aurait ordonné des réconciliations en lui demandant de s’asseoir à genoux pour mieux lire la Bible. « Il me soufflait sur le côté du nez et son haleine sentait mauvais. Cela m’a laissé une impression.
Le curé en aurait profité pour le caresser, sans aller plus loin.
Jusqu’à la troisième séance : « Il y a une corde près de lui. Il m’attache les mains. Il me fait un nœud et me dit « lève-toi ». Le prêtre l’aurait alors attaché à une tringle de penderie, puis aurait baissé son pantalon et lui aurait caressé les fesses.
«Je suis saisi par la peur. Il finit par dénouer la corde du poteau et se traîne comme un animal jusqu’à sa chambre.
— E. victime présumée de Roger Côté
Le Père Côté aurait demandé à E. de s’allonger sur son lit, sur le ventre, et aurait continué ses caresses pour ensuite le laisser repartir. Un scénario similaire, cette fois sans corde, se serait reproduit lors de la quatrième séance. C’est à ce moment-là que le prêtre aurait pénétré de force l’anus d’E. avec son doigt.
Des gestes qui auraient alors marqué le début d’une longue série d’attaques identiques, et qui auraient été reproduits à chaque séance, deux fois par semaine pendant au moins un an.
«C’était toujours la même chose. Pénétration avec le doigt, pendant trois ou quatre minutes. Bien graissé, dit E.
Enregistreur
E. garderait également un souvenir très vif du groupe de oursons que le père Côté constituait, et qui réunissait régulièrement une dizaine de jeunes garçons chez le curé. À environ cinq reprises, l’abbé aurait demandé à E. et à un de ses amis de rester après la réunion.
« Il nous emmenait au sous-sol sous prétexte de jeux. Il nous a attaché les mains et les pieds et nous a bandé les yeux. Il nous faisait nous allonger sur le tapis du sous-sol et sortait un bâton. Sa célèbre bastonnade égyptienne, comme il l’appelait. Et il nous a donné de bons clichés.
— E., victime présumée du père Roger Côté
Les « jeux » auraient toujours été accompagnés par un enregistreur, à la vue des jeunes garçons, à qui on aurait demandé de crier pendant que les coups étaient joués. « À un moment donné, il a précisé qu’il faudrait que ce soit plus fort. Sinon, il devrait nous battre plus fort.
E. et son ami ont même rendu visite au père Côté, une fois adulte, pour lui parler de cet épisode. A leur demande, l’abbé leur aurait fait réécouter la cassette « sans gêne, sans remords », s’insurge E.
Il n’aurait aucune idée de ce qui aurait pu arriver à ces cassettes après le décès du père Côté en 1997.
Les punitions
Les contacts avec le Père Côté auraient été fréquents pour E. et plusieurs de ses amis. L’enfant et ses amis ont eu l’occasion de conduire la voiture, la motoneige et le bateau de l’homme d’église, a-t-il déclaré.
C’est dans le cadre de tels privilèges que le curé aurait instauré un système de « punitions ».
« Il m’invitait à aller à Ski-Doo presque à tout moment, le soir après le souper, pour échanger ça – parce que je l’ai vécu comme ça – contre la même chose qui arrive avec la lecture de la Bible : la pénétration anale avec le doigt. La permission que j’avais pour conduire Ski-Doo était de 10 à 15 minutes. J’étais jeune et je dépassais régulièrement la durée de mon accueil. Les conséquences allaient donc arriver.
Ce façon de travailler se serait étalée sur deux hivers, pour un total d’une centaine d’attaques supplémentaires.
Pour « punir » les mauvaises manœuvres au volant de sa voiture ou de son bateau, le père Côté aurait également commis une autre forme d’agression sexuelle contre le jeune garçon, près d’une centaine de fois.
« Il m’a fait allonger sur lui, les fesses sur ses jambes. C’était une volée, les mains pleines. Et chaque fois qu’il baissait son swat, il en profitait pour bien masser les fesses, en prenant soin avec son pouce d’essayer de le faire rentrer dans la fente des fesses.
— E., victime présumée de Roger Côté
Celles-ci se seraient déroulées tantôt avec les mains, tantôt avec un bâton.
E. a finalement décidé de tenir tête au curé, vers 12 ans, alors qu’il avait « accumulé » cinq attaques à recevoir. “Je vais m’asseoir dans son salon et je me mets à pleurer […] Je lui dis : « Ce qui se passe ici, il faut que ça arrête, sinon je te dénoncerai, soit à mon père, soit à la police. »
“Il a compris mon sérieux et m’a tout de suite dit : “excusez-moi, arrêtons là” […] Les cinq attaques planifiées, il a changé cela en lave-autos.
Une autre victime à entendre
En janvier, le tribunal entendra par anticipation une deuxième victime présumée, celle-ci âgée de 101 ans, pour les mêmes raisons qui l’ont amené à déjà entendre E.
L’archidiocèse de Sherbrooke est le premier au Québec à aller en justice, les autres actions collectives de même nature contre des groupes religieux ayant toutes été réglées à l’amiable.