En , la psychiatrie souffre autant que ses patients

« Si votre mère signe ce papier, nous vous allongerons et vous ligoterons. » Gravée dans la mémoire de Sybille Dequero, cette phrase a été adressée à son fils dès son arrivée aux urgences psychiatriques. « Évidemment, il a eu peur et a voulu rentrer chez lui ! »elle se souvient.

Le fils de Sybille, aujourd’hui âgé de 28 ans, souffre de trouble bipolaire et elle ne manque pas d’histoires sur l’hôpital. Elle raconte la fois où il a été renvoyé chez lui faute de lits psychiatriques. Le lendemain, il a avalé une boîte de pilules pour tenter de mettre fin à ses jours. Ou cette autre crise durant laquelle ils ont voyagé tant bien que mal à travers les hôpitaux de Paris : Sainte-Anne, Bichat, Fernand-Widal, tous étaient pleins.

« L’été est une période que je redoute particulièrement. Parce que je sais qu’il y aura moins de monde à l’hôpitalsouffle celle qui y emmène son fils depuis qu’il a 17 ans. Ce n’est pas un endroit où vous souhaitez emmener votre proche. Ce n’est pas rassurant. »

De plus en plus de patients, de moins en moins de places

L’histoire de ce « soignant », racontée depuis au théâtre, est symptomatique d’un secteur en grande souffrance. Depuis les années 1980, les deux tiers des lits des hôpitaux psychiatriques publics ont été fermés en raison du « virage ambulatoire », la politique visant à réduire le nombre de nuits passées à l’hôpital.

Les séjours sont raccourcis par l’orientation vers d’autres structures, elles-mêmes saturées : en 2023, les délais d’attente pour la moitié des centres médico-psychologiques (CMP) variaient de un à quatre mois pour les adultes et jusqu’à un an pour les enfants. Sybille Dequero et son fils oscillent donc entre hospitalisations d’urgence, trop courtes, et rendez-vous chez des psychiatres libéraux, lorsqu’ils en trouvent.

Dans les années 1980, on comptait 800 000 patients psychiatriques. Aujourd’hui, ils sont 2,8 millions. Par rapport aux places dans les hôpitaux, l’équation devient particulièrement fragile.

Une personne sur quatre est touchée par des troubles psychologiques au cours de sa vie en Europe, un chiffre en constante augmentation

Selon Magali Coldefy, chercheuse spécialisée en psychiatrie à l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes), l’augmentation du nombre de patients s’explique aussi par le fait que : « On franchit plus facilement la porte de l’hôpital qu’avant, par exemple pour les troubles autistiques. Mais la durée des hospitalisations a diminué.». Une personne sur quatre est touchée par des troubles psychologiques au cours de sa vie en Europe, selon l’OMS, un chiffre en constante augmentation.

D’une part, la population vieillit et 14 % des personnes de plus de 60 ans vivent avec un trouble mental. En revanche, la crise du Covid a aggravé le mal-être, notamment chez les jeunes, chez lesquels les troubles ont explosé : en 2023, près d’une lycéenne sur trois aura eu des idées suicidaires, selon Santé publique .

Manque de volonté politique

Le gouvernement semble réagir et multiplie les annonces sur la santé mentale. En 2023, le dispositif « Mon psychiatre » sera mis en place pour permettre le remboursement des consultations libérales pour troubles légers, complété par un numéro vert de prévention du suicide, ainsi que des formations aux premiers secours en santé mentale.

Le 19 octobre, Michel Barnier, alors Premier ministre, avait même annoncé que la santé mentale deviendrait une grande cause nationale pour l’année 2025. Ce label, attribué par exemple au mentorat en 2023 ou au sport en 2024, permet aux associations de diffuser des messages gratuits. sur les chaînes de radio et de télévision publiques, mais ne s’accompagne pas nécessairement d’une augmentation budgétaire.

Le budget alloué à la psychiatrie est en partie absorbé par l’hospitalisation, qui nécessite de plus en plus de moyens

Depuis le début de la pandémie, sept ministres de la Santé se sont succédé, laissant après chaque visite leur lot de déceptions. Le budget alloué à la psychiatrie, premier poste de dépense de la Sécurité sociale avec 24,6 milliards en 2023, est en partie absorbé par l’hospitalisation, qui nécessite de plus en plus de moyens.

En grève en octobre 2024, les hôpitaux publics ont jugé que la hausse de 3,5% du budget proposée dans le projet de loi de finances serait quasiment absorbée par l’inflation et la hausse des cotisations patronales.

Maeva Musso, présidente de l’association des jeunes psychiatres et addictologues (AJPJA), a milité pour la mise en place de cette grande cause nationale. Consciente que cela ne résoudra pas la crise hospitalière, elle estime que cette annonce pourrait au moins lever le tabou sur la santé mentale :

« Les troubles mentaux sont très stigmatisés et la profession aussi. Actuellement, il n’existe pas de politique publique de santé mentale, contrairement à d’autres pays. Cependant, nous devrions avoir une politique beaucoup plus préventive que curative. »

Même constat pour la présidente de l’Union nationale des familles et amis de personnes malades et/ou handicapées mentales (Unafam), Emmanuelle Rémond : « On en a marre d’abattre les murs ! ». Selon elle, la population générale devrait être formée à reconnaître les signaux faibles pour éviter d’aller jusqu’à l’hospitalisation :

« Quand on n’arrive plus à se lever le matin, ou qu’on roule à mille à l’heure, il faut consulter. Il s’agit d’un problème de santé publique. »

La prévention pourrait s’implanter plus en amont, comme dans d’autres pays européens, selon Nöel Pommepuy, responsable du centre de pédopsychiatrie à l’EPS Ville-Evrard en Seine-Saint-Denis : « Par exemple, travailler sur l’empathie dès la maternelle et prévenir le harcèlement, plutôt que d’en guérir une fois qu’il est trop tard. »

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Prévenir plutôt que guérir, le message semble clair pour éviter les hospitalisations. Et lorsque cela s’avère nécessaire, il est possible de réformer la pratique de la psychiatrie hospitalière.

Rendre l’environnement plus attractif pour les patients…

Les premières hospitalisations sont indispensables, car elles signifient souvent le divorce des patients avec la psychiatrie. « Un jeune qui a eu une crise arrive en urgence à l’hôpital, dans un moment brutal, est généralement ligoté. La famille sera très marquée, car le diagnostic est parfois annoncé violemment, parfois pas du tout, faute de - », remarque Noël Pommepuy.

La mère du patient, Sybille Dequero, affirme qu’on ne lui a jamais demandé comment elle allait tout au long du voyage avec son fils : « On n’inclut pas la famille, on se sent exclu, voire coupable. »

Pour le pédopsychiatre, les politiques de la ville devraient aussi investir massivement dans l’accompagnement, dès les premières crises, » sur l’éducation, l’emploi, sur les activités centrées sur le projet de vie, la prise en charge ».

Cette politique volontariste permettrait d’éviter les malades chroniques et les patients errants, et de désengorger les services, tout en garantissant l’observance des soins par les patients. Magali Coldefy, chercheuse à l’Irdes, partage cet avis :

« Reconnaître que le patient peut être un partenaire de soins, lui donner les moyens de gérer son trouble, créer avec lui des directives anticipées à suivre en cas de crise, sont des méthodes qui ont fait leurs preuves. »

Le - disponible des soignants a été drastiquement réduit, compromettant le lien avec le patient dans un métier basé sur le relationnel.

Selon le chercheur, pour les hôpitaux publics, la question porte moins sur le budget que sur le - disponible des soignants. Celui-ci a été drastiquement réduit avec l’application des 35 heures et l’augmentation de la charge administrative pesant sur les fonctionnaires, compromettant le lien avec le patient dans un métier pourtant fortement relationnel.

Elle tempère cependant : « Certains hôpitaux ont plus de personnel et ne sont pas plus performants. C’est aussi et surtout un problème de philosophie du soin. »

Même constat pour Maeva Musso de l’AJPJA, qui livre les premières recommandations issues de l’enquête #choisirpsychiatrie, portant sur l’attractivité du secteur et réalisée auprès de 3 396 professionnels ou futurs professionnels : tendre vers la fin des contraintes et de l’isolement, en évitant la surprescription. des médicaments, centrer les soins autour du rétablissement, du patient et de sa famille… Ces pratiques, couplées à la déstigmatisation de la santé mentale, pourraient à nouveau attirer les soignants dans une zone cruellement désertée.

…comme pour les soignants

Dans les hôpitaux publics, on manque d’orthophonistes, de psychomotriciens, d’infirmières et surtout de psychiatres. En faculté de médecine, la psychiatrie est l’une des spécialités les moins choisies – 67 postes d’internes restaient vacants en 2023. Et les futurs psychiatres, rebutés par les conditions de travail, se dirigent de plus en plus vers le secteur libéral ou vers les cliniques privées, qui gagnent du terrain.

Les cas d’école se succèdent. A l’hôpital psychiatrique Edouard-Toulouse, dans les quartiers nord de Marseille, un médecin est parti durant l’été 2024 et une unité entière fermera en 2025, privant tout un quartier de soins.

Les syndicats dénoncent un “défaut d’assistance à personne en danger” pour la population générale et pour les patients

Les syndicats dénoncent une véritable “défaut d’assistance à personne en danger” pour la population générale et pour les patients, dans des services où l’on peut être “trois soignants pour trente patients”, tandis que le chef de l’établissement déplore la grande difficulté de recruter des médecins.

En Ariège, département rural particulièrement touché par les déserts médicaux, le seul hôpital psychiatrique fonctionne en sous-effectif depuis plusieurs années. Mais la promulgation de la loi RIST de mai 2023, qui encadre le salaire des intérimaires du secteur public, a précipité le départ vers le privé de plus de la moitié de l’équipe, pour la plupart embauchées en intérim, sortant des urgences psychiatriques. exsangue.

Pour Noël Pommepuy, ces désertions relèvent aussi d’un « crise de la fonction publique » résultant de choix politiques. Il ne manque pas non plus d’idées « courageuses » pour résoudre cette crise de la psychiatrie. Par exemple, nationaliser l’intérim avec un pool de médecins et un salaire plafonné, créer un métier intermédiaire entre le psychiatre et l’infirmier, revaloriser les grilles salariales, ou encore instaurer une obligation de soins en dernière année de psychologie.

Pour les associations de jeunes psychiatres AJPJA, Affep et ANEMF, l’enjeu est de « changer notre façon de penser les soins [en faveur d’] une psychiatrie moderne, humaniste, progressiste, courageuse et remettant en question. Une psychiatrie plus humaine qui redonnerait envie aux jeunes médecins de s’impliquer, aux patients et à leurs familles d’être soutenus, et à la population d’être en meilleure santé.

Numéros d’urgence
Souffrance Prévention du suicide : 3114
SOS Amitié: 09 72 39 40 50
Obtenez : 15
Violences numériques, cyberharcèlement : 3018 (application disponible)

 
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