Combattre la corruption, c’est aussi la condamner fermement. C’est pourquoi l’Agence française anticorruption (Afa) publie, ce lundi 9 décembre, un rapport – que le JDD a pu consulter – sur les 504 décisions de justice rendues pour des affaires d’atteinte à la probité entre 2021 et 2022. Parmi eux, certains concernent des affaires de trafic d’influence, de détournement de biens publics, de favoritisme, de prise illégale d’intérêts, d’extorsion, dont 30% impliquant des agents publics, etc. Et 141 au sens strict. relèvent du délit de corruption.
Sur ces dossiers, le rapport note 77,9% de condamnations par la justice, un taux d’emprisonnement de 37% avec une durée moyenne d’incarcération de 17,5 mois. Par ailleurs, 11,6 % des personnes reconnues coupables de corruption se voient interdire l’exercice de fonctions publiques. Si l’Île-de-France, l’Occitanie et la Corse sont aujourd’hui les régions les plus touchées, le phénomène inquiète désormais sur tout le territoire.
Un énorme problème
Il y a sept mois, les magistrats marseillais alertaient déjà les sénateurs sur la « corruption de faible intensité » dans le pays. Depuis, le ministre de l’Intérieur démissionnaire Bruno Retailleau a lui-même évoqué ce problème majeur, exprimant son inquiétude face à un pays en voie de mexicanisation. “ Ne minimisons pas un problème déjà bien trop massif »» a décidé Isabelle Jégouzo, la directrice de l’Afa, lundi lors d’une conférence consacrée au sujet, organisée par son agence et l’École nationale de la magistrature (ENM), au ministère de l’Économie.
Parmi les intervenants figuraient le chef de l’Office anti-stupéfiants, le procureur de Paris, les chefs des inspections générales de la police nationale (IGPN) et de la gendarmerie nationale (IGGN) ainsi que le directeur des affaires criminelles et des grâces. Un spectre de compétences qui révèle que personne n’est épargné par ce risque : les dossiers concernent désormais des commis, des gendarmes, des douaniers, des policiers, des agents préfectoraux ou encore des magistrats. « Suis-je moi-même attentif aux assistants que nous recrutons, aux intérimaires ou aux contractuels ? » » a demandé Laure Beccuau, la procureure de Paris, qui dirige la très sensible Juridiction nationale de lutte contre la délinquance organisée (Junalco). Une manière d’appeler chacun à l’introspection et à une vigilance maximale.
A l’issue de la conférence, deux priorités semblent émerger. La première : mettre fin rapidement aux consultations frauduleuses des dossiers de police, un phénomène décrit par le chef par intérim de l’Office anti-stupéfiants (Ofast) Christian de Rocquigny comme « en croissance bien qu’impossible à quantifier ». Concrètement, ces consultations offrent des outils précieux aux malfaiteurs : connaître la date d’une perquisition, savoir si vous êtes sur des dossiers de renseignement ou encore obtenir des informations sur un concurrent afin de le liquider… Le tout pour des coûts relativement modestes, évalués par Ofast entre une cinquantaine et plusieurs. centaines d’euros selon la sensibilité de l’information.
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-Juges ou flics
A l’inverse, les instruments de contrôle sont limités : « Tout agent peut accéder au traitement des casiers judiciaires (Taj) à l’aide d’un simple téléphone multifonction »détaille Jean-Michel Gentil, magistrat à la tête de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN). C’est pourquoi la technologie est appelée à l’accompagner, notamment à travers un projet d’algorithme permettant d’identifier et de notifier toute consultation injustifiée d’un dossier. Évidemment, le fait de « Flick les flics » est toujours accueilli froidement par la police, agacée d’être constamment soupçonnée. « Avant de nous imposer un nouveau Big Brother administratif, il existe peut-être d’autres solutions plus simples, comme relever le niveau de recrutement par exemple… » murmure un agent parisien.
Deuxième priorité : sécuriser les ports, principal vivier de la corruption en France et première porte d’entrée de la cocaïne. « Aujourd’hui, un badge d’accès aux conteneurs au port du Havre peut se vendre jusqu’à 100 000 euros »a illustré Didier Migaud, le garde des Sceaux démissionnaire, en préambule de la conférence. Yann Philippe, de l’Afa, a rappelé que les grands ports français sont gérés par des acteurs privés, “très approché par le crime organisé”. L’occasion pour lui de plaider pour un « investissement massif dans la sécurité portuaire avec suivi systématique des badges » et une politique de reporting simplifiée.
« Il faut inciter les agents portuaires à signaler systématiquement tout comportement qui ne leur semble pas logique »a conclu le responsable. Un autre point a été abordé : l’encadrement des relations entre enquêteurs et informateurs. Comment empêcher un enquêteur d’être « retour “ par sa Source ? Les magistrats ont recommandé de bloquer légalement les enquêtes. À l’image d’un protocole qui existe au sein de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED). À la suite d’un scandale de corruption impliquant des enquêteurs de la DNRED et un informateur serbe en 2015, Bercy a nommé il y a deux ans la magistrate Alice Chérif à la tête du contrôle interne de la structure. Pourrait-on importer le même système dans la police et la gendarmerie, dont les inspections générales sont déjà sous la houlette des magistrats ?
Un enquêteur s’énerve : « Nous travaillons déjà sous le contrôle d’un magistrat dans une enquête, faut-il le noter. Mais ma question est ailleurs : pourquoi un magistrat aurait-il en principe plus d’intégrité qu’un policier ou un gendarme ? S’il s’agit simplement de placer quelqu’un de l’extérieur de la maison, comme lorsqu’un magistrat est placé à la tête de l’IGPN ou de l’IGGN ; pourquoi ne pas, à l’inverse, placer un policier à la tête de l’inspection générale des services judiciaires ? »Tout le monde est d’accord pour lutter contre la corruption. Reste à savoir comment. En octobre dernier, le député Olivier Marleix a déposé une proposition de loi visant spécifiquement à renforcer la lutte contre la corruption. À suivre.
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