À Paris, le campus Louis Braille est dédié à la recherche et à l’innovation dans le domaine de la déficience visuelle. Thibaut de Martimprey, cheville ouvrière du projet, explique l’ambition de ce centre d’excellence inauguré mardi 3 décembre 2024 dans le quartier Duroc, à Paris.
Comment est née l’idée de ce campus ?
« Dans le domaine de la déficience visuelle, nous sommes souvent assaillis par des start-up, des chercheurs ou des étudiants qui veulent révolutionner la vie des aveugles grâce aux nouvelles technologies.
« C’est super, mais on est un peu débordés et on a du mal à savoir quelles idées sont bonnes ou pas. Du coup, on finit par ne répondre à personne, ce qui est dommage. L’idée de ce campus est de créer un centre d’innovation et de recherche d’envergure européenne dans le domaine de la déficience visuelle pour pouvoir identifier, comme une sorte de labellisation, les innovations vraiment prometteuses et les développer. »
Ce campus est situé au cœur de Paris. Pour quoi ?
« Nous nous appuyons sur un campus historiquement situé autour du quartier Duroc à Paris. Depuis près de 200 ans, des associations et l’Institut national des jeunes aveugles (Inja) sont installés au même endroit.
« C’est un atout pour rapprocher les gens, les faire dialoguer, réseauter et tester avec les usagers puisqu’environ 400 personnes malvoyantes traversent chaque jour le quartier. En France, nous disposons aujourd’hui également de huit structures dédiées au handicap visuel dont les responsables se parlent et développent ensemble des produits. Les planètes sont alignées. »
Le nom de Louis Braille est-il ressorti ?
« Il a inventé le code Braille qui est utilisé aujourd’hui par des millions de personnes malvoyantes dans le monde et qui est totalement universel. Il était parisien et habitait le quartier Duroc au milieu du XIXèmee siècle. Il y a aussi l’image de Louis Braille en émancipateur. Il avait perdu la vue à l’âge de six ans et n’était pas satisfait de ce qu’on lui confiait.
« Il a inventé quelque chose de bien plus efficace, le code qu’on connaît aujourd’hui et qu’on retrouve sur les boîtes à médicaments, dans les ascenseurs, etc. Et partout dans le monde. »
L’objectif premier est-il la recherche ?
« Il y a trois axes. Premièrement, la recherche fondamentale avec les universitaires et les laboratoires. Le deuxième, ce sont les sciences avec les start-up, la Banque publique d’investissement (BPI), Business France pour la valorisation et le business avec des produits à mettre sur le marché avec des enjeux d’export. Et enfin, la formation car nous souhaitons positionner le campus Louis Braille comme un lieu d’expertise à rayonnement européen et nous appuyer sur le savoir-faire unique des structures du quartier. »
Avec un besoin de s’ouvrir à l’étranger ?
«C’est un sujet de spécialité. Si on se limite au seul territoire français et ses deux millions de personnes handicapées et que vous créez une start-up, vous aurez du mal à trouver des clients. Au niveau européen, on compte douze millions de personnes malvoyantes. »
Quelles sont les priorités ?
« En France depuis quinze ans, il y a beaucoup de travaux sur la recherche médicale, les maladies oculaires, les dispositifs bioniques… L’Institut de la Vision compte trois cents chercheurs. Il est reconnu internationalement pour son excellence.
« Les campus se complèteront dans le domaine de l’innovation. Ce n’est pas un hôpital, ni un organisme de bienfaisance. Nous investirons dans la sociologie, les sciences du langage, la pédagogie et les sciences de l’informatique, de l’intelligence artificielle et de la robotique. »
Qu’est-ce qui peut aider dans la vie de tous les jours ?
« Etant moi-même aveugle, je peux témoigner qu’il existe de nombreuses solutions qui me permettent de faire des choses que je ne pourrais pas faire il y a dix ans. Cela va extrêmement vite. Détection d’images, détection de couleurs, description d’images, description vidéo… Une application baptisée Be my eye (be my eye) met en relation personnes malvoyantes et bénévoles. Grâce à la caméra de mon téléphone, ils peuvent m’aider à retrouver le numéro d’une porte sur un interphone, régler la température de mon four, etc.
« C’est une application danoise créée il y a dix ans et qui est pour moi l’innovation la plus emblématique. Il vous permet d’obtenir de l’aide lorsque vous en avez besoin auprès d’une personne qui parle votre langue. Ils comptent 800 000 personnes malvoyantes recensées dans le monde pour 7 millions de bénévoles. Ce n’est pas quelque chose de bricolé dans un garage, ça aide les gens. Le fondateur est venu à Paris pour l’inauguration. Une manière également de montrer la portée européenne du projet. Mais il n’est pas nécessaire d’être obsédé par la technologie. »
Ce campus est-il aussi un moyen de sensibiliser un public plus large ?
” Complètement. On l’imagine évidemment accessible aux malvoyants, que c’est un terrain d’expérimentation comme une sorte de laboratoire à ciel ouvert. On aura envie de tester toutes les dernières innovations dans la rue, dans le quartier, dans les immeubles… Mais aussi dans le métro puisqu’il y a une station Duroc qui sera une station pilote.
« Nous prévoyons d’ouvrir le campus sur le quartier. Déjà, le jardin de l’Institut national des jeunes aveugles est ouvert au public les week-ends et pendant les vacances scolaires. Nous aimerions y installer un café communautaire. Le lieu est un endroit magnifique à Paris et nous aimerions y faire des événements. J’adorerais qu’on puisse aussi proposer aux entreprises et au grand public des expériences de dégustation dans le noir, de sensibilisation aux chiens-guides, etc. C’est une vitrine de valeur. »
Quatre associations et instituts partenaires
Le collectif fondateur du campus Louis Braille est soutenu par l’Institut national des jeunes aveugles (Inja), l’association Valentin Haüy, l’apiDV (soutenir, promouvoir, intégrer les malvoyants) et Voir Ensemble.
Ce sont autant de ramifications régionales, partout en France qui pourront accompagner l’avancée du campus Louis Braille.