Pluie de couleurs sur Cherbourg-Octeville de Pauline Courtois – .

Pluie de couleurs sur Cherbourg-Octeville de Pauline Courtois – .
Pluie de couleurs sur Cherbourg-Octeville de Pauline Courtois – .

Il n’est pas facile pour moi de parler des Parapluies de Cherbourg en toute objectivité. C’est le genre de film qui soit vous marque durablement, soit vous laisse complètement froid. Dans les deux cas, on ressent des émotions qui nous envahissent complètement, à tel point qu’il devient compliqué d’être purement objectif sur ce film. Ce film m’a tellement marqué qu’il a réussi à changer ma vision de certains codes cinématographiques.

Les Parapluies de Cherbourg raconte l’histoire de Geneviève, une jeune fille de 16 ans qui tombe amoureuse de Guy, un mécanicien incarné par le beau Nino Castelnuovo. Alors qu’ils vivent le grand amour et planifient leur vie sur trois générations avec enfants, mariage et maison, Guy doit partir deux ans en Algérie où la guerre fait rage…

Le scénario n’a rien d’extraordinaire, c’est même le scénario typique d’une comédie romantique classique sauf que tout est parfaitement écrit et exécuté, des dialogues à l’écriture des personnages qui ont tous leurs caractéristiques propres et une évolution intéressante (Le gars qui revient d’Algérie blessé et complètement changé, le dilemme moral de Geneviève etc.).

Le travail des dialogues et de la musique est absolument remarquable. C’est un film « en chanté », c’est-à-dire que les personnages chantent les dialogues et que la musique elle-même est en accord avec les dialogues. La superbe musique de Legrand répondra aussi constamment à ce que disent les personnages.

La musique, personnage principal du film, est prodigieuse. Legrand travaille chaque situation à la perfection et la bande-son culte reste dans nos têtes et nous suit longtemps après la fin du film. L’éclectisme des différents genres musicaux est également frappant, c’est du jazz, c’est du symphonique, c’est dansant, c’est larmoyant, c’est tragique, tout est exploré par le compositeur afin de retranscrire parfaitement chaque séquence mise en scène par Demy.

La finesse du travail des costumes, mais aussi des décors est également frappante. Chaque costume est lié à un décor et ils représentent pour chacun des émotions, des sentiments et des moments de vie des personnages. Par exemple, Guy porte un pull et une chemise bleue lorsqu’il est avec Geneviève au début du film, mais il porte un costume marron par-dessus cette chemise bleue lorsqu’il est à la gare et qu’il part pour l’Algérie. Ce costume, plus sombre, représente la douleur qu’il ressent en partant, un costume qu’il porte par-dessus cette chemise colorée qui la représente, la joie et l’amour qu’il a pour Geneviève. De même, la mère porte un costume rouge et représente l’autorité. Le même travail est fait sur les coiffures : Geneviève a les cheveux longs au début du film lorsqu’elle est avec Guy et dès qu’il s’absente elle a les cheveux attachés en queue-de-cheval basse, qui entoure et enserre son visage, signe qu’elle est malheureuse et étouffée par ce dilemme auquel elle doit faire face pendant la 2e partie du film.

Globalement, l’abondance de couleurs dans ce film, liée à la touche artistique de Jacques Demy, sont significatives à la fois de l’irréalisme du film où tous les personnages parlent en chantant, ce qui donne un côté presque fantaisiste et onirique ; mais ces couleurs expriment aussi les émotions des personnages.

Film majeur de la Nouvelle Vague, Les Parapluies de Cherbourg (et plus largement la filmographie du génial Jacques Demy) a inspiré de nombreux réalisateurs dont Damien Chazelle. En revoyant Les Parapluies de Cherbourg, je n’ai pas pu m’empêcher de voir les nombreuses références au film de Demy que Chazelle a glissées dans La La Land. Des décors aux costumes, en passant par le scénario et la musique, le réalisateur a voulu montrer d’où il venait et quelles étaient ses références.

Comme il le disait lui-même lors de la promotion de La La Land, Chazelle a toujours voulu faire une comédie musicale qui se déroulerait dans la vie de tous les jours, dans la rue, dans la vie des gens, comme en témoigne la scène d’intro du film où les gens chantent dans les embouteillages. Alors oui, dans La La Land on a des séquences qui se déroulent dans le quotidien de tout le monde mais qui restent à l’américaine, spectaculaires avec des mouvements de caméra complètement fous, ce qui n’est pas le cas de Demy qui nous propose des moments beaucoup plus intimistes, sans en faire trop. Pourtant, la référence est là, on chante dans les embouteillages, quand on se douche, dans les toilettes d’un bar, etc.

La façon dont Chazelle a travaillé les costumes est la même que Demy dans Les Parapluies de Cherbourg, comme en témoignent les robes très colorées que porte Mia et qui changent de couleur en fonction des saisons et de ses émotions, les costumes de Sebastian, etc. Concernant les décors, la plus grande référence au film de Demy dans La La Land se trouve dans la séquence finale où Sebastian joue au Caveau de la Huchette à Paris, un décor de studio entièrement rouge qui fait référence au club de danse où se rendent Geneviève et Guy dans Les Parapluies de Cherbourg.

La bande originale de Justin Hurwitz (déjà culte) rend hommage aux thèmes du film de Demy puisqu’elle est composée de jazz mais aussi de musique plus orchestrale (même si Hurwitz a son propre style bien sûr mais on sent dans ses compositions qu’il est un grand fan de Legrand).

Mais ce qui m’a le plus marqué, c’est la fin du film. Dans Les Parapluies de Cherbourg, (spoilers modifiés) Geneviève et Guy se rencontrent par hasard dans la station-service de ce dernier après ne pas s’être vus depuis des années, ils échangent simplement quelques mots de politesse puis LA FIN, RIDEAU, LES LARMES. Pas de happy end, les deux amoureux ne se retrouvent pas après que leurs chemins se soient séparés pendant longtemps, ils ont juste refait leur vie chacun de leur côté. Une vie certes assez morose de ce qu’on comprend puisque le véritable amour, la passion, c’est ce qu’ils ont eu ensemble mais en tout cas, ils restent dans leur vie bien rangée. Car c’est ça la vie. Demy l’a compris et l’a transmis de la plus belle des manières. On comprend qu’on n’est pas face à une comédie musicale qui va vous mentir et vous mettre des paillettes dans les yeux parce que vous aussi vous rencontrerez un jour votre prince charmant, votre Mark Darcy ; non ! Demy jette tout ça à la poubelle et vous montre comment les choses se passent vraiment. On ne finit pas forcément sa vie avec son amour d’enfance, on ne reste pas toujours avec le père de son enfant et même si on pensait que c’était le véritable amour, on vit alors autre chose, qui n’est pas la passion de jeunesse mais qui peut être beaucoup plus agréable, adulte et mature.

Chazelle a repris l’idée de cette fin extraordinaire dans La La Land, lui qui dit « qu’il n’aime pas les films où les deux amoureux finissent ensemble à la fin, car ce qui est le plus tragique et le plus beau, c’est quand ils ne finissent pas ensemble ». Et c’est exactement ce qui arrive à Mia et Sebastian. Leurs chemins se séparent, l’un ouvre son club de jazz, l’autre devient une star de cinéma, tous deux vivent leur rêve mais ils ne sont plus ensemble, et lorsqu’ils se retrouvent après des années sans s’être vus, ils se saluent poliment, se sourient et reprennent leur vie. C’est ainsi que Chazelle a exprimé tout son amour pour Demy, son cinéma, sa folie et ce film Les Parapluies de Cherbourg, un immense classique du cinéma.

Je ne peux que vous conseiller de voir Les Parapluies de Cherbourg, ne serait-ce que pour l’importance qu’a eu Demy dans l’histoire du cinéma, ne serait-ce que pour le fait qu’il a toujours cassé les codes et fait les choses comme il le voulait. Aussi parce que ce film est beau, percutant, touchant, irréel et vrai à la fois.

 
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