Dans « Lacrima », Caroline Guiela Nguyen lève le voile sur les petites mains de la haute couture.

Dans « Lacrima », Caroline Guiela Nguyen lève le voile sur les petites mains de la haute couture.
Dans « Lacrima », Caroline Guiela Nguyen lève le voile sur les petites mains de la haute couture.

Parmi les talents de Caroline Guiela Nguyen, directrice du Théâtre National de Strasbourg, le plus important est celui de nous ouvrir les yeux sur l’intimité des personnages de ses pièces, dans des univers qui s’opposent les uns aux autres. Saïgon, choc de l’édition 2017 du Festival d’Avignon, la douleur de la colonisation et de l’exil a éclaté dans toute sa violence entre les murs d’un restaurant vietnamien. Fraternité, conte fantastique, nous avons été pris dans les effets d’une mystérieuse catastrophe engloutissant une partie de l’humanité, laissant l’autre dans la détresse de la perte et dans la peur de l’oubli. Larme, que Caroline Guiela Nguyen signe et réalise, nous déambulons plutôt dans un drame social, dans la mémoire ouvrière du monde opaque de la haute couture.

Sur une scène hautement technique installée dans le gymnase du lycée Aubanel, avec des écrans, des interventions de personnages du bout du monde (Australie, Inde), une émission de radio en direct, nous sommes dans une géographie en mouvement qui nous emmène de Paris à Alençon en passant par Mumbai, sans oublier Londres d’où surgit un ordre qui va venir faire exploser tous les équilibres, toutes les ambitions, tous les chemins de vie.

C’est à la Maison Beliana que la princesse du Royaume-Uni s’adresse pour une robe de mariée qui se doit d’être exceptionnelle, à l’image de celles portées avant elle par Elizabeth en 1947, Lady Di en 1981 ou Kate Middleton en 2011. Destinée à marquer une époque autant qu’à se conformer à un strict protocole princier, cette robe devient l’objet d’enjeux internationaux qui, une fois passé le plaisir d’avoir été choisie, installent une pression incontournable, des rythmes de travail inhumains, des injonctions paradoxales intenables (délais raccourci mais conditions de travail à améliorer), des décisions injustes à prendre, des négociations impossibles avec les fournisseurs partenaires. Le tout dans un culte obsessionnel du secret qui tend encore la situation : les archives de la confection de la robe ne seront accessibles que cent ans plus tard, ajoutant un de ces mauvais stress qui poussent les gens à s’entre-déchirer.

Un aspect documentaire

Avec autant de finesse que de minutie, Caroline Guiela Nguyen compose une partition qui offre son temps de lumière à chaque instrument, les personnages dévoilant tous une part d’intimité, de fragilité jusqu’à l’irréparable pour certains. Acteurs professionnels et amateurs (qui incarnent plusieurs rôles) donnent à l’ensemble une architecture puissante, la force des uns ne diminuant en rien l’authenticité et la présence bouleversante des autres. On pense au personnage de Thérèse, magistralement interprété, qui a passé sa vie à faire de la dentelle dans les ateliers d’Alençon, et dont le roman familial a effacé la réalité d’une sœur morte très jeune. Aller aux sources de ce mystère intime peut aider à démêler le destin compliqué qui attend aujourd’hui Rosalie, sa petite-fille. Impossible d’oublier Marion, la cheffe d’atelier qui peine à échapper à l’emprise de son mari violent, employé de l’atelier. Avec leur fille stagiaire et sa belle-mère, ils forment un quatuor sensible qui se disloque, notamment sous l’effet d’une dispute conjugale un peu longue.

Le volet documentaire social est particulièrement bien géré, montrant les conséquences sur le corps des ouvriers de ces heures passées à broder des perles, un système pyramidal enfermé dans des conventions obsolètes, une hiérarchie exaltée coupée de la base… On assiste à cette course vers la catastrophe, tenu en éveil par les rebondissements du récit et les trouvailles de la mise en scène, autant que par la direction impeccable des acteurs. Bien gérés aussi sont les apartés, rendus possibles par une grande scène compartimentée et modulable, qui clôturent l’action sur l’un des personnages pour lequel l’empathie est instinctive. On aime toujours ce découpage très sériel, définitivement addictif, qui donne rythme et souffle à une histoire dans laquelle le suspense joue finalement le rôle principal et dans laquelle le spectateur s’implique.

« Lacrima », ce mardi 2 juillet à 17h et jusqu’au 11 juillet au Festival d’Avignon. 04 90 14 14 14. festival-avignon.com

 
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