la photographie au-delà des apparences – .

Parmi les grands rendez-vous culturels de l’été, les Rencontres de la photographie d’Arles, dont la 55e édition s’est ouverte lundi 1er juillet dans la cité provençale, occupent une place particulière, selon la ministre de la Culture, dans le cœur des « passionné de photographie « Le millésime 2024, avec 35 expositions réparties sur 19 lieux, sur lequel soufflera, selon Christoph Wiesner, son directeur, » un grand vent japonais » – pas moins de cinq expositions sont consacrées aux artistes japonais, dont une grande rétrospective sur la photographie japonaise des années 1950 à nos jours – ne déroge pas à la règle. Intitulée « Under the Surface », cette édition propose un voyage passionnant : scruter l’insondable sous l’apparence des choses.

Les Rencontres d’Arles, c’est aussi un festival qui pousse toujours plus loin l’exemplarité sociétale et pédagogique. En témoignent ses propositions en matière d’éducation à l’image – la prolongation des Rencontres jusqu’au 29 septembre permettra cette année un meilleur déploiement de « La Rentrée en images », le programme destiné aux collégiens et lycéens – mais aussi de responsabilité sociale : embauche des Arlésiens les plus éloignés de l’emploi pour les postes liés à l’accueil du public, éco-conception des expositions.

Focus sur trois femmes photographes qui marqueront chacune, à leur manière, cette édition des Rencontres d’Arles : Sophie Calle, Coline Jourdan et Ishiuchi Miyako. Cette dernière, lauréate cette année du prix « Femmes en mouvement », a inspiré le titre de cette édition : « Prendre une photoelle dit, Il s’agit de mesurer la distance qui nous sépare du sujet et de rendre visible les choses invisibles qui se cachent sous la surface. ».

Ishiuchi Miyako ou le goût doux-amer des souvenirs

Ishiuchi Miyako. Mother’s #35, série Mother’s. Avec l’aimable autorisation de l’artiste / The Third

« Parce que les choses et l’être dialoguent beaucoup ” Ce verset de Contemplations de Victor Hugo, qui figurait en épigraphe de la belle exposition consacrée l’an dernier par le musée du Louvre aux « Choses, une histoire de la nature morte », vient spontanément à l’esprit en découvrant les images réunies par Ishiuchi Miyako sous le titre de AffairesLa grande photographe japonaise, qui a débuté sa carrière en 1977 en documentant sa ville natale de Yokosuka et dont le travail a été récompensé par le prestigieux prix Hasselblad en 2014, a créé une œuvre fascinante dans laquelle elle raconte, entre préoccupations intimes et résonances multiples, des histoires fascinantes d’objets.

C’est par exemple La mèreprésentée au Pavillon japonais de la Biennale de Venise en 2005, qui montre des objets hérités après la mort de sa mère. Hiroshimasérie qu’elle a commencée en 2017, la photographe confronte l’histoire en mettant en scène des vêtements, chaussures et autres accessoires ayant appartenu aux victimes du bombardement atomique survenu le 6 août 1945 et aujourd’hui conservés dans les collections du Musée du Mémorial de la Paix d’Hiroshima. Enfin, avec Fridale photographe immortalise les vêtements et effets personnels de l’artiste mexicaine Frida Kahlo conservés intacts dans sa salle de bain depuis cinquante ans.

Ishiuchi Miyako, par une sorte de tour de passe-passe, sait faire jaillir la vie, une vie intense, vibrante, de ces objets inanimés. À travers eux – une paire de gants portant la trace des mains qui les ont portés, un rouge à lèvres enveloppé de sensualité et de mystère – c’est comme si leurs propriétaires se manifestaient à nouveau dans le monde des vivants. Je ne m’entendais pas très bien avec ma mère quand elle était en vie, mais en photographiant ses affaires, il me semblait que la distance entre nous se réduisait peu à peu, chacune des choses qui touchaient directement ma mère était comme une partie de sa peau, et je ressentais par procuration ces parties de son corps, je documentais le pathétique de la chemise sans épaules auxquelles s’accrocher, du dentier sans bouche dans laquelle se glisser, du rouge à lèvres sans lèvres à orner, des chaussures sans pieds à occuper. Je n’avais jamais pensé au corps de ma mère, et maintenant je le découvrais en détail, grâce à la photographie », a expliqué Ishiuchi Miyako.

Dans Histoire mondiale des femmes photographes (éditions Textuel, sous la direction de Luce Lebart et Marie Robert), Lena Fritsch, commissaire de l’exposition, constate que « photographie poétique » Miyako Ishiuchi « parle des gens, de leur condition mortelle et du goût doux-amer des souvenirs « On ne peut pas mieux dire.

Finir en beauté chez Sophie Calle

Sophie Calle a toujours su gérer ses effets. L’automne dernier, l’artiste a investi, avec C’est à toi de décider, ma chère.les quatre étages du musée Picasso pour une célébration très personnelle du cinquantième anniversaire de la mort du peintre. Dans une continuité qui porte sa marque, c’est avec une série qu’elle destinait au musée parisien qu’elle s’apprête à faire l’événement à Arles.

Jugez par vous-même : les œuvres présentées dans son nouveau projet, Pour finir en beautéinvestira les cryptoportiques – les anciennes fondations du forum romain situées sous l’hôtel de ville d’Arles –, un lieu magique mais dont l’humidité pose un défi presque insurmontable pour la conservation des œuvres. Parmi d’autres exemples, les cadres en bois de l’exposition présentée l’an dernier par la photographe Juliette Agnel ont été endommagés par des champignons. La suite est racontée par Christoph Wiesner. Quand Sophie Calle m’a dit qu’elle avait un projet pour cet endroit, j’ai été un peu interloquée. “, se souvient le directeur des Rencontres d’Arles. Pourtant, lorsque l’artiste lui a expliqué son projet avec une de ses séries, Les aveuglesendommagées par l’humidité dans ses réserves, tout devient plus clair : plutôt que de les détruire, elle veut les offrir » une belle fin « . » Pour finir en beauté – le titre de l’exposition à découvrir jusqu’au 29 septembre – c’est ce qui se passera cette année dans les cryptoportiques ».

Finir en beauté donc, continuer inlassablement par la création à apprivoiser la mort, à affronter la finitude, est bien l’un des grands thèmes de l’artiste. Qui ne se souvient pas de son travail photographique sur les cimetières, mais aussi de ces séquences où elle filme sa mère mourante ou le caveau du cimetière du Montparnasse qu’elle doit déplacer ? Entre autofiction et distanciation, ces œuvres témoignent de l’importance de leur finitude, de leur disparition. C’est donc en toute cohérence qu’elle a imaginé enterrer dans ces cryptoportiques arlésiens ses « morts ». aveugle ». « Pour qu’ils finissent de se décomposer et que leurs mots, qui ne parlent que de beauté, s’enfoncent dans les fondations de la ville. « Sophie Calle a organisé pour eux – mais aussi pour d’autres objets, pour d’autres effets, auxquels pourriture » qui a sélectionné ses victimes ” s’est attaquée à la plus belle des cérémonies. On retrouvera ainsi des bouquets de fleurs séchées, des photographies de tombes, la photo du matelas de l’artiste sur lequel un homme s’est immolé, des tableaux qui déclinent le dernier mot de sa mère. ” Puisque j’allais offrir une seconde mort à mes œuvres mourantes, j’ai aussi invité des choses de ma vie qui ne servent plus à rien mais que je ne peux ni donner ni jeter. ».

Toxicité invisible mais bien réelle chez Coline Jourdan

Au premier abord, les photographies de Coline Jourdan apparaissent comme des points de vue sur des paysages somptueux. Ici, c’est une vue du village de Lastours, dans l’Aude, imitant les canons de la carte postale. Là, une récolte de châtaignes sur laquelle s’imprime d’emblée un imaginaire bucolique. Ailleurs, on est invité à découvrir la végétation luxuriante du site de Malabau. Au premier abord seulement, car rien n’indique que le sol soit en fait saturé de résidus miniers. Le résultat, selon la jeune photographe, diplômée en 2017 de l’École nationale supérieure d’art de Dijon, « un écart qui sépare l’espace physique de celui de la représentation mentale ».

Un écart qui Soulever la poussièrel’une des sept expositions présentées dans le cadre du Prix Découverte commissarié par Audrey Illouz, l’illustre brillamment. Dans ce projet débuté en 2020, la photographe explore le territoire de l’ancienne mine d’or et d’arsenic de Salsigne, près de Carcassonne, un site industriel autrefois prospère, dont la fermeture il y a vingt ans a laissé son environnement, passé inaperçu, profondément marqué par des années d’extraction. Et pour cause, l’arsenic de Salsigne servait notamment à produire des défoliants – le fameux « agent orange » de triste mémoire : le napalm – répandu par l’armée américaine pendant la guerre du Vietnam sur les champs et les forêts…

« Pour mieux déceler les indices de cette réalité complexe à appréhender et de cette catastrophe annoncée, l’artiste déploie différentes manières d’aborder le territoire et emprunte à différents registres (approche documentaire, photographie expérimentale, photographie scientifique, archives, etc.)explique Audrey Illouz. Elle photographie les gestes et les outils des scientifiques qu’elle accompagne lors des campagnes de prélèvements. Elle photographie des roches arseniées sur fond noir qui semblent prêtes à intégrer les collections d’un musée d’histoire naturelle. Elle développe certaines images dans l’eau des rivières avoisinantes comme pour mieux révéler ces séquelles invisibles. « Un projet qui, dans le cadre du Prix Découverte, s’enrichit de portraits, de natures mortes et de paysages. Et qui s’annonce d’autant plus passionnant qu’il s’agit d’une formidable réflexion sur le médium photographique : » Avant de prendre conscience des problèmes écologiques de notre mondeunderlines Coline Jourdan, J’ai été en effet fasciné par les mécanismes de révélation de la photographie, par l’image de ces naissances artificielles, résultant de réactions chimiques. La chimie m’apparaissait alors comme un pharmakhon : un poison destructeur contenant en lui-même les moyens d’une remédiation, d’une transformation positive de la matière. ».

 
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