Manque de services publics, médiatisation des peurs, perte de repères, rejet du pouvoir en place… Voilà de quoi provient le vote RN. Un phénomène largement prévisible, selon les élus locaux qui avouent leur impuissance. « Les électeurs ne se soucient pas du visage de leur futur député. Ils veulent Bardella, c’est tout. »
Le nord de la Haute-Vienne. Un territoire rural, économiquement déprimé, longtemps considéré comme un objet de curiosité… Il y a à peine dix ans, c’est ici, dans des communes microscopiques, qu’apparaissait un phénomène étrange : le vote FN. Une énigme pour les observateurs de l’époque qui tentent depuis longtemps de comprendre pourquoi, dans ce territoire reculé où « l’immigration » n’existait que sur les écrans de télévision, l’extrême droite exerçait une telle attraction.
Une tache d’encre sur du papier buvard
Aujourd’hui, le phénomène s’est répandu sur la carte de la Haute-Vienne comme une tache d’encre sur un buvard. Au point de ne plus surprendre le maire de Bellac, de gauche diverse, où 40% des électeurs ont choisi le RN dimanche.
« C’est forcément inquiétant », admet Claude Peyronnet.
Il y a du racisme, on ne peut pas le nier. Mais il y a aussi un fort sentiment d’abandon.
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Depuis trente ans, les communes ont vu disparaître tous leurs services publics. A Bellac, on a perdu EDF, France Télécom, la Direction des impôts, la Direction départementale des territoires… 300 emplois de fonctionnaires qui n’ont pas été remplacés. Le taux de pauvreté atteint 24 %.
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« Cela couvait depuis longtemps. »
Dans le sud du département, le score de l’extrême droite n’étonne pas davantage le maire PS de Saint-Yrieix-la-Perche, même si le phénomène y est plus récent. Ici, le RN cartonne à 38 %. « Cela couvait depuis longtemps », assure Daniel Boisserie, qui ne cache pas non plus son impuissance. « Cela fait des années qu’on essaie de l’empêcher, mais tous les gouvernements successifs sont restés sourds. »
Le maire de la ville d’Arédia admet une pointe de xénophobie ambiante. Mais à peine.
« Les gens qui votent RN ne sont pas tous des fascistes. Ils en ont marre de ne pas pouvoir trouver de médecin ou de dentiste et il y a un fort sentiment de rejet de la Macronie. Alors ils tentent ce qu’ils n’ont jamais tenté. Ils se fichent du visage de leur futur député. Ils veulent Bardella, c’est tout. »
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« Le Covid a fait beaucoup de mal »
Cette fois-ci à l’ouest, à Oradour-sur-Glane, 40% des électeurs de la ville nouvelle proche de la cité martyre ont voté pour le Rassemblement national. Le maire Philippe Lacroix (sans parti) semble résigné.
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« Les deux candidats du camp républicain ont obtenu 60 %, ce qui est plutôt rassurant. Mais notre ville a beaucoup de nouveaux habitants et elle n’échappe plus au contexte général. Ce n’est pas seulement un problème de manque de services publics. Il y a aussi une telle surmédiatisation des événements que les gens finissent par avoir peur de tout. Et le Covid a fait beaucoup de mal. Les gens se sont repliés sur eux-mêmes et on en voit aujourd’hui les traces psychologiques. »
« Dimanche, ils n’ont vu que la flamme sur le bulletin de vote »
« Nos électeurs sont-ils si mécontents ? Je ne crois pas », reconnaît Peggy Bariat, la maire d’Ambazac (gauche), où le RN a recueilli 42 % des voix. « Mais les chaînes d’information en continu font de la communication », poursuit l’élue. « Malgré les fournitures scolaires gratuites, le soutien que nous apportons aux associations, etc., nous ne sommes pas de taille. Dimanche, les gens n’ont vu que la flamme sur le bulletin de vote, c’est tout ce qu’ils cherchaient. Ils ne connaissent pas le candidat du RN. Certains ne savaient même pas si c’était un homme ou une femme… »
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« Les électeurs du RN savent très bien pour qui ils votent »
Certains élus ne cachent pas leur amertume, à l’image de ce maire de l’est du département qui souhaite garder l’anonymat pour, dit-il, « ne pas trop se fâcher » avec ses administrés. « Il y a une vraie perte de repères. Les gens qui votent RN ne sont peut-être pas des fascistes, mais ils savent très bien pour qui ils votent. Quand on les écoute, ils ont tous un ami noir ou musulman. Mais quand on entend des blagues sur les chartes dans un bureau de vote, on est en droit de douter… »
Beaucoup d’électeurs du RN ont une vie normale, un travail, des enfants, un équilibre. Mais ils consomment la politique comme on achète des yaourts. Ils essaient une nouvelle marque pour goûter un nouveau parfum, en se disant que s’ils n’aiment pas, ils peuvent toujours le jeter à la poubelle.
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Le problème est qu’ils ne se soucient pas des ingrédients avec lesquels les yaourts sont fabriqués.
Des triangulaires en Haute-Vienne ? Du jamais vu depuis… 1932 !
Florence Clavaud-Parant
